NCL

Aelii Donati in Adelphos Terenti commentum

Praefatio

I
1 storax non rediit hac nocte a cena aeschinvs 1 Haec fabula palliata Adelphoe, ut ipsum indicat nomen, et plurali numero, cum sit una, et genere masculino, cum sit comoedia, et Graeca lingua, cum sit Latina, censetur. potuit eam Terentius Fratres dicere, sed et Graeci nominis euphoniam perderet et praeterea togata uideretur, ad summam non statim intellegeretur Menandri esse, quod Terentius imprimis cupit scire lectorem, minus existimans laudis propria scribere quam Graeca transferre. est igitur Menandri et a fratrum facto, quibus argumentum nititur, nomen accepit. 2 Huius tota actio cum sit mixta ex utroque genere, ut fere Terentianae omnes praeter Heautontimorumenon, tamen maiore ex parte motoria est; nam statarios locos perpaucos habet. 3 Prodest autem et delectat actu et stilo. 4 In hac primae partes sunt ut quidam putant Demeae, ut quidam Syri. quodsi est, ut primas Syrus habeat, erunt secundae Demeae, tertiae Micionis et sic deinceps. quamquam etiam sunt, qui putant primas Micioni dandas, secundas Syro, tertias Demeae. nam quod ait Terentius «  senes qui primi uenient 1 » non ad partes, quas dicimus, sed ad ordinem pertinet exeuntium personarum. 5 Hoc etiam ut cetera huiusmodi poemata quinque actus habeat necesse est choris diuisos a Graecis poetis. quos etsi retinendi causa inconditi spectatoris minime distinguunt Latini comici metuentes scilicet, ne quis fastidiosus finito actu uelut admonitus abeundi reliquae comoediae fiat contemptor et surgat, tamen a doctis ueteribus discreti atque disiuncti sunt, ut mox aperiemus post argumenti narrationem1. 6 In hac prologus aliquanto lenior inducitur; magis etiam in se purgando quam in aduersariis laedendis est occupatus. πρότασις turbulenta est, ἐπίτασις clamosa, καταστροφή lenior. quarum partium rationem diligentius in principio proposuimus, cum de comoedia quaedam diceremus. 7 Haec sane acta est ludis scaenicis funebribus L. Lucii Aemilii Pauli agentibus L. Lucio Ambiuio et L. Lucio Minucio Prothymo, qui cum suis gregibus etiam tum personati agebant. modulata est autem tibiis dextris, id est Lydiis, ob seriam grauitatem, qua fere in omnibus comoediis utitur hic poeta. 8 Saepe tamen mutatis per scaenam modis cantata, quod significat titulus scaenae habens subiectas personis litteras M.M.C.; item deuerbia ab histrionibus crebro pronuntiata sunt, quae significantur D. et V. litteris secundum personarum nomina scriptis in eo loco, ubi incipit scaena. 9 Adnotandum sane, quod haec fabula προτατικὸν πρόσωπον non habeat, hoc est personam, quae ad argumentum nihil attineat quaeque sit adsumpta extrinsecus, ut est in Andria Sosia. 10 Hanc dicunt ex Terentianis secundo loco actam etiam tum rudi nomine poeta itaque sic pronuntiatam Adelphoe Terenti, non Terenti Adelphoe, quod adhuc magis de fabulae nomine poeta quam de poetae nomine fabula commendabatur. 11 In hac spectatur, quid intersit inter rusticam uitam et urbanam, mitem et asperam, caelibis et mariti, ueri patris et per adoptionem facti. quibus propositis ad exemplum imitanda perinde fugiendaque Terentius monstrans artificis poetae per totam fabulam obtinet laudem.
1 storax non rediit hac nocte a cena aeschinvs203 cette comédie palliata des Adelphes, comme son nom l'indique, a apparemment un titre au pluriel, bien qu'elle soit unique, de genre masculin, bien que ce soit une comédie, et est en langue grecque, bien qu'elle soit latine. Térence aurait pu l'intituler Fratres (Les Frères), mais alors il aurait perdu l'euphonie qu'apporte le nom grec et, en outre, la pièce aurait été considérée comme une togata et, au total, n'aurait pas été comprise d'emblée comme une pièce de Ménandre, chose que Térence souhaite faire savoir au lecteur en premier lieu, dans l'idée qu'il y a moins de gloire à écrire une comédie originale qu'à en traduire une du grec. C'est donc une pièce de Ménandre, intitulée à partir d'un fait qui concerne des frères, sur lesquels s'appuie l'argument204. 2 L'action entière de cette pièce, tout en étant mixte des deux genres, comme presque toutes les comédies de Térence à l'exception de L'Héautontimorouménos, est pourtant majoritairement mouvementée, car les scènes statiques y sont peu nombreuses205. 3 Elle est utile et plaisante par son action et son style206. 4 Le premier rôle y est joué, selon certains, par Déméa, selon d'autres par Syrus et dans ce cas, si c'est Syrus le premier rôle, c'est Déméa le second, Micion le troisième et ainsi de suite. Il y en a d'ailleurs d'autres qui pensent que c'est à Micion qu'il faut attribuer le premier rôle, à Syrus le second, à Déméa le troisième. Car ce que dit Térence, « senes qui primi uenient », ne se réfère pas aux rôles dont nous parlons mais à l'ordre d'entrée en scène des personnages207. 5 Cette œuvre aussi, comme toutes les autres de ce genre, a nécessairement cinq actes, que les poètes grecs ont séparés par des chœurs. Et bien que, pour tâcher de retenir un spectateur mal dégrossi, les comiques latins aient très peu pratiqué de subdivisions, dans l'idée probable d'éviter que, en proie à l'ennui à la fin d'un acte ou incité à s'en aller, le spectateur, au mépris du reste de la comédie, ne se lève, les actes ont tout de même été isolés et séparés par des spécialistes d'autrefois, comme nous le montrerons bientôt après avoir donné l'argument de la pièce208. 6 Le prologue qui s'y trouve est un peu plus calme ; il se préoccupe davantage de se justifier que d'attaquer ses adversaires. L'exposition (πρότασις) y est agitée, le nœud (ἐπίτασις) bruyant et le dénouement (καταστροφή) plus calme. Sur cette typologie, nous nous sommes expliqué quelque peu en faisant quelques remarques générales sur la comédie209. 7 Cette comédie a bel et bien été jouée pour les Jeux Funèbres en l'honneur de Paul-Emile, avec Lucius Ambivius Turpion et Lucius Minucius Prothymus comme acteurs qui, avec leurs troupes, jouaient à l'époque encore masqués. Elle est accompagnée de musique de flûtes de droite, c'est-à-dire de mode lydien, en raison de son caractère sérieux, qui se trouve dans presque toutes les comédies de ce poète210. 8 Souvent pourtant il y a sur scène des passages chantés en mètres variés, ce qu'indique la notice de la scène avec, sous les noms des personnages, les lettres MMC (Mutatis Modis Cantata) ; de même les diverbia sont prononcés de manière serrée par les acteurs et sont signalés par les lettres DV à la suite des noms de personnages à l'endroit où commence une scène. 9 Il convient de bien noter qu'il n'y a pas dans cette pièce de personnage protatique (προτατικὸν πρόσωπον), c'est-à-dire un personnage qui ne participe en rien à l'intrigue et soit tiré du dehors, comme l'est le Sosie de L'Andrienne. 10 On dit que dans la série des pièces de Térence celle-ci a été jouée en second, en raison de l'encore faible notoriété du nom du poète et qu'on l'a annoncée sous la forme « Les Adelphes de Térence » et non pas « Térence : Les Adelphes », parce le nom de la pièce à cette époque faisait plus de publicité au poète que le nom du poète n'en faisait à la pièce211. 11 On y voit la différence entre la vie à la campagne et la vie en ville, entre une vie douce et une vie rude, entre la vie d'un célibataire et celle d'un homme marié, celle d'un père authentique et d'un père adoptif. Avec ces types érigés en exemples, Térence, en montrant ce qu'il faut imiter autant que ce qu'il faut éviter, obtient le titre honorifique de poète artiste au fil de la pièce entière.

II
Ex duobus Atticis fratribus alter quidem Demea nomine rus coluit, uxorem duxit, suscepit filios duos, Aeschinum et Ctesiphonem. at alter Micio nomine uxorem ducere et filios creare noluit: adoptauit sibi filium fratris Aeschinum atque ita indulgenter eduxit a paruulo, ut effuse luxuriatus adulescens ad postremum ciuem Atticam uirginem uitiaret captus amore eius. quo facto etiam cum matre puellae pepigit eiusdem nuptias, quam uitiauit. cumque rem gestam ad patris, a quo adoptatus fuerat, conscientiam iam iamque perlaturus esset, precibus Ctesiphonis fratris sui, qui apud durum patrem atque agrestem Demeam parcius atque artius haberetur, impulsus est, ut eidem a lenone raperet meretricem. quo facto multiplici errore completur fabula: nam et Demea cum hoc ipso, id est cum Micione, litigabat tamquam cum eo, qui corruperit adulescentem adoptatum in mores perditos, nesciens suum sibi filium Ctesiphonem esse corruptum, eluditurque a Syro et Micione per totam fabulam; et mater puellae iam decimo mense post raptum uirginis et exactis a puero mensibus credit sibi ipsum2 rapuisse meretricem: quae perturbatio cito in tranquillum redacta est. nam re comperta de uitio uirginis Micio dat amanti3 Aeschino, quam concupiuerat, eiusque matrem ipse accipit. deprehenso uero Ctesiphone in amore meretricis primo irascitur, post lenitur atque eius habendae dat4 licentiam Demea.
De deux frères athéniens, le premier, nommé Déméa, habitait la campagne, prit une épouse, en eut deux fils, Eschine et Ctésiphon. Quant à l'autre, nommé Micion, il se refusa à prendre épouse et à avoir des enfants ; mais il adopta le fils de son frère, Eschine, et lui donna dès l'enfance une éducation si permissive que, habitué à une profusion de débauche, une fois jeune homme il finit par outrager une jeune fille citoyenne d'Athènes dont il s'était épris. La chose faite, il fit même affaire avec la mère de la jeune fille qu'il avait outragée pour l'épouser. Alors qu'il était sur le point de mettre au courant de l'affaire son père adoptif, sur la prière de son frère Ctésiphon, qui, auprès de son père sévère et campagnard Déméa, était élevé chichement et à la dure, il se laissa convaincre d'enlever pour lui une courtisane à un proxénète. La chose faite, la comédie se développe en de multiples méprises : car Déméa se disputait avec lui, à savoir Micion, comme avec quelqu'un qui élevait mal son jeune fils, sans savoir que son fils Ctésiphon était tout aussi mal élevé, et il s'en fait railler par Syrus et Micion pendant toute la comédie ; d'autre part, la mère de la jeune fille, neuf mois après le viol de la jeune fille, durée conclue par la naissance d'un enfant, croit que c'est Eschine qui a enlevé pour son propre compte la courtisane : cette perturbation est vite ramenée au calme, car, une fois l'affaire du viol de la jeune fille élucidée, Micion accorde à l'amoureux Eschine la femme qu'il convoitait et lui-même reçoit sa mère. Une fois Ctésiphon pris sur le fait, Déméa commence par s'irriter contre cet amour pour une courtisane, puis il s'adoucit et accorde à son fils le droit de la garder.

III
1 Primus actus haec continet: Micionis solius primo uerba, post eiusdem et Demeae iurgium. 2 Secundus actus haec continet: lenonis alteram rixam aduersus Aeschinum pro puella, eiusdem apud Syrum querelas, laetitiam Ctesiphonis ob possessionem amicae et eiusdem gratiarum actionem apud Aeschinum. 3 Tertius actus haec continet: trepidationem Sostratae et Cantharae nutricis ob parturientem Pamphilam uitiatam ab Aeschino, Getam nuntiantem dominae per errorem, quod sibi rapuerit Aeschinus meretricem, reditum in scaenam Demeae eiusdemque cum Syro ludificante eum sermocinationem, Hegionis interuentum et querelam apud eundem Demeam de facto Aeschini et consolationem Sostratae. 4 Quartus actus haec continet: Ctesiphonis cum Syro conloquium de inlusione Demeae eiusdemque in scaenam interuentum atque secundam frustrationem per Syrum factam, Micionis cum Hegione sermonem, querelam Aeschini de rebus suis eiusdemque cum Micione patre facetissimam disceptationem, Demeae reditum in scaenam ex errore, in quem eum coniecerat Syrus, et renouatum cum fratre eiusdem iurgium, processionem in scaenam temulenti Syri. 5 Quintus actus haec continet: deprehensionem Ctesiphonis cum meretrice, tertium cum Micione iurgium Demeae eiusdemque pristinae uitae correptionem, et per eum multa in comoedia noua, hoc est blandimentum circa Aeschinum et adfabilitatem erga Getam, conciliationem Sostratae, liberationem5 Syri et uxoris eius et ueniam circa Ctesiphonem permissionemque habendae meretricis. 6 Seruatur autem per totam fabulam mitis Micio, saeuus Demea, leno auarus, callidus Syrus, timidus Ctesipho, liberalis Aeschinus, pauidae mulieres, grauis Hegio. 7 In diuidendis actibus fabulae identidem meminerimus, primo paginarum dinumerationem neque Graecos neque Latinos seruasse, cum eius distributio eiusmodi rationem habeat, ut ubi attentior spectator esse potuerit, longior actus sit, ubi fastidiosior, breuior atque contractior; deinde etiam illud, in eundem actum posse conici et tres et quattuor scaenas introeuntium et exeuntium personarum. 8 Facta autem haec una est de duabus fabulis, Adelphis Menandri et Commorientibus Diphili.
1 L'Acte I contient les événements suivants : d'abord un monologue de Micion, suivi d'une dispute entre lui et Déméa. 2 L'Acte II contient les événements suivants : deuxième dispute, cette fois du proxénète avec Eschine au sujet de la jeune femme, les plaintes d'Eschine auprès de Syrus, l'allégresse de Ctésiphon parce qu'il possède sa maîtresse et ses remerciements à Eschine. 3 L'Acte III contient l'agitation de Sostrata, la mère, et de Canthara, la nourrice, en raison de l'accouchement de Pamphila, la jeune femme outragée par Eschine, puis l'annonce erronée à sa maîtresse par Géta qu'Eschine a enlevé la courtisane pour son propre compte, le retour sur scène de Déméa et sa conversation avec Syrus qui se joue de lui, l'intervention d'Hégion et sa dispute avec ce même Déméa sur le forfait d'Eschine, puis sa consolation à Sostrata. 4 L'Acte IV contient les événements suivants : conversation de Ctésiphon avec Syrus sur la ruse faite à Déméa et intervention en scène du même Déméa, avec une seconde fourberie faite par Syrus, puis la conversation de Micion et d'Hégion, la lamentation d'Eschine sur ses affaires et la dispute très drôle de ce même Eschine avec son père Micion, puis le retour sur scène de Déméa après la méprise dans laquelle l'avait jeté Syrus, et sa nouvelle algarade avec son frère, puis l'entrée en scène de Syrus tremblant. 5 L'Acte V contient les événements suivants : prise en flagrant délit de Ctésiphon avec sa courtisane, troisième algarade entre Micion et Déméa et autocritique de ce dernier concernant son mode de vie passé et, par son entremise, l'avalanche d'événements qu'on trouve dans une comédie nouvelle, à savoir sa gentillesse à l'égard d'Eschine, son affabilité envers Géta, sa réconciliation avec Sostrata, l'affranchissement de Syrus et de son épouse et le pardon accordé à Ctésiphon avec, pour lui, la permission de garder sa courtisane. 6 On conserve dans toute la comédie un Micion permissif, un Déméa sévère, un proxénète cupide, un Syrus roublard, un Ctésiphon craintif, un Eschine dépensier, des femmes terrorisées, un Hégion sérieux. 7 Pour ce qui est de la division en actes de la comédie, souvenons-nous de même d'abord que ni les Grecs ni les Latins n'ont respecté un nombre prescrit de pages, dans la mesure où la subdivision obéit à ce principe : là où le spectateur est en mesure d'être bien attentif, l'acte doit être assez long ; là où il se fatigue, il faut l'abréger et le condenser ; et aussi que dans un même acte on peut rassembler trois ou quatre scènes de sorties et d'entrées de personnages. 8 Cette comédie unique a été faite à partir de deux modèles grecs, Les Adelphes de Ménandre et les Commorientes (les Deux mourants) de Diphile212.

Prologus

1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 | 10 | 11 | 12 | 13 | 14 | 15 | 16 | 17 | 18 | 19 | 20 | 21 | 22 | 23 | 24 | 25

1
postquam poeta sensit scripturam suam
Le poète, après s'être aperçu que son ouvrage

1 postqvam poeta s. sensit s. scriptvram s. svam postquam pro quoniam, cuius reciprocum quoniam pro postquam. Plautus in Aulularia «  is quoniam moritur - ita auido ingenio fuit 2 ». 2 postqvam sensit pro postquam sensisset. 3 scriptvram svam indifferenter omnis qui aliquid scriberet scriptor a ueteribus dicebatur.
1 postqvam poeta sensit scriptvram svam postquam est mis pour quoniam (puisque) , comme réciproquement on a quoniam pour postquam. Plaute dans L'Aululaire : « is quoniam moritur - ita auido ingenio fuit » (après sa mort –il était si cupide). 2 postqvam sensit pour postquam sensisset au subjonctif (dès lors qu'il se fut aperçu). 3 scriptvram svam sans distinction, quiconque écrivait quelque chose était appelé scriptor (écrivain) par les Anciens213.

2
ab iniquis obseruari et aduersarios
est mal vu par des gens injustes et que ses adversaires

1 ab iniqvis inimicis, ut «  fatis Iunonis iniquae 3 ». 2 observari obseruatio et ad honorem refertur, ut «  praeterea regem non sic Aegyptus et i. ingens L. Lydia n. nec p. populi P. Parthorum a. aut M. Medus H. Hydaspes o. obseruant 4 ». sed nunc obseruari captari significat. 3 observari et honorari et captari et audiri significat, ut Plautus «  obseruatote ut blande palpetur mulieri 5 ». 4 observari et rapere in peiorem partem6 uarietas per genera uerborum est: utrique sententiae apte iungimus scripturam suam.
1 ab iniqvis ses ennemis, comme : « fatis Iunonis iniquae » (destins imposés par l'hostile Junon). 2 observari obseruatio (observation)214 se comprend de plusieurs manières : le mot se rapporte à la déférence, comme dans : « praeterea regem non sic Aegyptus et ingens Lydia nec populi Parthorum aut Medus Hydaspes obseruant » (en outre le roi ne jouit pas d'une telle considération, ni en Egypte ni dans l'immense Lydie, ni chez les peuples parthes, ni chez le Mède de l'Hydaspe) ; mais ici il se comprend au sens de captari (être surveillé). 3 observari signifie "être perçu" (honorari) ou "être surveillé" (captari) ou "être entendu" (audiri), comme chez Plaute « obseruatote ut blande palpetur mulieri » (regardez/écoutez comme il va bien s'occuper de la dame). 4 observari et rapere in peiorem partem il y a une diversité dans la diathèse verbale ; aux deux verbes nous pouvons accorder régulièrement scripturam suam215.

3
rapere in peiorem partem quam acturi sumus,
présentent sous un mauvais jour la pièce que nous allons représenter,

rapere in peiorem partem uitio dare, uituperare.
rapere in peiorem partem tourner en mauvaise part, blâmer.

4
indicio de se ipse erit, uos eritis iudices,
viendra se dénoncer lui-même. C'est vous qui serez juges

1 indicio de se mire expressit simplicitatem uera dicturi, cum indicaturum de se dixit, non narraturum. 2 Et indicio de se ipse erit pro index erit. 3 indicio de se ipse indicat is, qui de se uolens et de aliis aliquid prodit, confitetur, qui de se tantum et qui inuitus. 4 vos eritis ivdices bene, quia apud iudices indicium profitentur, qui accusatorem adiuuant.
1 indicio de se il exprime remarquablement la simplicité de celui qui s'apprête à dire la vérité en disant qu'il va indiquer (indicaturum) à son sujet une preuve et non pas raconter (narraturum) quelque chose. 2 Et indicio de se ipse erit vaut pour index erit (il sera son propre indicateur). 3 indicio de se ipse on dit qu'indique (indicat) celui qui, en voulant apporter quelque chose à son propos apporte aussi quelque chose sur d'autres sujets, alors qu'avoue (confitetur) celui qui dit seulement quelque chose à son sujet et le fait à contrecœur. 4 vos eritis ivdices bien trouvé, car c'est auprès des juges que ceux qui sont au côté de l'accusateur avouent une preuve.

5
laudin an uitio duci id factum oporteat.
si l'on doit louer ou blâmer ce qu'il a fait.

lavdin an vitio medium non fecit, ut appareat, si crimen non sit, laudem esse debere.
lavdin an vitio il n'a pas mis de milieu, pour qu'il soit clair que, si la faute n'existe pas, il doit y avoir louange.

6
Synapothnescontes Diphili comoedia est:
Les Synapothnescontes est une comédie de Diphile ;

synapothnescontes diphili comoedia est nec numeri nec genera respicienda sunt contra sententiam remque ipsam.
synapothnescontes diphili comoedia est il ne faut pas faire l'accord en nombre ni en genre contre la phrase et contre la chose même216.

7
eam Commorientes Plautus fecit fabulam.
Plaute en a fait sa pièce des Commorientes.

eam commorientes plavtvs fecit fabvlam ut apud Graecos δρᾶμα , sic apud Latinos generaliter fabula dicitur, cuius species sunt tragoedia, comoedia, togata, tabernaria, praetexta, crepidata, Atellana, μῖμος , Rintonica.
eam commorientes plavtvs fecit fabvlam de même que les Grecs utilisent δρᾶμα , de même les Latins utilisent comme terme générique fabula et comme hyponymes tragoedia, comoedia, togata, tabernaria, praetexta, crepidata, Atellana, μῖμος , Rintonica217.

8
in Graeca adulescens est, qui lenoni eripit
Dans la pièce grecque, il y a un jeune homme qui enlève à un proxénète

1 in graeca Diphili scilicet. 2 advlescens est ut si diceret: "est quidam adulescens qui lenoni eripit".
1 in graeca la pièce de Diphile, implicitement. 2 advlescens est comme s'il disait : "il y a un certain jeune homme qui enlève à un proxénète".

9
meretricem in prima fabula: eum Plautus locum
une fille au début de la pièce : ce passage, Plaute

in prima fabvla pro in prima parte, ut dicimus primis digitis; non enim et secunda aut tertia fabula.
in prima fabvla pour "dans la première partie", comme on dit primis digitis (au bout des doigts). Car il n'y a pas de deuxième ou de troisième pièce218.

10
reliquit integrum. eum hic locum sumpsit sibi
l'a laissé intact, lui s'est pris ledit passage

1 reliqvit integrvm cum alia transferret. 2 svmpsit sibi libere tulit, hoc est non furatus est, ut «  sume pater 6 ».
1 reliqvit integrvm en traduisant le reste. 2 svmpsit sibi il l'a pris librement, c'est-à-dire qu'il ne l'a pas volé, comme dans : « sume pater » (prends, père).

11
in Adelphos, uerbum de uerbo expressum extulit.
pour le mettre dans ses Adelphes et l'a rendu mot pour mot.

1 in adelphos Latine declinauit. 2 verbvm de verbo expressvm extvlit hic approbatur uere de Graeco esse sublatum, non de Plauto, ut dicit aduersarius. 3 extvlit mire non dixit transtulit sed extulit, ut ornasse Graeco uideatur Latino stilo.
1 in adelphos il le décline en latin. 2 verbvm de verbo expressvm extvlit ici, il est prouvé qu'il s'agit d'un authentique emprunt au grec, non pas à Plaute, comme le prétend son adversaire. 3 extvlit il est remarquable qu'il dise extulit plutôt que transtulit (il a transféré), pour paraître avoir embelli le grec par le style latin.

12
eam nos acturi sumus nouam: pernoscite
Voici la pièce nouvelle que nous nous apprêtons à représenter. Examinez

1 eam nos actvri Adelphos scilicet. 2 novam ueterem Graecam intellegimus.
1 eam nos actvri il parle des Adelphes, implicitement. 2 novam nous comprenons que l'ancienne c'est la pièce grecque.

13
furtumne factum existimetis an locum
si vous pensez qu'il y a eu vol, ou si un passage

1 fvrtvmne factvm hoc est uitio duci. 2 an locvm reprehensvm hoc est laudi duci.
1 fvrtvmne factvm c'est-à-dire que c'est un défaut (uitio). 2 an locvm reprehensvm c'est-à-dire que c'est une qualité (laudi).

14
reprehensum, qui praeteritus neglegentia est.
a été repris, qui avait été omis par négligence.

1 neglegentia est Plauti scilicet, cuius «  aemulari exoptat neglegentia 7 ». 2 reprehensvm retentum, resumptum.
1 neglegentia est négligence de Plaute implicitement, « dont il souhaite dépasser le caractère négligent ». 2 reprehensvm retenu, repris.

15
nam quod isti dicunt maliuoli, homines nobiles
Quant aux propos de ces méchants qui prétendent que d'illustres personnages

1 nam qvod isti dicvntnam incipiendi uim habet modo, ut «  nam ego hanc machaeram me c. consolari u. uolo 8 ». 2 homines nobiles Scipionem Africanum significat et Laelium Sapientem et Furium Philum.
1 nam qvod isti dicvnt nam (en effet) a parfois une fonction d'inauguration de la phrase, comme dans : « nam ego hanc machaeram me consolari uolo » (car je veux consoler cette dague). 2 homines nobiles il veut dire Scipion l'Africain, Laelius le Sage et Furius Philus.

16
eum848 adiutare adsidueque una scribere:
l'aident et passent leur temps à écrire avec lui,

1 evm adivtare et legitur adiuuare. Pacuuius in Chryse «  adiutamini 9 ». 2 assidveqve vna scribere non sic dicit aduersarius, uerum hic oratorie crimen non tangit.
1 evm adivtare on lit aussi adiuuare. Pacuvius dans Chrysès : « adiutamini » (faites-vous aider). 2 assidveqve vna scribere ce n'est pas ce que dit l'adversaire, mais ici, de façon oratoire, il ne touche pas au chef d'accusation.

17
quod illi maledictum uehemens esse existimant,
ce que ces gens-là estiment être une insulte violente,

18
eam laudem hic ducit maximam, cum illis placet,
il juge, lui, que c'est le plus grand des éloges, puisqu'il plaît à ceux

19
qui uobis uniuersis et populo placent,
qui plaisent à vous tous et au peuple,

qvi vobis vniversis et popvlo uniuersos qui in cauea sunt dicit, populum qui etiam praeter theatrum, id est uniuersam urbem.
qvi vobis vniversis et popvlo il veut dire par uniuersi tous ceux qui sont dans les travées, et par populus le peuple, y compris hors du théâtre, c'est-à-dire la ville entière219.

20
quorum opera in bello, in otio, in negotio
de l'assistance desquels dans la guerre, dans les loisirs, dans les affaires,

in bello Scipionis, in otio Furii Phili, in negotio Laelii Sapientis.
in bello c'est-à-dire Scipion l'Africain, in otio c'est-à-dire Furius Philus, in negotio c'est-à-dire Laelius le Sage.

21
suo quisque tempore usus est sine superbia.
chacun en son temps a usé sans orgueil.

22
dehinc ne exspectetis argumentum fabulae:
Après cela, n'attendez pas l'exposition du sujet :

23
senes qui primi uenient, ei partem aperient,
ce sont les vieillards qui viendront en premier qui l'exposeront pour partie,

24
in agendo partem ostendent. facite aequanimitas
et dans le cours de l'action vous le montreront pour partie. Faites que votre bienveillance

1 in agendo partem ostendent σχῆμα ὑπεξαίρεσις: hic enim iam non senes accipiendi, sed et ceterae personae. 2 Aut ipsi senes in statario charactere partem aperient, in motorio partem ostendent. nam duo agendi sunt principales modi, motorius et statarius, ex quibus ille tertius nascitur, qui dicitur mixtus. 3 aeqvanimitas fauor et propitius animus. et deest uestra.
1 in agendo partem ostendent figure de sous-entendu (σχῆμα ὑπεξαίρεσις) : car en l'espèce ce ne sont pas les vieillards (senes) qu'il faut comprendre, mais tous les autres personnages. 2 Ou bien ce sont les vieillards eux-mêmes qui révéleront une partie de l'argument dans le passage statique, une autre dans le passage agité. Car il y a deux modes d'action principaux, le mode agité (motorius) et le mode statique (statarius), desquels découle le troisième mode, qui s'appelle le mixte (mixtus)220. 3 aeqvanimitas la faveur et l'indulgence. Et il manque uestra (votre).

25
poetae ad scribendum augeat industriam.
pour le poète augmente son zèle à écrire !

Actus primus

scaena prima

Micio

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26
Storax! non rediit hac nocte a cena Aeschinus
Mi.-Storax ! Eschine n'est pas rentré cette nuit depuis son souper,

1 storax nomina personarum, in comoediis dumtaxat, habere debent rationem et etymologiam. etenim absurdum est comicum, cum7 apte argumenta confingat, uel nomen personae incongruum dare uel officium, quod sit a nomine diuersum. hinc seruus fidelis Parmeno, infidelis Syrus uel Geta, miles Thraso uel Polemo, iuuenis Pamphilus, matrona Myrrina et puer uel ab odore Storax uel a ludo et gesticulatione Scirtus et item similia. in quibus summum poetae uitium est, siquid e contrario repugnans contrarium diuersumque protulerit, nisi per ἀντίφρασιν ioculariter nomen imposuit, ut Misargyrides in Plauto dicitur trapezita. et fere apud alios hoc modo poetas nomina componuntur per ἀντίφρασιν describentia quod designant. 2 storax primae partes, sicut in prologo ipse promisit, a senibus aguntur, quorum contentione ad argumentum relata uita aspera cum leni et pater comis cum seuerissimo comparantur. 3 storax Storacem uocauit, non Aeschinum: cur igitur tacente puero hoc absentem Aeschinum credit? quia seruuli adulescentibus praestolantur, ut in Andria «  obseruabam mane illorum seruulos uenientis aut abeuntis 10 ». sed quia fieri poterat, ut domino absente adesset Storax, commodissime adiecit «  neque seruulorum quisquam qui aduersum ierant 11 ». 4 storax non rediit hac nocte a cena aeschinvs hoc alii interrogatiue, alii pronuntiatiue proferunt; sed magis pronuntiatiue dicendum.
1 storax les noms de personnages, au moins pour ce qui est de la comédie, doivent avoir une justification et une étymologie. Et de fait, il est absurde, alors même que le poète invente un argument bien agencé, de donner à un personnage ou bien un nom comique incongru ou bien une fonction qui soit en contradiction avec son nom. D'où l'usage de nommer un serviteur fidèle Parménon, un serviteur infidèle Syrus ou Géta, un soldat Thrason ou Polémon, un jeune homme Pamphile, une dame Myrrhina et un jeune esclave soit, à cause de son odeur, Storax, soit, à cause de son jeu et de ses gesticulations, Scirtus et ainsi de suite. Sur cette question, la plus grande erreur du poète consiste à proposer, au contraire, un nom contradictoire, opposé et contraire221, à moins que ce ne soit par antiphrase (ἀντίφρασις) et par plaisanterie qu'il a donné son nom au personnage, comme chez Plaute un banquier s'appelle Misargyridès. Et chez presque tous les autres poètes sont forgés des noms de ce genre qui décrivent ce qu'ils désignent par antiphrase (ἀντίφρασις)222. 2 storax les premiers rôles sont tenus, comme il l'a promis lui-même dans le Prologue, par les deux vieillards, dont le débat, en relation avec l'argument, permet la comparaison entre un mode de vie âpre et un mode de vie doux et entre un père indulgent et un père très sévère. 3 storax il appelle Storax et non Eschine : dans ce cas pourquoi, alors que l'esclave reste silencieux, a-t-il le sentiment qu'Eschine est absent ? Parce que les petits esclaves attendent l'arrivée des jeunes gens, comme dans L'Andrienne : « obseruabam mane illorum seruulos uenientis aut abeuntis »223. Mais comme il aurait pu se faire que Storax soit présent bien que son maître fût absent, il ajoute opportunément « neque seruulorum quisquam qui aduersum ierant ». 4 storax non rediit hac nocte a cena aeschinvs cette réplique, selon certains, est une interrogation, selon d'autres une assertion ; mais il est préférable de le dire de façon assertive224.

27
neque seruulorum quisquam, qui aduersum ierant.
ni aucun des petits esclaves qui étaient allés au-devant de lui.

1 neqve servvlorvm praeter Storacem, quem abesse non respondendo intelleximus. 2 qvi adversvm proprie locutus est, nam aduersitores dicuntur. 3 ierant ierant producte8 pronuntiandum, quod nos addita V iuerant dicimus. tale est illud Vergilii «  nos abiisse rati et uento petiisse Mycenas 12 ».
1 neqve servvlorvm mis à part Storax, dont le défaut de réponse nous fait comprendre l'absence. 2 qvi adversvm il parle au sens propre, car ces esclaves s'appellent aduersitores (chargés d'aller à la rencontre)225. 3 ierant il faut prononcer īerant avec un i long, que nous prononçons, nous, en ajoutant un u : īuerant. Même phénomène chez Virgile : « nos abiisse rati et uento petiisse Mycenas » (nous sommes partis en bateau et avons gagné Mycènes avec le vent)226.

28
profecto hoc uere dicunt: si absis uspiam aut
On a bien raison de dire : si tu t'absentes quelque part ou

1 profecto hoc vere dicvnt absolute: non addidit qui. 2 si absis vspiam abundat uspiam aut deest profectus aut quid tale. 3 avt ibi uspiam; significat enim, scilicet uspiam, et in loco et ad locum. 4 si absis vspiam avt ibi si cesses si absis ad parentes propitios, si cesses ad uxorem iratam refert.
1 profecto hoc vere dicvnt emploi indéfini : il n'ajoute pas qui (ceux qui...)227. 2 si absis vspiam uspiam (quelque part) est superflu ou alors il manque profectus (parti quelque part), ou quelque équivalent. 3 avt ibi quelque part ; car à l'évidence uspiam signifie "dans un lieu" ou "vers un lieu"228. 4 si absis vspiam avt ibi si cesses si absis se réfère à parentes propitii, si cesses à uxor irata.

29
ibi 849 si cesses, euenire ea satius est,
que tu t'y attardes, mieux vaudrait qu'il t'arrive

30
quae in te uxor dicit et quae in animo cogitat
tout ce que dit à ton endroit ton épouse et ce qu'elle rumine dans sa tête

1 in te9 desertorem. 2 vxor subaudiendum et hic irata uxor 10. 3 et qvae in animo omne, quod sentimus, aut cogitamus aut dicimus, et utrumque pro oratione est: sed illa ἐνδιάθετος , quae in cogitatione est, haec προφορικὸς λόγος dicitur, quae in uerbis est constituta. Vergilius «  et mihi iam multi crudele canebant artificis scelus et taciti uentura uidebant 13 », et ipse alibi «  nunc si quis est, qui hoc dicat aut sic cogitet 14 ».
1 in te toi qui abandonnes ton foyer. 2 vxor sous-entendre ici aussi irata uxor (épouse en colère)229. 3 et qvae in animo tout ce que nous ressentons, ou nous le "pensons" ou nous le "disons", et l'un et l'autre tiennent lieu de discours. Mais le premier, qui est dans la pensée, s'appelle discours intérieur (ἐνδιάθετος λόγος), le second, qui consiste en paroles, s'appelle discours verbalisé (προφορικὸς λόγος). Virgile : « et mihi iam multi crudele canebant / artificis scelus et taciti uentura uidebant » (et beaucoup déjà me prédisaient le crime cruel de l'artisane et sans le dire voyaient l'avenir)230, et Térence lui-même, ailleurs : « nunc si quis est qui hoc dicat aut sic cogitet ».

31
irata, quam illa quae parentes propitii.
de colère, plutôt que ce qu'appréhendent des parents attentionnés.

qvam illa qvae parentes erudite: non addidit in quem dicat, quia scit nomina uxoris et parentum τῶν πρός τι esse.
qvam illa qvae parentes savamment dit : il n'ajoute pas au sujet de qui, parce qu'il sait que les noms uxor et parentes sont des noms relatifs (τῶν πρός τι)231.

32
uxor, si cesses, aut te amare cogitat
Une femme, si tu es en retard, s'imagine ou que tu es amoureux

1 vxor si cesses quare non si absis? an quia iustius cessanti quam absenti suscensemus an quia irata uxor si cesses? 211 avt te amare cogitat ἐφεξήγησις τῇ ἐξεργασίᾳ. 3 avt te amare cogitat avt minus peccati est amori proprio cedere quam alieno amori obsequi nulla re impellente, sine uxore potare aut uelle delicias. 4 Ergo αὔξησις est, nisi forte τῷ ἰδιωτισμῷ hoc putamus dictum. 5 avt te amare cogitat avt tete amari cum duo proposuerit, alterum sumpsit. nam cum dixisset «  quae in te uxor dicit et quae in animo cogitat 15 », intulit aut te amare cogitat et «  ego quia non rediit filius quae cogito 16 ». 6 avt te amare cogitat avt tete amari quia te amare ἀμφιβόλως dixerat, cito intulit quod certum est «  aut tete amari 17 »; et quia illud te dixerat, hoc geminauit et tete dixit tamquam significantius.
1 vxor si cesses pourquoi pas si absis (si tu t'absentes) ? Est-ce parce qu'il y a plus de légitimité à se mettre en colère contre quelqu'un qui se met en retard que contre quelqu'un qui est absent ou parce que irata uxor si cesses ? 2 avt te amare cogitat épexégèse (ἐφεξήγησις) avec emprunt de circonstances extrinsèques (ἐξεργασίᾳ). 3 avt te amare cogitat avt il y a moins de faute à céder à l'amour-propre que d'obéir à l'amour pour autrui sans y être contraint, de boire sans son épouse ou de vouloir des plaisirs. 4 Donc il y a une amplification (αὔξησις), à moins que nous ne pensions que la phrase est dite par particularisme (τῷ ἰδιωτισμῷ)232. 5 avt te amare cogitat avt tete amari bien qu'il ait fait deux hypothèses, il en fait une seule prémisse233. Car alors qu'il avait dit « quae in te uxor dicit et quae in animo cogitat », il a repris aut te amare cogitat et « ego quia non rediit filius quae cogito ». 6 avt te amare cogitat avt tete amari parce que te amare était ambigu (ἀμφιβόλως)234, aussitôt il reprend par une proposition univoque « aut tete amari » ; et comme il avait dit te la première fois, il le duplique la deuxième fois et dit tete comme pour que ce soit plus signifiant.

33
aut tete amari aut potare atque animo obsequi
ou qu'on est amoureux de toi ou que tu bois ou que tu n'en fais qu'à ta tête

atqve animo obseqvi ἐπαναφορά.
atqve animo obseqvi épanaphore (ἐπαναφορά).235

34
et tibi bene esse, soli cum sibi sit male.
et que tout va bien pour toi, pendant que pour elle seule c'est l'horreur.

35
ego quia non rediit filius quae cogito,
Moi, parce que mon fils n'est pas rentré, qu'est-ce que je pense,

1 ego qvia non rediit filivs plus est quod dixit ego quam si diceret parentes. 2 qvae cogito qvibvs et hoc sic pronuntiandum est, ut horrere uideatur ipse cogitationem suam. 3 ego qvia non rediit filivs ἀνακόλουθον: non enim dicit pater.
1 ego qvia non rediit filivs il dit plus en disant ego qu'en disant parentes (les parents). 2 qvae cogito qvibvs et il faut prononcer ces mots en faisant apparaître qu'il a peur de sa propre idée. 3 ego qvia non rediit filivs anacoluthe (ἀνακόλουθον) : il ne dit pas en effet pater (le père)236.

36
quibus nunc sollicitor rebus! ne aut ille alserit
de quels soucis je me mets en peine ! Il aura sûrement pris froid,

1 qvibvs nvnc sollicitor hoc est: quam malis et non, ut uxor, bonis. 2 ne avt ille alserit uide quam teneri sit amoris hic timor, in iuuene praesertim. 3 ne avt ille alserit avt vspiam nimium tenere amat, qui et haec in iuuene pertimescit, quae circa infantulos cauere solent.
1 qvibvs nvnc sollicitor c'est-à-dire "quelles pensées funestes", et non pas, comme pour l'épouse, des pensées heureuses237. 2 ne avt ille alserit voyez quelle tendresse il y a dans cette crainte, surtout à l'égard d'un jeune homme. 3 ne avt ille alserit avt vspiam il a une tendresse excessive, lui qui craint pour un jeune homme ce qu'on tâche d'éviter d'ordinaire à l'égard de jeunes enfants238.

37
aut uspiam ceciderit ac praefregerit
ou sera tombé quelque part et se sera cassé

1 avt vspiam uspiam et in loco et ad locum significat. 2 ceciderit ac praefregerit iungendum, ut non solum ceciderit sed etiam praefregerit aliquid: haec sunt, quae sibi euenire nemo uelit.
1 avt vspiam uspiam renvoie au lieu où l'on est et au lieu où l'on va. 2 ceciderit ac praefregerit il faut les lier, en sorte que non seulement "il est tombé" mais il s'est aussi "cassé quelque chose" : voilà ce que personne ne souhaiterait subir.

38
aliquid. uah, quemquamne hominem in animo instituere aut
quelque chose ! Ah ! faut-il donc qu'un homme installe en son cœur ou

qvemqvamne hominem sic dicimus de ea re, quam miramur fere ab omnibus fieri.
qvemqvamne hominem ainsi disons-nous d'une situation dans laquelle nous nous étonnons de voir presque tout le monde se mettre239.

39
parare quod sit carius quam ipse est sibi!
se forge une chose qui lui soit plus chère que lui-même !

qvam ipse est sibi tamquam duo sint sed licet hoc poetae comico.
qvam ipse est sibi comme s'ils étaient deux ; mais c'est permis au poète de comédie240.

40
atque ex me hic natus non est, sed ex fratre; is adeo
Et encore, ce n'est pas de moi qu'il est né, mais de mon frère ; lequel est à ce point

1 atqve ex me hic natvs non est quasi dicat: ex me non est et sic afficior; quid paterer, si genuissem? 2 Et non ex me natus dixit, quasi12 diceret meus natus. 3 sed ex fratre id est: non omnino alienus est. 4 is adeo transitus ad argumentum subtilissimus. 5 adeo aut abundat aut nimium significat, ut in Eunucho «  adulescentem adeo nobilem 18 ».
1 atqve ex me hic natvs non est c'est comme s'il disait : "il n'est pas de moi et pourtant je suis très affecté ; que serait-ce si j'étais son géniteur" ? 2 Et il ne dit pas ex me natus de la même manière qu'il dirait natus meus (mon fils)241. 3 sed ex fratre c'est-à-dire : il ne m'est pas complètement étranger. 4 is adeo passage très subtil à l'argument de la pièce. 5 adeo ou c'est superflu ou le mot signifie nimium (trop), comme dans L'Eunuque : « adulescentem adeo habilem »242.

41
dissimili studio est iam inde ab adulescentia.
différent de moi dans ses goûts depuis l'enfance.

42
ego hanc clementem uitam urbanam atque otium
Moi, c'est cette douce vie de la ville et cette tranquillité

1 ego hanc clementem vitam vrbanam ὀρθὴ διήγησις διὰ τὰς πτώσεις. 2 clementem vitam figurate ipsam uitam dicit13 clementem, quae clementes facit. clemens autem est qui colit mentem. 3 atqve otivm deest urbanum.
1 ego hanc clementem vitam vrbanam récit direct par l'emploi des formes casuelles (ὀρθὴ διήγησις διὰ τὰς πτώσεις). 2 clementem vitam de façon figurée il qualifie de clémente la vie même qui rend les gens cléments. Mais clemens désigne celui qui "cultive son esprit" (colit mentem)243. 3 atqve otivm il manque urbanum (de la ville)244.

43
secutus sum et, quod fortunatum isti putant,
que j'ai suivie et, chose qu'on regarde comme un grand bonheur,

1 secvtvs svm bene secutus quasi magistram recte beateque uiuendi. 2 et qvod fortvnatvm isti pvtant Romani scilicet, qui caelibem quasi caelitem dicunt, et item Graeci, apud quos sunt huiusmodi sententiae, ut « ἁψῖδ᾿ ὃς εἶχε σχοινίων πωλουμένων »14 et alibi « γαμεῖ Πάμφιλος· γαμείτω. καὶ γὰρ ἠδίκησέ με ». 3 fortvnatvm isti pvtant utique uxorem non ducere. dicit autem Romanus id uideri, quos peccatores15 habet Menander: ut «  ὦ μακαρία ἐμή, γυναῖκ᾿ οὐ λαμβάνω 19 »16. 4 fortvnatvm isti pvtant quidam putant sic pronuntiandum et quod fortunatum isti putant uxorem, et haec bona et concinnata locutio est. 5 Et putant bene dicit is, cui displicet aliena sententia. isti autem id est: hi qui a me dissentiunt.
1 secvtvs svm le verbe est bien trouvé, comme on suit un modèle de vie droite et heureuse245. 2 et qvod fortvnatvm isti pvtant comprendre "les Romains", qui disent que le célibataire est comme un dieu au ciel (caelibem caelitem)246, et les Grecs aussi, chez qui on trouve le même genre d'énoncés comme « ἁψῖδ᾿ ὃς εἶχε σχοινίων πωλουμένων » (lui qui avait tout un filet à force de s'être fait vendre des cordes)247 et ailleurs « γαμεῖ Πάμφιλος· γαμείτω. καὶ γὰρ ἠδίκησέ με » (Pamphile se marie ; qu'il se marie ! De fait, il m'a fait du tort)248. 3 fortvnatvm isti pvtant de toute manière de ne pas prendre femme. Le personnage romain dit que c'est l'opinion des gens que Ménandre tient pour fautifs : ainsi : « ὦ μακαρία ἐμή, γυναῖκ᾿ οὐ λαμβάνω » (O quel bonheur est le mien ! je ne prends pas femme)249. 4 et qvod fortvnatvm isti pvtant certains estiment qu'il faut prononcer et quod fortunatum isti putant uxorem250, et c'est une expression bonne et élégante. 5 Et pvtant est bien dit par qui réprouve une opinion qui lui est étrangère. Isti quant à lui désigne "ceux qui ne sont pas d'accord avec moi".

44
uxorem numquam habui. ille contra haec omnia:
je ne me suis jamais marié. Lui, c'est tout le contraire :

vxorem nvmqvam habvi si non habeo dixisset, poterat uideri habuisse.
vxorem nvmqvam habvi s'il avait dit non habeo (je n'ai pas d'épouse), on pourrait croire qu'il en avait eu une autrefois251.

45
ruri agere uitam, semper parce ac duriter
et de vivre à la campagne, sans arrêt à se mener une vie chiche et dure ;

1 rvri agere vitam «  contra haec omnia 20 »: suffecerat breuitas, sed subiungit fratris descriptionem, ut uerbis ipsis malam uitae condicionem ostendat. 2 semper parce ac dvriter semper licet incertam distinctionem habeat, tamen recte additum est, quia uel ruri agere uoluptatis est uel parce ac duriter se habere uirtutis. 3 Sed semper ad uictum, parce autem ad seruandum, duriter ad laborem referendum est. 4 rvri agere semper parce ac dvriter se habere uariauit, ut in Andria.
1 rvri agere vitam la brièveté de « contra haec omnia » pouvait suffire, mais il ajoute en sous-main le portrait de son frère pour faire bien voir par ses mots mêmes ses mauvaises conditions de vie. 2 semper parce ac dvriter semper a beau avoir une ponctuation ambiguë, c'est tout de même un ajout correct parce que soit ruri agere a une connotation de plaisir, soit parce et duriter a une connotation de vertu252. 3 Mais semper doit se référer au mode de vie, parce au sens de l'épargne, duriter au labeur. 4 rvri agere semper parce ac dvriter se habere il fait une variation, comme dans L'Andrienne253.

46
se habere, uxorem duxit, nati filii
il a pris femme, lui sont nés des fils,

1 vxorem dvxit recte dicit, non ducere: semel enim hoc fecit Demea. 2 vxorem dvxit uarie per modos. 3 vxorem dvxit adiuua pronuntiatione, ne singula uerba17 secuta uideantur; nam sic in fine fabulae ait Demea: «  duxi uxorem: quam ibi miseriam uidi! nati filii: alia cura 21 ».
1 vxorem dvxit expression correcte, et non pas au présent ducere : de fait Déméa a accompli une seule fois cette action254. 2 vxorem dvxit variation de modes255. 3 vxorem dvxit aider la compréhension par la prononciation, pour éviter que les mots256 paraissent se suivre séparément ; car à la fin de la pièce Déméa s'exprime ainsi : « duxi uxorem : quam ibi miseriam uidi ! nati filii : alia cura ».

47
duo: inde ego hunc maiorem adoptaui mihi:
deux : puis c'est moi qui ai adopté l'aîné,

1 inde ego hvnc maiorem mire inde subiungit, cum personam praetulerit. sic alibi: «  e praedonibus, unde emerat, se audisse abreptam e Sunio 22 ». 2 inde ego hvnc inde pro ex quibus. et mihi abundat. 3 et bene hunc dixit, quia de ipso loquebatur.
1 inde ego hvnc maiorem de façon étonnante il relie par l'adverbe inde alors qu'il avait indiqué des noms de personnes ; il fait de même ailleurs : « e praedonibus unde emerat se audisse abreptam e Sunio »257. 2 inde ego hvnc inde est mis pour ex quibus (parmi lesquels). Et mihi est pléonastique258. 3 Et il fait bien de dire hunc, parce que c'est de lui-même qu'il parle259.

48
eduxi a paruulo, habui, amaui pro meo;
je l'ai élevé depuis tout petit, je l'ai tenu, aimé pour le mien.

1 edvxi a parvvlo quod nos educare dicimus educere ueteres dixerunt, ut «  educet siluis regem regumque parentem 23 ». 2 habvi amavi pro meo quaeritur quid sit habui, et cum multa dicantur, hoc solum uerum est: habui credidi, duxi, existimaui, ut alibi: «  semper eius dicta est haec atque habita est soror 24 » et Cicero: «  ita habeantur atque dicantur 25 ». 3 Ergo pro meo bis subaudiendum est: habui pro meo et amaui pro meo.
1 edvxi a parvvlo là où nous disons educare, les Anciens disaient educere260, comme dans : « educet siluis regem regumque parentem » (elle élèvera dans les bois un roi, père de rois). 2 habvi amavi pro meo la question est de savoir261 ce qu'est habui ; et parmi les nombreuses explications, celle-ci seule est vraie : habui signifie credidi (je l'ai cru), duxi (je l'ai considéré comme), existimaui (je l'ai tenu pour), comme ailleurs : « semper eius dicta est haec atque habita est soror », et chez Cicéron : « ita habeantur atque dicantur » (qu'on les tienne pour tels et les dise tels). 3 Donc pro meo est à sous-entendre deux fois : habui pro meo et aussi amaui pro meo (je l'ai aimé comme le mien).

49
in eo me oblecto: solum id est carum mihi.
C'est lui qui fait toute ma joie ; il est l'unique objet de ma tendresse.

1 in eo me oblecto solvm id est carvm mihi absolute utrumque, et in eo et solum. –  2 in eo quasi in ea re. – plus autem significat quam si diceret solus is est carus mihi. 3 in eo me oblecto noue in eo me oblecto pro eo me oblecto.
1 in eo me oblecto solvm id est carvm mihi les deux, in eo et solum, sont construits sans complément262. –  2 in eo équivaut à in ea re (en cela). – et c'est plus signifiant que s'il disait solus is est carus mihi (lui seul m'est cher). 3 in eo me oblecto construction inédite in eo me oblecto au lieu de eo me oblecto.

50
ille ut item contra me habeat facio sedulo:
Pour qu'il ait mêmes sentiments à mon égard, je m'emploie :

1 facio sedvlo secus a dolo, id est sine dolo et impense. 2 ille vt item habeat18 item similiter, contra uicissim. Plautus: «  ut illa illum contra: qui est amor cultu optimus 26 ».
1 facio sedvlo sedulo vient de secus a dolo (autrement que par la ruse), donc sine dolo (sans ruse) et avec empressement. 2 ille vt item habeat item veut dire similiter (de la même façon), contra veut dire uicissim (réciproquement). Plaute : « ut illa illum contra : qui est amor cultu optimus » (et elle l'aimait de son côté, ce qui est le meilleur amour à cultiver).

51
do, praetermitto, non necesse habeo omnia
Je donne, j'autorise, je n'ai pas besoin de tout

1 do praetermitto do sumptum, praetermitto delicta. 2 non necesse habeo omnia pro meo ivre agere etsi licet, non necesse est patrem saeuire, quia pater est. 3 Inter ius et aequitas hoc interest: ius est quod omnia recta et inflexibilia exigit, aequitas est quae de iure multum remittit. ergo sensus hic est: "non necesse est, etiamsi licet, saeuum esse patrem". 4 Et mire ostendit ius summ nisi necessitate non esse seruandum.
1 do praetermitto do (je donne) de quoi dépenser, praetermitto (je permets) des délits. 2 non necesse habeo omnia pro meo ivre agere même s'il en a le droit, le père n'a pas besoin d'être sévère parce qu'il est le père. 3 La différence entre ius et aequitas (équité) est la suivante : ius désigne ce qui exige que tout soit droit et inflexible, aequitas désigne ce qui fait un important adoucissement du droit. Le sens est donc : "il n'est pas nécessaire, même si c'est permis, qu'un père soit sévère". 4 Et paradoxalement il montre qu'il ne faut pas user de ses droits sauf nécessité.

52
pro meo iure agere: postremo, alii clanculum
régenter au nom de mes droits ; bref, ce que les autres à l'insu

postremo alii clancvlvm non alii patres sed "alii adulescentes clanculum patres suos".
postremo alii clancvlvm comprendre non pas alii patres (d'autres pères) mais "alii adulescentes clanculum patres suos" (d'autres adolescents à l'insu de leur père)263.

53
patres quae faciunt, quae fert adulescentia,
de leur père font, ce que comporte la jeunesse,

1 qvae fert advlescentia statim addidit ueniam, peccata ab adulescentibus ad aetatem remouendo. 2 Et uide quam breuiter, quam pudice, quam ignoscenter!
1 qvae fert advlescentia aussitôt il ajoute une excuse en détournant la faute des jeunes gens vers leur âge. 2 Et voyez cette concision, cette réserve, cette indulgence.

54
ea ne me celet consuefeci filium.
j'ai habitué mon fils à ne pas me le cacher.

ea ne me celet consvefeci filivm tribus enim rebus uiuitur: natura, consuetudine, ratione.
ea ne me celet consvefeci filivm on vit en effet selon trois notions : selon la nature, selon l'habitude, selon la raison264.

55
nam qui mentiri aut fallere insueuerit850 patrem aut
Car qui s'est habitué à mentir ou à tromper son père ou

nam qvi mentiri avt fallere insveverit19 separatim subaudiendum πρὸς τὸ mentiri.
nam qvi mentiri avt fallere insveverit il faut sous-entendre séparément insueuerit à côté de (πρὸς τὸ) mentiri.

56
audebit, tanto magis audebit ceteros.
à être insolent, aura d'autant plus d'insolence à l'égard des autres.

ceteros quia iam excepit patrem.
ceteros parce qu'il a déjà excepté le père.

57
pudore et liberalitate liberos
C'est par le sens de l'honneur et la générosité qu'on

1 pvdore et liberalitate pudore ad filios rettulit, liberalitate ad parentes. 2 pvdore et liberalitate argumentum a coniugatis: liberalitate, inquit, regendi sunt, propter quod liberi dicuntur. liberalitate autem bonitate dicit.
1 pvdore et liberalitate il rapporte pudore aux fils, liberalitate aux parents. 2 pvdore et liberalitate argument par mots apparentés265 : il faut régir ses enfants, dit-il, au moyen de la libéralité, en vertu de quoi ils sont appelés liberi. Mais liberalitas signifie bonitas (bonté).

58
retinere satius esse puto851 quam metu.
retient mieux les enfants, à mon avis, que par la crainte.

retinere sativs esse pvto bene retinere a uitiis, quia uitia filios tenent, quos retinent patres, a uitiis scilicet. nam retinet, qui aduersum aliquem tenet.
retinere sativs esse pvto retinere est bien dit pour dire retinere a uitiis (retenir quelqu'un de mal agir), parce que les vices tiennent les fils (tenent) et les pères retiennent leurs fils (retinent), c'est-à-dire de mal agir. Car on dit que retient (retinet) celui qui tient (tenet) contre quelqu'un.

59
haec fratri mecum non conueniunt neque placent.
Voilà un point de désaccord entre mon frère et moi, et des principes qui ne lui plaisent pas.

1 haec fratri mecvm non convenivnt noua locutio. 2 Et non convenivnt pro non congruunt, ac per hoc: "in his ego et frater dissentimus ac dissimiles sumus".
1 haec fratri mecvm non convenivnt expression inédite266. 2 Et non convenivnt est mis pour non congruunt (ne s'accordent pas) et de ce fait on comprend : "sur ce point mon frère et moi sommes en désaccord et nous sommes différents".

60
uenit ad me saepe clamitans: « quid agis, Micio?
Il vient à moi souvent, en criant : « que fiches-tu, Micion ?

1 venit ad me saepe clamitans et importunitatem ostendit odiosam uenit ad me dicendo et inconditam assiduitatem addendo saepe. 2 Et congrue, postquam saepe dixit, adiecit aptius uerbum non dicens clamans sed clamitans. 3 qvid agis micio reminiscere lectionem et inuenies huiusmodi interrogationem uel inuectionis principio uel obiurgationis.
1 venit ad me saepe clamitans il montre d'une part que son frère est odieusement importun, en disant uenit ad me, d'autre part que son assiduité est grossière, en ajoutant saepe. 2 Et de façon concordante, après avoir dit saepe, il ajoute un verbe particulièrement adapté en disant non pas clamans (en criant) mais clamitans267. 3 qvid agis micio rappelez-vous la leçon et vous saurez que ce genre d'interrogation convient à un début d'invective ou à un début de reproche268.

61
cur perdis adulescentem nobis? cur amat?
pourquoi nous gâtes-tu le petit ? pourquoi est-il amoureux ?

1 cvr perdis advlescentem nobis ἠθικῶς additum nobis, ut alibi nobis «  psaltriam nobis, si dis placet, parauit 27 ». 2 cvr amat cvr potat uide quemadmodum ut durum obiurgatorem ostendat Demeam, cum ab eo ea dicantur in crimen uocari, quae aut aetatis sunt, ut cur amat?, aut naturae, ut «  cur potat? 28 », aut pietatis, ut «  cur tu in his rebus sumptum suggeris? 29 » etc. 3 cvr amat cvr potat cur amat ad illud refert, quod ait supra «  praetermitto 30 » - nam praetermitto delicta intelleximus ex amore -, cur potat ad illud refert, quod ait: « do » sumptum.
1 cvr perdis advlescentem nobis il ajoute nobis en emploi éthique (ἠθικῶς), comme ailleurs « psaltriam nobis si dis placet parauit »269. 2 cvr amat cvr potat voyez comme il montre en Déméa un censeur sévère, puisqu'il dit que sont répréhensibles les faits qui relèvent de l'âge, comme cur amat ?, de la nature, comme « cur potat ? » ou de la piété filiale, comme « cur tu in his rebus sumptum suggeris ? ». 3 cvr amat cvr potat cur amat renvoie à ce qu'il a dit plus haut « praetermitto » (car nous comprenons praetermitto delicta, les méfaits de l'amour), cur potat nous le renvoyons à ce qu'il disait : « do (sumptum) ».

62
cur potat? cur tu his rebus sumptum suggeris?
pourquoi boit-il ? pourquoi fournis-tu la dépense pour cela ?

63
uestitu nimio indulges; nimium ineptus es ».
Tu le pourris avec trop de garde-robe ; tu es trop stupide ».

nimivm ineptvs es utrumque dure, et nimium et ineptus es.
nimivm ineptvs es les deux mots sont dits de façon dure, tant nimium que ineptus es.

64
nimium ipse est durus praeter aequumque et bonum,
C'est lui qui est trop dur comme père, au-delà de ce qui est raisonnable et juste,

praeter aeqvvmqve et bonvm potuit et non addi praeter aequumque et bonum.
praeter aeqvvmqve et bonvm il aurait pu ne pas ajouter praeter aequumque et bonum.

65
et errat longe mea quidem sententia,
et il se trompe lourdement, à mon humble avis,

1 et errat longe melius est longe simpliciter accipere, ut locale sit, quam ualde. 2 mea qvidem sententia modeste additum mea quidem sententia, ne quis hoc pro praecepto dici existimet.
1 et errat longe il vaut mieux comprendre longe simplement au sens local, plutôt qu'au sens de ualde (beaucoup). 2 mea qvidem sententia par modestie il ajoute mea quidem sententia, pour que cela ne paraisse pas être dit en guise de leçon.

66
qui imperium credat grauius esse aut stabilius
celui qui croit que l'empire qu'on a est plus solide et plus stable

1 qvi imperivm credat utrum quilibet an Demea? 2 gravivs esse avt s. stabilivs 20 grauius ad uim, stabilius ad tempus refertur.
1 qvi imperivm credat n'importe qui ou bien Déméa ? 2 gravivs esse avt stabilivs grauius se rapporte à la force, stabilius au temps.

67
ui quod fit, quam illud quod amicitia adiungitur.
quand il repose sur la force que celui qui s'obtient par la tendresse.

1 vi qvod fit id est metu ac malo. 2 vi qvod fit qvam illvd qvod amicitia a. adivngitvr 21 illud fit quod ui, hoc adiungitur quod amicitia.
1 vi qvod fit c'est-à-dire metu et malo. 2 vi qvod fit qvam illvd qvod amicitia adivngitvr l'un s'obtient (fit) parce qu'il y a la force (ui), l'autre s'ajoute (adiungitur) parce qu'il y a de l'amitié (amicitia).

68
mea sic est ratio et sic animum induco meum:
Pour moi, voici comment je raisonne, voici le système que je me suis fait :

1 mea sic est ratio et sic animvm i. indvco m. mevm mea sic est ratio ad superiora pertinet confirmanda, et sic animum induco meum ad ea pertinet, quae dicturus est. 2 mea sic est ratio iterum modeste et ἰδιωτικῶς. 3 et sic animvm indvco mevm senilis μακρολογία.
1 mea sic est ratio et sic animvm indvco mevm mea sic est ratio est destiné à confirmer ce qui précède, et sic animum induco meum se rapporte à ce qu'il s'apprête à dire. 2 mea sic est ratio à nouveau avec modération et en conformité avec son caractère (ἰδιωτικῶς)270. 3 et sic animvm indvco mevm bavardage (μακρολογία) de vieillard.

69
malo coactus qui suum officium facit,
quand c'est sous la contrainte du châtiment qu'on fait son devoir,

1 malo coactvs duo dicit: et malo et coactus. 2 qvi svvm officivm facit22 ὁ τὸ καθῆκον ποιῶν, id est qui recte efficit. officium autem dicitur quasi efficium, ab efficiendo quod unicuique personae congruat.
1 malo coactvs il dit deux choses : et que c'est par un châtiment (malo) et que c'est contraint (coactus). 2 qvi svvm officivm facit celui qui fait son devoir (ὁ τὸ καθῆκον ποιῶν), c'est-à-dire celui qui agit droitement. Officium se dit, pour ainsi dire, pour efficium, dérivé d'efficere, au sens de "réaliser ce qui est conforme à chaque personne"271.

70
dum id852 rescitum iri credit, tantisper cauet:
tant qu'on croit que la chose se saura, pendant tout ce temps on fait attention.

1 dvm id rescitvm iri "quod facit" scilicet. 2 tantisper quasi tantumper et paulisper quasi paulumper ut parumper dicitur. 3 tantisper cavet peccare subaudiendum, nam totum ἐλλειπτικῶς et obscure. 4 Et bene cavet dicit quasi malo.
1 dvm id rescitvm iri évidemment ce qu'il fait. 2 tantisper comme si c'était tantumper et paulisper comme paulumper comme on dit parumper (pour un instant). 3 tantisper cavet il faut sous-entendre peccare (commettre une faute), car l'ensemble est dit de façon elliptique (ἐλλειπτικῶς) et obscure. 4 Et cavet est bien dit, comme si c'était "il se garde de la punition".

71
si sperat fore clam, rursus ad ingenium redit.
Mais si l'on escompte que ça passera à l'as, on revient à son naturel.

1 si sperat fore clam iterum quod facit subaudiendum. 2 rvrsvs ad ingenivm redit mire non intulit cauet sed ad ingenium redit. 3 Et rvrsvm23 est retro uersum, ut prorsum porro uersum.
1 si sperat fore clam à nouveau il faut sous-entendre quod facit (ce qu'il fait). 2 rvrsvs ad ingenivm redit de façon remarquable il ne dit pas cauet mais ad ingenium redit. 3 Et rvrsvm c'est retro uersum (tourné vers l'arrière), comme prorsum c'est porro uersum (tourné vers l'avant).

72
ille quem beneficio adiungas ex animo facit,
Quant à celui qu'on s'attache par des bienfaits, il agit en son âme et conscience,

1 ille qvem beneficio adivngas non beneficio adiunctus, ut supra malo coactus. 2 ille qvem beneficio adivngas καλῶς ἀντέθηκεν, nam ille malo, hic beneficio, ille coactus, hic adiunctus, ille dum id rescitum iri credit, tantisper cauet, hic praesens absensque idem erit. 3 Et τὸ praesens et absens non ad locum aliquem sed ad custodem monitoremque rettulit. 4 ille qvem beneficio contra illud quod ait malo coactus. 5 ex animo facit officium scilicet.
1 ille qvem beneficio adivngas et non pas beneficio adiunctus (attaché par un bienfait), comme plus haut malo coactus272. 2 ille qvem beneficio adivngas il fait une belle antithèse (καλῶς ἀντέθηκεν), car pour le premier c'était malo, pour le second beneficio, le premier était coactus, le second est adiunctus, le premier dum id rescitum iri credit, tantisper cauet, le second praesens absensque idem erit273. 3 Et les mots (τὸ) praesens et absens ne sont pas employés par rapport à un lieu précis mais par rapport à un gardien et un conseiller. 4 ille qvem beneficio c'est le contraire de ce qu'il disait avec malo coactus. 5 ex animo facit son officium, évidemment.

73
studet par referre, praesens absensque idem erit.
travaille à vous rendre la pareille ; présent, absent, il restera le même.

1 stvdet par referre id est bene24. 2 praesens absensqve idem erit contra illud «  si sperat fore clam rursus ad ingenium redit 31 ».
1 stvdet par referre c'est-à-dire "bien" (bene)274. 2 praesens absensqve idem erit c'est le contraire de « si sperat fore clam rursus ad ingenium redit ».

74
hoc patrium est, potius consuefacere filium
Voilà ce qui est proprement paternel : apprivoiser son fils

1 hoc patrivm est potivs superius a re tractum est, hoc iam a persona ducitur argumentum. 2 consvefacere non cogere sed consuefacere.
1 hoc patrivm est potivs l'argument antérieur est tiré de la chose, celui-ci de la personne275. 2 consvefacere non pas cogere (forcer) mais consuefacere276.

75
sua sponte recte facere quam alieno metu:
à bien agir de son propre chef plutôt que par la crainte d'autrui ;

qvam alieno metv uide quemadmodum suam indulgentiam ad effectum reuocet optimae disciplinae.
qvam alieno metv voyez comment il fait de son indulgence l'effet d'une excellente éducation.

76
hoc pater ac dominus interest. hoc qui nequit,
c'est en quoi un père et un maître diffèrent. Qui en est incapable

1 hoc pater ac dominvs a differentia personarum et officiorum. 2 interest differentia est. 3 hoc qvi neqvit longe melius nequit quam si diceret non uult.
1 hoc pater ac dominvs par une différenciation de la personne et de la fonction. 2 interest c'est une différenciation. 3 hoc qvi neqvit nequit est bien meilleur que s'il disait non uult (il ne veut pas).

77
fateatur nescire imperare liberis.
doit avouer qu'il ne sait pas gouverner ses enfants.

1 fateatvr nescire se imperare liberis25 hoc est: indicat se melius consulere et uolentem hoc exercere. 2 nescire se imperare liberis oratorie, quasi artis sit indulgentissime agere. 3 imperare modo non ad superbiam sed ad regendum referendum est. 4 nescire imperare liberis deest se.
1 fateatvr nescire se imperare liberis c'est-à-dire : "il indique qu'il donne de meilleurs conseils et qu'il pratique cela de son plein gré". 2 nescire se imperare liberis de façon oratoire, comme si c'était un art que de se montrer très indulgent. 3 imperare de temps en temps le mot se rapporte non pas à une position supérieure mais au fait de diriger. 4 nescire imperare liberis il manque se277.

78
sed estne hic ipse853, de quo agebam? et certe is est.
Mais n'est-ce pas là justement celui dont je parlais ? Mais oui, c'est bien lui.

1 sed estne hic ipse de qvo κατ᾽ οἰκονομίαν superuenit de quo sermo est, ut factis dicta ostendantur. 2 et certe is est bene nunc confirmat ipsum esse, cum propior est, utpote senili nec in longum prospiciente conspectu.
1 sed estne hic ipse de qvo par souci d'agencement (κατ᾽ οἰκονομίαν), survient celui dont on parle, pour que les faits accréditent les paroles. 2 et certe is est il fait bien maintenant de confirmer que c'est lui, au moment où il s'approche, comme s'il avait une myopie de vieillard et non une vue qui porte loin.

79
nescio quid tristem uideo: credo iam, ut solet
Il a je ne sais quoi de chagrin, je le vois bien. A mon avis, comme d'habitude,

1 nescio qvid tristem video orationis apparatus ex uultu ostenditur, ut «  stetit acri fixa dolore, tunc quassans caput hanc effundit pectore uocem 32 ». 2 Et nescio qvid deest propter, ut sit: propter nescio quid. 3 credo iam vt solet causa, cur illum frater aequo animo ferat: ut solet inquit.
1 nescio qvid tristem video la teneur de son discours est préparée par son visage, comme dans : « stetit acri fixa dolore, tunc quassans caput hanc effundit pectore uocem » (elle s'arrêta clouée par une douleur aiguë ; lors, secouant sa tête, elle laisse sortir de son cœur cette parole). 2 Et nescio qvid manque propter, pour faire propter nescio quid (à cause de je ne sais quoi). 3 credo iam vt solet la raison pour laquelle son frère le supporte avec sang-froid : ut solet, dit-il.

80
iurgabit. saluum te aduenire, Demea,
il va me quereller. Tu arrives en bonne santé, Déméa,

salvvm te advenire demea gavdemvs ut asperior ostendatur Demea, etiam salutatur ab eo, quem obiurgaturus est.
salvvm te advenire demea gavdemvs pour que Déméa paraisse plus pénible, il reçoit le salut de celui qu'il s'apprête à quereller.

81a
gaudemus.
Tant mieux !

scaena altera

Micio Demea

81b | 82 | 83 | 84 | 85 | 86 | 87 | 88 | 89 | 90 | 91 | 92 | 93 | 94 | 95 | 96 | 97 | 98 | 99 | 100 | 101 | 102 | 103 | 104 | 105 | 106 | 107 | 108 | 109 | 110 | 111 | 112 | 113 | 114 | 115 | 116 | 117 | 118 | 119 | 120 | 121 | 122 | 123 | 124 | 125 | 126 | 127 | 128 | 129 | 130 | 131 | 132 | 133 | 134 | 135 | 136 | 137 | 138 | 139 | 140 | 141 | 142 | 143 | 144 | 145 | 146 | 147 | 148 | 149 | 150 | 151 | 152 | 153 | 154

81b
De.-hem854 opportune: te ipsum quaerito.
Dé.-Ah! te voici fort à propos, c'est justement toi que je cherchais.

1 hem opportvne te ipsvm qvaerito in hoc actu, diuersi homines, diuersi patres, diuersa studia proponuntur: hic lenis hic amarus, hic facetus hic impolitus, hic facilis hic pertinax et difficilis in delictis. 2 hem opportvne te ipsvm qvaerito melius quam Menander, quod hic illum ad iurgium promptiorem quam resalutantem facit.
1 hem opportvne te ipsvm qvaerito dans cette scène278, des êtres humains différents, des pères différents, des occupations différentes sont envisagés : l'un affable, l'autre acariâtre ; l'un amusant, l'autre mal dégrossi ; l'un traitable, l'autre tenace et intraitable à l'égard des erreurs. 2 hem opportvne te ipsvm qvaerito mieux que chez Ménandre, parce qu'ici il le rend plus prompt à lancer la querelle qu'à retourner le salut279.

82
Mi.-quid tristis es? De.-rogas me, ubi nobis Aeschinus
Mi.- Pourquoi cet air chagrin ? Dé.-Tu me demandes, quand nous avons un Eschine,

1 qvid tristis es bene interrogat, potuit enim non iratus frater quaerere. 2 vbi nobis aeschinvs siet quasi quaedam causa tristitiae sit.
1 qvid tristis es l'interrogation est bonne, car son frère aurait pu le chercher sans être en colère. 2 vbi nobis aeschinvs siet comme si c'était une cause de morosité.

83
siet, quid tristis ego sim? Mi.-dixin hoc fore?
pourquoi cet air chagrin ? Mi.-N'avais-je pas dit que cela arriverait ?

dixin hoc fore «  credo iam ut solet iurgabit 33 ».
dixin hoc fore cf. « credo iam ut solet iurgabit ».

84
quid is fecit? De.-quid ille fecerit? quem neque pudet
Qu'a-t-il donc fait ? Dé.-Ce qu'il a fait ? lui qui n'a honte

1 qvid ille fecerit animaduertendum, ut interrogatus interroget more indignantium, quod ideo facit, quod uidet Micionem eo uultu interrogare, ut uideatur minus reprehendere culpam Aeschini. 2 qvem neqve pvdet qvicqvam nec metvit qvemqvam uarie per casus. 3 qvem neqve pvdet qvicqvam contra illud, quod alibi pater dicit «  erubuit: salua res est 34 ». 4 qvem neqve pvdet qvicqvam magno ordine accusauit: non, inquit, pudore mouetur patris, non metu parentum, non timore legum. 5 Ergo gradatim αὔξησις oratoria processit.
1 qvid ille fecerit il faut remarquer comment en réponse à une question il pose une question, comme font les gens en colère, et s'il fait cela, c'est parce qu'il voit que Micion l'interroge avec un air à vouloir minimiser la faute d'Eschine. 2 qvem neqve pvdet qvicqvam nec metvit qvemqvam variation par l'emploi des cas280. 3 qvem neqve pvdet qvicqvam le contraire de la réplique suivante du père : « erubuit : salua res est ». 4 qvem neqve pvdet qvicqvam il met un grand ordre dans ses accusations : il n'est pas ébranlé, dit-il, par la retenue nécessaire devant un père, ni par la peur de ses parents, ni par la crainte des lois. 5 Donc par degrés s'est mise en place une gradation (αὔξησις) oratoire.

85
quicquam nec metuit quemquam neque legem putat
de rien, qui ne craint personne, qui croit qu'aucune loi

86
tenere se ullam. nam illa quae antehac facta sunt
ne le retient ? Car ce qui a été fait auparavant,

1 tenere se vllam bene tenere, quia legem. et est ἀμφιβολία oratoria. 2 nam illa qvae antehac omnis accusatio duo tempora recipit: praeteritum ab ante gestis et praesens ab his quae obiciuntur. ergo utrumque mira breuitate perstrinxit.
1 tenere se vllam tenere est bien choisi parce qu'il accompagne legem. Et c'est une ambiguïté (ἀμφιβολία) oratoire281. 2 nam illa qvae antehac toute accusation comprend deux temps : le passé, pour les faits précédents, et le présent, pour ce qui est actuellement reproché. Donc il resserre les deux moments avec une brièveté remarquable.

87
omitto: modo quid designauit! Mi.-quidnam id est?
je n'en parle pas. Mais à l'instant, l'exploit qu'il a fait ! Mi.-De quoi s'agit-il ?

1 modo qvid designavit designare est rem nouam facere in utramque partem, et bonam et malam. nam et designatores dicti, qui ludis funebribus praesunt, credo ob eam causam, quod ipsis ludis multa fiant noua et spectanda, simul etiam ut urbe retineantur, quae fiunt aut in spectaculis aut in litibus. 2 modo qvid designavit puto ego designationem contractionem aut conductionem populi in unum intellegi - hoc enim contingit ei, qui aliquo flagitio populi in se oculos et ora conuertit et spectaculo est uulgo -, quod designatores ludis funebribus multitudinem retinent. 3 designavit apud ueteres hoc uerbum duas res significabat: etenim praue et recte facta designata dicebantur. 4 qvidnam id est et hoc contentiose interrogat Micio.
1 modo qvid designavit designare c'est faire une chose nouvelle en bonne comme en mauvaise part. Car on appelle du nom de designatores ceux qui président aux jeux funèbres, pour la raison, je suppose, que dans ces jeux mêmes se produisent beaucoup d'événements nouveaux et qu'il faut considérer avec attention, pour qu'aussi dans le même temps soient évités les troubles qui se produisent lors des spectacles ou des litiges. 2 modo qvid designavit je pense pour ma part que designatio se comprend comme l'action de resserrer ou de conduire le public dans un endroit - c'est ce qui arrive à celui qui par suite d'un scandale attire sur lui les regards et les visages du public et devient un spectacle pour la foule -, parce que les designatores dans les jeux funèbres endiguent la cohue. 3 designavit chez les Anciens, ce verbe avait deux sens : de fait les choses mal faites ou les choses bien faites recevaient le nom de designata. 4 qvidnam id est la question de Micion est obstinée.

88
De.-fores effregit atque in aedes inruit
Dé.-Il a enfoncé une porte et fait effraction dans une maison

1 fores effregit haec singula magna uociferatione inferenda sunt; stomachatur enim aduersus male interrogantem. 2 fores effregit atqve in aedes totum quidem unum crimen est: rapuit meretricem; sed uide, qua pompa, qua uociferatione dilatatur accusatio de moribus Demeae nihil non in maius inferentis.
1 fores effregit il faut prononcer ces mots un par un avec une voix forte ; car il est en colère contre Micion qui pose de mauvaises questions. 2 fores effregit atqve in aedes tout, en vérité, ne forme qu'un seul chef d'accusation : il a enlevé une courtisane. Mais voyez avec quelle emphase, quels cris est amplifiée l'accusation de mauvaises mœurs que porte Déméa, qui grossit tout et force le trait.

89
alienas: ipsum dominum atque omnem familiam
étrangère : le propriétaire et toute la maisonnée,

1 alienas singula consideranda sunt. 2 Et bene alienas dicit quia lenonis si diceret, parua res erat. 3 ipsvm dominvm iterum suppressa est infamis persona. 4 atqve omnem familiam familiam pro seruis lenonis aut meretricibus dicit.
1 alienas il faut considérer les mots un par un. 2 Et il fait bien de dire alienas parce que s'il disait lenonis (du proxénète), l'affaire serait mince282. 3 ipsvm dominvm à nouveau il supprime la mention du personnage infâme. 4 atqve omnem familiam il dit familia pour désigner les esclaves du proxénète ou ses courtisanes.

90
mulctauit855 usque ad mortem: eripuit mulierem
il le leur a fait payer cher, les laissant pour morts ; il a enlevé une femme

1 mvlctavit lacerauit, mutilauit, molliuit atque dissoluit. unde Mulciber quasi Mulctiber, a mulctando. 2 vsqve ad mortem magna inuidia caedis mortis mentione, quae tamen nulli accidit. 3 eripvit mvlierem qvam amabat omnia magno colore et accusatorie dicta sunt et hoc maxime, quod lenonem et meretricem non dixit, contentus facti atrocitate personarumque uilitatem reticens. 4 eripvit mvlierem non abduxit sed eripuit.
1 mvlctavit il a déchiré (lacerauit), mutilé (mutilauit)283, brisé (molliuit) et pulvérisé (dissoluit). De là le nom de Mulciber, comme si c'était Mulctiber, dérivé de mulctare284. 2 vsqve ad mortem grande manifestation d'hostilité à l'égard du massacre, par la mention de la mort, alors que rien de tel n'est arrivé à qui que ce soit. 3 eripvit mvlierem qvam amabat l'ensemble est dit avec une couleur grandiloquente et un ton accusateur, et surtout le fait qu'il n'évoque pas les termes de "proxénète" et de "courtisane", se contentant d'indiquer l'atrocité du méfait en passant sous silence le bas niveau social des personnages. 4 eripvit mvlierem il ne l'a pas "enlevée" (abduxit), mais "arrachée" (eripuit).

91
quam amabat. clamant omnes indignissime
dont il était amoureux. Tous s'exclament que c'est une honte

clamant a iudicato ex auctoritate rumoris.
clamant jugement se fondant sur l'autorité de la rumeur285.

92
factum esse. hoc aduenienti quod856 mihi, Micio,
d'agir ainsi. J'arrive à peine ici, et voilà ce que, Micion,

hoc advenienti qvod mihi micio dixere omnibus displicet, multi et accusant; nec tamen lenonis querelae fit mentio oratorie. hoc autem uel articulus uel aduerbium loci.
hoc advenienti qvod mihi micio dixere la chose déplaît à tous, beaucoup se font même accusateurs ; pourtant, de façon oratoire, il n'est fait nulle allusion à la plainte du proxénète. Quant à hoc, c'est soit un article soit un adverbe de lieu286.

93
dixere! in ore est omni populo. denique,
on dit. Il est sur toutes les lèvres en ville. Enfin,

1 in ore est omni popvlo Sallustius «  in ore gentibus agens 35 ». 2 popvlo ciuitati.
1 in ore est omni popvlo Salluste : « in ore gentibus agens » (agissant au vu et au su de tout le monde)287. 2 popvlo la cité.

94
si conferendum exemplum est, non fratrem uidet
s'il est besoin de prendre un exemple, ne voit-il pas son frère

1 si conferendvm exemplvm est tamquam non sit conferendum. 2 non fratrem videt rei dare operam satis comice hoc infertur legentibus argumentum, nam magis in culpa est ille ipse, quem laudat.
1 si conferendvm exemplvm est est dit comme s'il ne fallait pas comparer. 2 non fratrem videt rei dare operam réplique assez comique pour ceux qui ont lu l'argument de la pièce, car le plus coupable est celui dont il fait l'éloge.

95
rei dare operam, ruri esse parcum et sobrium?
s'occuper de ses affaires, vivre à la campagne, économe et sobre ?

1 rei dare operam non amori, rvri esse non in urbe, parcvm non prodigum, sobrivm non insanum. 2 parcvm et sobrivm contra illud «  cur amat? cur potat? 36 ». 3 rei dare operam quam facete poeta haec omnia falsa ex contrario facit Demeam credere!
1 rei dare operam et non pas à l'amour, rvri esse et non pas en ville, parcvm et non pas prodigue, sobrivm et non pas insensé. 2 parcvm et sobrivm le contraire de « cur amat ? cur potat ? ». 3 rei dare operam comme le poète s'amuse à faire croire à Déméa toutes ces contre-vérités !

96
nullum huius simile factum857. haec cum illi, Micio,
Rien chez lui de semblable ! Et quand je l'accuse, Micion,

1 nvllvm hvivs simile factvm hac comparatione Micio tangitur, quasi ipsius culpa sit, non fratris. 2 nvllvm hvivs simile26 hoc cum admiratione indignantis est pronuntiandum et ardentibus in Micionem oculis; et subaudiendum est esse aut inueniri. 3 haec cvm illi micio dico tibi dico illi pro in illum et tibi pro in te.
1 nvllvm hvivs simile factvm par cette comparaison Micion est touché, comme si c'était sa faute à lui et non celle de son frère. 2 nvllvm hvivs simile il faut dire cela avec l'étonnement d'un homme en colère et des yeux ardents dardés contre Micion ; et il faut sous-entendre esse (il n'y a) ou inueniri (on ne trouve). 3 haec cvm illi micio dico tibi dico illi pour in illum et tibi pour in te.

97
dico, tibi dico: tu illum corrumpi sinis.
c'est toi que j'accuse : c'est toi qui le laisses se gâter.

1 tv illvm corrvmpi sinis deest nam, sed feruentius ἀσυνδέτως dicitur. 2 Et hoc tibi et tu pronuntiandum est intento digito et infestis in Micionem oculis; nam hoc agi stomacho aduersum dissimulatores solet. 3 tv illvm corrvmpi sinis mitius modo dixit sinis corrumpi, mox uehementius dicet «  an laudi putat fore si perdiderit gnatum? 37 ».
1 tv illvm corrvmpi sinis il manque nam (car) mais il y a plus d'ardeur avec l'asyndète (ἀσυνδέτως). 2 Et il faut prononcer tibi et tu en tendant le doigt et avec des yeux méchants pointés vers Micion ; car c'est ainsi qu'on agit habituellement à l'égard des dissimulateurs. 3 tv illvm corrvmpi sinis il dit sinis corrumpi avec plus de douceur ici que ce qu'il dira tout à l'heure : « an laudi putat fore si perdiderit gnatum ? ».

98
Mi.-homine inperito numquam quicquam iniustius est,
Mi.-Il n'y a rien jamais de plus injuste qu'un imbécile,

homine imperito nvmqvam qvicqvam inivstivs miro stomacho apud ipsum de ipso tamquam de altero loquitur.
homine imperito nvmqvam qvicqvam inivstivs avec une colère étonnante, il parle de lui en sa présence comme s'il parlait d'un autre.

99
qui nisi quod ipse fecit nihil rectum putat.
qui ne trouve bien que ce qu'il a fait.

nihil rectvm pvtat proprie putat, nam hoc uerbum imperitorum est. 2 Ordo est: "qui nihil rectum putat nisi quod ipse fecit". 3 qvi nisi qvod ipse fecit n. nihil r. rectvm p. pvtat ἰδιωτολογία: hoc enim proprium rusticorum atque imperitorum.
nihil rectvm pvtat putat au sens propre, car c'est un mot caractéristique d'un "imbécile" (imperitus)288. 2 L'ordre est : "qui nihil rectum putat nisi quod ipse fecit". 3 qvi nisi qvod ipse fecit nihil rectvm pvtat idiolectal (ἰδιωτολογία) : car cette idée est le propre des paysans et des imbéciles289.

100
De.-quorsum istuc? Mi.-quia tu, Demea, haec male iudicas.
Dé.-A quoi cela mène-t-il ? Mi.-C'est que tu juges mal, Déméa, sur ce point !

1 qvorsvm istvc "ut dicis"27. 2 qvia tv demea id est homo imperitus. 3 qvia tv demea male ivdicas28 pari uirtute haec leniter dicta sunt, qua superiora uehementer.
1 qvorsvm istvc "comme tu dis". 2 qvia tv demea c'est-à-dire un homme inculte. 3 qvia tv demea male ivdicas ces mots sont dits avec autant de douceur qu'il y avait de véhémence dans les précédents.

101
non est flagitium, mihi crede, adulescentulum
Il n'y a pas de scandale, crois-moi, à ce qu'un gamin

1 non est flagitivm non peccatum negat esse, sed flagitium non esse contendit, et ideo subindignanter pronuntiandum est. 2 Vt si dicat: "scortari quidem adulescentulum delictum est, sed non est flagitium", ut ueniae locus non tam in facto quam in persona sit constitutus. 3 non est flagitivm mihi crede advlescentvlvm scortari mire respondit et oratorie ad haec, quae inuidiose dicta sunt. nam quod ait ille eripuit mulierem quam amabat, hic «  scortari 38 » dicit, quod irruit in aedes alienas quasi ex uino furens, «  potare 39 », quod cum aliis graue propositum est, hoc solum dicendo leue reddidit, id est «  fores effringere 40 ». 4 mihi crede quasi imperito dicit mihi crede, non me intellege. quod imitatus Cicero sic Caecilium exagitat «  magna sunt enim ea quae dico, mihi crede: noli haec contemnere 41 »; hic enim et auctoritas dicentis et contemptus ostenditur audientis.
1 non est flagitivm il ne nie pas qu'il y ait faute, mais il défend l'idée que ce n'est pas un flagitium, et par là même il faut dire le mot avec une indignation contenue. 2 Comme s'il disait : "qu'un jeune homme coure les filles est une faute, mais ce n'est pas un flagitium", ce qui donne une place toute prête au pardon, non pas tant dans l'acte que dans la personne qui l'a commis. 3 non est flagitivm mihi crede advlescentvlvm scortari il répond de façon paradoxale et oratoire aux méchantes paroles qu'on lui a dites. Car là où l'autre disait « eripuit mulierem quam amabat », lui dit « scortari », là où l'autre disait « irruit in aedes alienas » comme sous l'emprise de la boisson, lui dit « potare », là où avec d'autres c'est une assertion grave, lui en la disant seulement il la rend légère, à savoir « fores effringere ». 4 mihi crede comme s'il parlait à un inculte, il dit mihi crede et non me intellege (comprends-moi). C'est en imitant cela que Cicéron asticote Caecilius : « magna sunt enim ea quae dico, mihi crede : noli haec contemnere » (ce sont de grandes choses que j'évoque, crois-moi ; ne les traite pas par le mépris). Car ici on sent à la fois l'autorité de celui qui parle et son mépris pour son auditeur.

102
scortari, neque potare: non est: neque fores
coure la gueuse, ou boive, non, non, ou enfonce

neqve potare non est neqve fores effringere haec si neqve ego neqve tv fecimvs quia dixit «  qui nisi quod ipse fecit nihil rectum putat 42 ».
neqve potare non est neqve fores effringere haec si neqve ego neqve tv fecimvs parce qu'il a dit : « qui nisi quod ipse fecit nihil rectum putat ».

103
effringere. haec si neque ego neque tu fecimus,
des portes. Tout ça, si ni toi ni moi ne l'avons fait,

104
non siit egestas facere nos: tu nunc tibi
c'est que notre pauvreté ne nous l'a pas permis : et maintenant, toi,

non siit egestas non uoluntas prohibuit sed necessitas, et ideo nulla laus.
non siit egestas ce n'est pas la volonté qui a fait obstacle, mais la nécessité ; de là, il n'y aucun éloge à en tirer.

105
id laudi ducis, quod tum fecisti inopia.
tu tires gloire d'un fait que tu ne dois qu'à la misère.

qvod tvm fecisti inopia nota fecisti in eo quod significat non fecisti.
qvod tvm fecisti inopia notez fecisti dans la mesure où il signifie non fecisti (ce que tu n'as pas fait)290.

106
iniurium est: nam si esset unde id fieret,
Ce n'est pas juste : car si nous avions eu de quoi le faire,

1 inivrivm est quia «  nihil quicquam iniustius homine imperito 43 ». 2 vnde id fieret fieret producta prima syllaba. Ennius «  memini me fieri pauum 44 ». 3 nam si esset vnde fieret29 non necessario consequens, sed probabiliter admittitur apud30 oratores; non enim omnis, qui habet unde faciat, continuo etiam facit.
1 inivrivm est parce que « nihil quicquam iniustius homine imperito ». 2 vnde id fieret fieret avec une première syllabe longue. Ennius : « memini me fieri pauum » (m'est avis que je deviens un paon)291. 3 nam si esset vnde fieret ce n'est pas une conséquence nécessaire mais on l'accepte comme probable, comme chez les orateurs ; car quiconque a les moyens d'agir n'agit pas pour autant séance tenante.

107
faceremus. et tu illum tuum, si esses homo,
nous l'aurions fait. Et toi, à ton garçon, si tu étais un homme,

et tv illvm tvvm si esses homo multum progressus est accusans accusantem.
et tv illvm tvvm si esses homo il a fait un grand pas en accusant son accusateur.

108
sineres nunc facere, dum per aetatem licet,
tu le laisserais faire maintenant, tant que son âge le lui permet,

109
potius quam, ubi te exspectatum eiecisset foras,
au lieu que, après t'avoir mis dehors les pieds devant,

1 exspectatvm odiosum et molestae uitae. nam filiis parentes aut amabiles aut expectati: amabiles boni, exspectati mali, quorum mors in dies singulos exspectanda et exoptanda sit. 2 Nam exspectamus ante diem, speramus ad diem; unde auidior intellegitur ille qui exspectat, quam ille qui sperat. 3 eiecisset foras non dicit amisisset, sed ut quiddam abiciendum eiecisset. 4 qvam vbi te exspectatvm eo rem perduxit, ut ipse uideatur magis consulere disciplinae quam Demea.
1 exspectatvm odieux et pénible à vivre. Car pour les fils, les pères sont ou amabiles ou expectati : amabiles ils sont bons, exspectati ils sont mauvais et il faut attendre (exspectare) et souhaiter leur mort jour après jour. 2 Car nous attendons (exspectamus) avant l'heure, mais nous espérons jusqu'à l'heure dite ; aussi comprend-on que soit plus avide celui qui attend que celui qui espère. 3 eiecisset foras il ne dit pas amisisset (après t'avoir perdu), mais eiecisset comme quelque chose dont il faut se débarrasser. 4 qvam vbi te exspectatvm il conduit son exposé au point de paraître plus attaché à l'éducation que Déméa.

110
alieniore aetate post faceret tamen.
il le fasse plus tard à un âge qui ne sera pourtant plus de mise.

1 alieniore aetate post faceret tamen ἀνακόλουθον: deest enim quamuis. 2 Et faceret ultimum magnam uim habet: nihil prodesset, insuper obesset retinere ab istis filium iuuenem. 3 Et alieniore pro aliena dicens comparatiuum gradum pro positiuo posuit.
1 alieniore aetate post faceret tamen anacoluthe (ἀνακόλουθον). Il manque en effet quamuis (bien que)292. 2 Et faceret en dernière position a une force particulière : il ne servirait de rien, il serait même nuisible de tenir à distance de ces plaisirs son jeune fils. 3 Et alieniore pour aliena (autre) ; il a mis le comparatif pour le positif.

111
De.-pro Iuppiter! tu, homo, adigis me ad insaniam.
Dé.-Par Jupiter ! toi, bonhomme, tu me rends fou.

1 pro ivppiter quia pro Iuppiter tragica exclamatio est, bene tamquam ipse se reprehenderet Demea adiecit tu homo rediges me ad insaniam. 2 Et tv homo dicens negat illi familiaritatem.
1 pro ivppiter comme pro Iuppiter est une exclamation de tragédie, il fait bien d'ajouter, comme si Déméa se corrigeait, tu homo rediges me ad insaniam293. 2 Et en disant tv homo il lui dénie le statut de membre de sa famille294.

112
non est flagitium facere haec adulescentulum? Mi.-ah,
Il n'y a pas de scandale à ce qu'un gamin fasse ça ? Mi.-Ah!

non est flagitivm facere haec moraliter indignatio expressa est isdem uerbis quae frater dixerat.
non est flagitivm facere haec conformément à son caractère il exprime son indignation en reprenant les mêmes mots que son frère avait utilisés.

113
ausculta, ne me obtundas de hac re saepius.
écoute, cesse de me rebattre les oreilles avec ça sans arrêt.

ne me obtvndas "ne me saepe et moleste interpelles". nam obtundere est saepe aliquid odiose repetere.
ne me obtvndas "cesse de m'interpeller souvent et de façon agressive". Car obtundere c'est répéter souvent quelque chose en marquant sa haine.

114
tuum filium dedisti adoptandum mihi:
Tu m'as donné ton fils à adopter :

tvvm filivm dedisti adoptandvm31 argumentatio per ἐπαγωγήν, quae inductio ab oratoribus dicitur, cum per interrogationem peruenimus ad id quod uolumus concludendum.
tvvm filivm dedisti adoptandvm argumentation par induction (ἐπαγωγή), laquelle s'appelle inductio chez les orateurs, lorsque par le biais de questions nous parvenons à la conclusion que nous souhaitons295.

115
is meus est factus: si quid peccat, Demea,
le voilà devenu mon fils. S'il cause des soucis, Déméa,

1 is mevs est factvs sic progreditur, quasi confessionis genus sit aduersarium tacuisse. 2 si qvid peccat demea conclusio dubiae rei a non dubiis sumpta. 3 si qvid peccat demea τῷ ἰδιωτισμῷ interposuit Demea et repetitum peccat.
1 is mevs est factvs il avance, comme si le silence de son adversaire était une sorte d'aveu. 2 si qvid peccat demea conclusion d'un fait douteux tirée de faits indubitables. 3 si qvid peccat demea par idiotisme (τῷ ἰδιωτισμῷ), il intercale Demea et répète peccat.

116
mihi peccat: ego illi maximam partem feram.
les soucis sont pour moi, c'est moi qui en prendrai la plus grande part.

1 ego illi maximam partem feram errant qui illi putant esse pronomen, cum sit aduerbium, ut «  illi mea tristia facta degeneremque Neoptolemum narrare memento 45 ». illi ergo: ibi, ubi ille peccat. quare quidam etiam li syllabam discretionis causa, ut locum significet, corripiunt. 2 Et maximam partem optime dicit: non enim uniuersam, quia non solus pater Aeschini est, sed maximam, quia hic magis est, cuius filius esse coepit per adoptionem. 3 feram sustinebo, tolerabo.
1 ego illi maximam partem feram ils font erreur ceux qui croient que illi est un pronom, dans la mesure où c'est un adverbe de lieu, comme dans : « illi mea tristia facta degeneremque Neoptolemum narrare memento » (n'oublie pas de raconter là-bas mes sinistres exploits et comment Néoptolème dégénère)296. Donc illi veut dire "à l'endroit où il est en faute". C'est la raison pour laquelle, par souci de différenciation, pour indiquer le lieu, certains abrègent la quantité de la syllabe li297. 2 Et maximam partem très bien dit : car il ne dit pas uniuersam (dans son entier), parce qu'il n'est pas le seul père d'Eschine, mais maximam parce qu'est davantage père celui dont le fils a été tel d'abord par l'adoption. 3 feram je soutiendrai, je tolèrerai.

117
obsonat, potat, olet unguenta? de meo;
Il fait la fête, il boit, il se parfume ? c'est à mes frais.

1 olet vngventa non dixit unguitur, ne haec exercitationis palaestricae, non luxuriae dicerentur. 2 obsonat potat olet vngventa a summo ad imum proposita soluuntur. 3 Et mira uarietas olet vngventa, ne diceret obsonat potat unguitur.
1 olet vngventa il ne dit pas unguitur (il ruisselle), pour que cela ne passe pas pour les suites d'un exercice de gymnastique, mais bien pour de la luxure. 2 obsonat potat olet vngventa les propositions sont vidées de leur substance et passent du très grave au très bénin298. 3 Et olet vngventa il y a une remarquable variation, pour éviter de dire obsonat potat unguitur.

118
amat? dabitur a me argentum, dum erit commodum;
Il est amoureux ? l'argent partira de mon compte, tant que je le jugerai bon.

1 amat πρὸς τὸ «  cur amat 46 ». 2 dvm erit commodvm dare scilicet.
1 amat se rapporte à (πρὸς τὸ) cur amat. 2 dvm erit commodvm évidemment de donner.

119
ubi non erit, fortasse excludetur foras.
Quand ce ne sera plus le cas, sans doute le mettra-t-on dehors.

1 vbi non erit non argentum scilicet sed commodum dare subaudiendum est. 2 fortasse exclvdetvr foras hoc ita intulit, quasi dicat, nihil sibi deperisse, si forte ad amicam gratis fuerit admissus. 3 Et totum hoc τῷ ἐξουθενισμῷ legendum est. 4 Mire32 fortasse dicit ut pater indulgens et credens adulescentem etiam amari ab amica posse; non enim affirmauit, ut diceret excludetur foras.
1 vbi non erit il faut sous-entendre non pas argentum, mais commodum dare. 2 fortasse exclvdetvr foras il infère cela comme s'il disait qu'il n'a rien perdu si le jeune homme a été reçu par sa maîtresse. 3 Et il faut lire tout cela avec un ton désinvolte (τῷ ἐξουθενισμῷ). 4 De façon étonnante il dit fortasse comme un père indulgent et que le jeune homme peut même être aimé de sa maîtresse ; car il n'a pas fait une affirmation catégorique, au point de dire excludetur foras (on le jettera dehors).

120
fores effregit? restituentur; discidit
Il a enfoncé une porte ? on la réparera ; il a déchiré

fores effregit restitventvr peruenit ad praesens crimen; illa enim ante acta fuerant.
fores effregit restitventvr le voilà parvenu au crime actuel : car les autres faits étaient antérieurs.

121
uestem? resarcietur. est dis gratia,
des vêtements ? on les recoudra. Grâce aux dieux

resarcietvr re abundat.
resarcietvr le préfixe re est pléonastique299.

122
et unde haec fiant, et adhuc non molesta sunt.
j'ai de quoi y pourvoir et pour l'instant cela ne me dérange pas.

1 et vnde haec fiant iterum subaudiendum est. 2 et adhvc non molesta svnt quia «  non est flagitium adulescentulum scortari 47 ».
1 et vnde haec fiant à nouveau il faut sous-entendre est. 2 et adhvc non molesta svnt parce que « non est flagitium adulescentulum scortari ».

123
postremo aut desine aut cedo quemuis arbitrum:
Pour finir, arrête ou donne-nous l'arbitre de ton choix :

124
te plura in hac re peccare ostendam. De.-ei mihi!
c'est toi le plus coupable en cette affaire, je le prouveraii. Dé.-Misère de moi !

125
pater esse disce ab illis qui uere sciunt.
apprends donc la paternité de ceux qui la connaissent réellement.

pater esse disce ab aliis superbum fuerat a me dicere; melius ergo ab aliis dictum est.
pater esse disce ab aliis c'eût été orgueilleux de dire a me (de ma bouche) ; donc ab aliis est mieux dit.

126
Mi.-natura tu illi pater es, consiliis ego.
Mi.-Toi, c'est la nature qui t'a fait son père, moi, ce sont les conseils.

1 natvra tv illi pater es urbane Micio: plus enim ad laudem ualet consilium quam natura. et simul ostendit poeta uerbis Micionis, qui non natura sed affectu sit pater33, nullum patrem esse sapientem, eum uero posse sine perturbatione perfrui his quos amat, quem patrem esse consilium fecerit, non natura, hoc est qui filium adoptauerit. 2 Et mire cum naturam singulariter dixerit, plurariter intulit consilia sua.
1 natvra tv illi pater es c'est spirituellement dit de la part de Micion ; car la décision (consilium) mérite plus d'éloge que la nature (natura). Et en même temps le poète montre, par cette réplique de Micion, qui n'est pas père par nature mais par affection, qu'aucun père n'est sage, mais que celui qui peut sans passion profiter en toute occasion des gens qu'il aime est celui qu'une décision a rendu père, non pas la nature, donc celui qui a adopté un fils. 2 Et étonnamment, alors qu'il avait dit natura au singulier, il a mis au pluriel ses consilia.

127
De.-tu consulis858 quicquam? Mi.-et si pergis859, abiero.
Dé.-Toi tu conseilles en quoi que ce soit ? Mi.-Si tu continues, je vais m'en aller.

1 tv consvlis qvicqvam apertior contumelia, et ideo sequitur denuntiatio discedendi. 2 tv consvlis qvicqvam quia praedixit «  consiliis ego pater sum 48 », a coniugatis argumentatus respondit tu consulis quicquam quia a consulendo consilia dicuntur et consultores. 3 si pergis abiero ut «  donec me flumine uiuo abluero 49 ». 4 si pergis abiero ἀρχαϊσμός pro abibo. 5 Et hoc gestu abeuntis uel abituri pronuntiatur.
1 tv consvlis qvicqvam l'injure est plus nette et c'est ce qui explique l'annonce qu'il va s'en aller. 2 tv consvlis qvicqvam parce qu'il avait dit ci-dessus « consiliis ego pater sum », il fait une réponse en argumentant par des mots de même famille tu consulis quicquam, parce que consilia et consultores viennent de consulere300. 3 etsi pergis abiero comme dans : « donec me flumine uiuo abluero » (jusqu'à ce que je me sois baigné dans une eau vive)301. 4 etsi pergis abiero emploi archaïque (ἀρχαϊσμός) du futur antérieur pour le futur abibo. 5 Et cette réplique est prononcée avec le geste de celui qui s'en va ou qui s'apprête à s'en aller.

128
De.-sicine agis? Mi.-an ego totiens de eadem re audiam?
Dé.-Tu le prends comme ça ? Mi.-Mais aussi pourquoi devrais-je entendre parler sans arrêt de la même chose ?

1 sicine agis recte, quia iam abibat: quasi reuocantis correptio est. 2 an ego totiens hoc conuersum intellegas dicere. 3 avdiam deest te, sed durum fuit. 4 Et hoc est obtundere.
1 sicine agis bien, parce qu'il partait déjà : c'est comme le reproche de quelqu'un qui rappelle son interlocuteur. 2 an ego totiens on doit comprendre qu'il dit cela en se retournant. 3 avdiam il manque te, mais c'eût été désagréable. 4 Et cela revient à obtundere.

129
De.-curae est mihi. Mi.-et mihi curae est. uerum, Demea,
Dé.-C'est que ça me soucie. Mi.-Et moi aussi, ça me soucie. Mais, Déméa,

cvrae est mihi Aeschinus scilicet.
cvrae est mihi implicitement Eschine.

130
curemus aequam uterque partem: tu alterum,
partageons équitablement les soucis toi et moi : toi l'un,

cvremvs aeqvam vterqve proprie uterque et aequam quasi particeps fratris.
cvremvs aeqvam vterqve uterque au sens propre et aequam au sens de "en se partageant entre frères".

131
ego item alterum. nam ambos curare propemodum
moi l'autre, pareil. Car s'occuper des deux à la fois, c'est à peu près

propemodvm nisi addidisset propemodum, falsa uideretur esse sententia.
propemodvm s'il n'avait pas ajouté propemodum, la phrase semblerait fausse302.

132
reposcere illum est quem dedisti. De.-ah, Micio!
comme vouloir récupérer celui que tu m'as donné. Dé.-Ah! Micion.

ah micio religiose commotus est. ac ueluti incusatio est perfidiae, et ideo exclamat dolens et transit in iracundiam concessionemque, quae ἐπιτροπή dicitur.
ah micio ses scrupules l'ébranlent. Et comme c'est un reproche de perfidie, il pousse une exclamation de douleur et passe à la colère et à la concession, ce qui s'appelle une invocation (ἐπιτροπή).

133
Mi.-mihi sic uidetur. De.-quid istic? tibi si istuc placet,
Mi.-Je le vois ainsi. Dé.-Que dire ? Si c'est ta décision,

1 mihi sic videtvr rationabiliter non sic est dixit, sed sic uidetur: non uult enim uerum esse. 2 qvid istic deest loquor aut resisto, nam proprie significatio est de sententia sua decedentis.
1 mihi sic videtvr de façon raisonnée, il ne dit pas sic est (il en est ainsi), mais sic uidetur : car il ne veut pas que ce soit la vérité. 2 qvid istic il manque loquor (que dire ?) ou resisto (pourquoi résister ?), car c'est proprement la marque de celui qui renonce à son opinion.

134
profundat, perdat, pereat! nihil ad me attinet.
qu'il gaspille, qu'il perde, qu'il se perde ! Ça ne me concerne pas.

1 profvndat perdat ἐπιτροπή figura. Vergilius «  i, sequere Italiam uentis, pete regna per undas 50 ». 2 profvndat perdat haec sic pronuntianda sunt, ut ostendatur gestu nolle quod loquitur.
1 profvndat perdat figure de l'invocation (ἐπιτροπή). Virgile : « i, sequere Italiam uentis, pete regna per undas » (va, poursuis vers l'Italie porté par les vents, va te chercher un royaume de l'autre côté des flots)303. 2 profvndat perdat il faut prononcer cette tirade avec un geste qui montre qu'il ne veut pas ce qu'il est en train de dire.

135
iam si uerbum unum posthac... Mi.-rursum, Demea,
Si un seul mot à l'avenir... Mi.-Voilà que tu remets ça, Déméa,

1 si verbvm vnvm posthac ἀποσιώπησις: deest tibi fecero aut tale quid. 2 rvrsvm34 quasi: "cur rursum irasceris?".
1 si verbvm vnvm posthac aposiopèse (ἀποσιώπησις) : il manque tibi fecero (je te fais) ou quelque équivalent. 2 rvrsvm comme s'il disait "pourquoi te remets-tu en colère ?".

136
irascere? De.-an non credis? repeton quem dedi?
avec ta colère. Dé.-Et tu ne crois pas que... Moi, te reprendre celui que je t'ai donné ?

1 an non credis irasci scilicet. 2 repeton qvem dedi minus erat si Aeschinum diceret; plus est quem dedi. 3 repeton qvem dedi rusticani stomachi est repetere semper uerba, quae inuitus audierit.
1 an non credis implicitement irasci (se mettre en colère). 2 repeton qvem dedi c'eût été moins fort s'il avait dit "Eschine" ; quem dedi est plus fort. 3 repeton qvem dedi c'est la caractéristique de la colère d'un paysan que de répéter toujours les mots qu'il a entendus avec déplaisir304.

137
aegre est; alienus non sum; si obsto... em desino.
Je regrette, mais je ne suis pas un étranger pour lui. Si je m'oppose... Bon, j'arrête.

1 aegre est quasi dictum sit: "quid ergo loqueris?" quod aegre est; "cur aegre est?" quia alienus non sum. 235 Quasi timeat iam dicere pater sum. 3 alienvs non svm satis cum stomacho; "si patrem iam me esse non licet", alienus non sum.
1 aegre est comme s'il avait dit : "que dis-tu donc ?" ; quelque chose qui me coûte (aegre est) ; "pourquoi t'en coûte-t-il ?" ; parce que alienus non sum. 2 Comme s'il craignait maintenant de dire "je suis son père". 3 alienvs non svm de façon quelque peu colérique ; "s'il ne m'est plus permis d'être son père, au moins alienus non sum".

138
unum uis curem? curo. et est dis gratia,
Tu veux que je m'occupe d'un seul ? Soit. Et c'est une bénédiction

139
cum ita ut uolo est; iste tuus ipse sentiet
qu'il soit comme je le souhaite. Le tien, de lui-même, s'apercevra

1 iste tvvs memoriter iste tuus ad illud quod dixerat «  meus est factus 51 ». 2 iste tvvs ipse sentiet quantus sis quantumque eum ames, hoc est decipietur per indulgentiam tuam. 3 ipse sentiet sentire multi pro malo posuerunt, ut ipse alibi «  sit rogas? sensi. nam unam ei cenam atque eius comitibus dedi 52 ». 4 iste tvvs ipse sentiet posterivs nolo in illvm36 scilicet quam hoc. 5 nolo in i. illvm 37 nec enim Demea satis hoc graue existimat dictum in eum, qui non prouideat in futurum, et38 aptius, quia pater est.
1 iste tvvs iste tuus est un rappel de ce qu'il avait dit : « meus est factus ». 2 iste tvvs ipse sentiet compléter "comme tu es important et comme tu l'aimes", c'est-à-dire qu'il sera trompé par ton indulgence. 3 ipse sentiet beaucoup supposent que sentire est connoté négativement, comme on le voit ailleurs chez Térence : « sit rogas ? sensi. Nam unam ei cenam atque eius comitibus dedi » (Tu me demandes si elle y est ? J'ai senti ma douleur. Car je lui ai donné un repas à elle et à ses compagnes). 4 iste tvvs ipse sentiet posterivs nolo in illvm implicitement quam hoc (que cela). 5 nolo in illvm en même temps en effet Déméa ne pense pas avoir parlé assez sévèrement de lui, parce qu'il ne sait pas envisager l'avenir, et c'est plus adapté, parce qu'il est père.

140
posterius... nolo in illum grauius dicere.
plus tard... Mais je ne veux pas l'accabler davantage.

141
Mi.-neque nihil860 neque omnia haec sunt quae dicit tamen;
Mi.-Ce n'est ni tout blanc ni tout noir, ce qu'il dit tout de même.

1 neqve nihil... non nihil λιτότης figura est conueniens placidissimo seni, qui in reprehendendo adulescente moderatur. 2 neqve nihil apparet Terentium fauere lenissimis patribus, unde subiecit etiam rationem facti Micioni seni. 3 neqve omnia haec svnt qvae dicit tamen bene a Micione hoc dicitur, quia indulgentioris est plura scire et supra dixit «  ea ne me celet consuefeci filium 53 ». 4 Et hic sensus est: nec contemnenda sunt quae dicit nec omnia dicit tamen, hoc est: non haec sola sunt quae dicit, sed alia multa sunt. et ordo: neque tamen.
1 neqve nihil... non nihil figure de la litote (λιτότης), qui convient bien à un vieillard très serein, qui, quand il fait des reproches à un jeune homme, se montre modéré. 2 neqve nihil il semble que Térence se montre favorable aux pères doux, c'est pourquoi il ajoute aussi une justification de l'attitude adoptée par le vieillard Micion305. 3 neqve omnia haec svnt qvae dicit tamen il a bien fait de mettre cela dans la bouche de Micion, parce que c'est le propre du personnage plus indulgent que d'en savoir davantage et il a dit plus haut : « ea ne me celet consuefeci filium ». 4 Et le sens est : il ne faut pas mépriser ce qu'il dit, et encore il ne dit pas tout, c'est-à-dire : il n'y a pas que ce qu'il a dit mais il y a beaucoup d'autres faits, et l'ordre est neque tamen.

142
non nihil molesta haec sunt mihi; sed ostendere
Tout cela n'est pas sans me causer quelque désagrément ; mais lui montrer

1 non nihil molesta placidissime «  neque nihil 54 » dixit et non nihil maluit repetere quam uehementer iracundiam demonstrare. est enim altera λιτότης. 2 non nihil molesta haec svnt mihi optime poeta Micionem commotum fecit, ne si omnino immobilis esset, non indulgere adoptiuo filio, sed omnino eum non curare uideretur. ergo sic in eo seruat placidum animum, ut tamen retineat patris affectum. 3 sed ostendere me aegre constat ergo «  aegre pati 55 »; nam aliter non erat parens.
1 non nihil molesta il a dit neque nihil de façon très sereine et il préfère répéter non nihil plutôt que de laisser paraître vivement sa colère. Car c'est une seconde litote (λιτότης). 2 non nihil molesta haec svnt mihi de très bonne façon, le poète fait ressentir à Micion de l'émotion, pour éviter qu'on croie, s'il était tout à fait insensible, non pas qu'il a de l'indulgence pour son fils adoptif, mais plutôt qu'il n'en a absolument pas cure. Donc il lui fait conserver sa sérénité tout en lui faisant garder son amour paternel. 3 sed ostendere me aegre il est donc clair que « aegre pati » (il le prend mal) ; de fait, sinon, il ne serait pas un père.

143
me aegre pati illi nolui. nam ita est homo:
que je le prenais mal, ça je n'ai pas voulu. Car le bonhomme est ainsi fait :

1 illi Demeae scilicet. 2 Aut: illic, ubi Demea litigabat. 3 nam ita est homo moraliter homo dixit; sic enim de his dicimus, quos parce reprehendimus; ut alibi «  ut homo est, ita morem geras 56 ».
1 illi implicitement "à Déméa". 2 Ou : équivaut à illic (là), à l'endroit où Déméa le querellait306. 3 nam ita est homo en conformité avec son caractère, il dit homo ; car c'est ainsi que nous nous exprimons quand nous faisons un reproche modéré ; ainsi ailleurs : « ut homo est, ita morem geras ».

144
cum placo, aduersor sedulo et deterreo,
quand j'essaie de le calmer, de lui tenir tête résolument et de le dissuader,

cvm placo id est: "cum uolo placare".
cvm placo c'est-à-dire : "quand je veux l'apaiser".

145
tamen uix humane patitur; uerum si augeam
il a du mal à le supporter en homme ; mais si je renchérissais

vervm si avgeam argumentum a contrario, nam placare contrarium est irritantibus augentibusque iracundiam.
vervm si avgeam argument par le contraire, car placare est le contraire de vouloir irriter et attiser la colère.

146
aut etiam si adiutor eius sim iracundiae,
ou même me faisais l'auxiliaire de sa colère,

avt etiam si39 adivtor eivs sim iracvndiae σύλλημψις, nam a genetiuo casu accusatiuus assumptus est.
avt etiam si adivtor eivs sim iracvndiae il y a une syllepse (σύλλημψις), car l'accusatif a été remplacé par le génitif307.

147
insaniam profecto cum illo. etsi Aeschinus
sûr que je deviendrais fou avec lui ! Toutefois, Eschine

etsi aeschinvs nonnvllam in hac re rursus λιτότης, ut sit mitis reprehensio et hoc ipso grauis. nam etsi et nonnullam magis temperamento sunt posita.
etsi aeschinvs nonnvllam in hac re encore une litote (λιτότης), pour que le reproche soit adouci et par là même digne. Car etsi et nonnullam sont mis là pour que le propos soit plus tempéré308.

148
nonnullam in hac re nobis facit iniuriam.
nous a bien causé du tort dans cette affaire.

149
quam hic non amauit meretricem? aut cui non dedit
Y a-t-il une courtisane d'ici dont il n'ait été amoureux ? à qui il n'ait pas donné

1 qvam hic non amavit meretricem avt cvi non dedit ἠθικῶς ὑπερβολή 40 quam non et cui non; ea tamen haec sunt, ut non graui sono accusationis proferantur, sed solam reprehensionem contineant; aliquid uero admirandum est, quod addidit meretricem ut os ostendatur41 Micionis hoc solum adhuc scientis et nihil de uitiata uirgine. 2 qvam hic non amavit meretricem et hoc cum uenia et defensione, nam colere meretricem flagitium42 est. simul etiam uitiatae uirginis adhuc ignarus ostenditur Micio. 3 non dedit aliqvid aliquid dicendo praetermisit uel mercedem uel numerum.
1 qvam hic non amavit meretricem avt cvi non dedit conformément à son caractère, hyperbole (ἠθικῶς ὑπερβολή) : il dit quam non et cui non309 ; pour autant, il ne faut pas prononcer cela avec le ton grave de l'accusateur, mais en marquant seulement du reproche ; il y a quelque chose en revanche d'étonnant : c'est qu'il ajoute meretricem, pour montrer la tête de Micion, au courant pour l'instant de cet épisode seulement mais ignorant du viol de la jeune fille. 2 qvam hic non amavit meretricem et cela est dit avec indulgence et en le défendant, car entretenir une courtisane est un scandale310. En même temps, il est prouvé que Micion est encore ignorant du viol de la jeune fille. 3 non dedit aliqvid en disant aliquid il passe sous silence le prix et la fréquence.

150
aliquid? postremo nuper (credo iam omnium
quelque chose ? Enfin, dernièrement (à mon avis, toutes les autres

credo iam omnivm taedebat παρένθεσις πρώτη: etenim addimus ad ea, quae apud nos parum certa sunt, aut credo aut puto.
credo iam omnivm taedebat parenthèse de la première catégorie (παρένθεσις πρώτη) : de fait nous ajoutons à côté de ce dont nous ne sommes pas trop sûrs credo ou puto (je crois)311.

151
taedebat) dixit uelle uxorem ducere.
l'ennuyaient), il a dit vouloir prendre épouse.

dixit velle vxorem mirum est apud Terentium, cur etiam per nescias personas indicet argumenta. nam cum Micio nesciat amari ab Aeschino ciuem uirginem, tamen dicit «  credo iam omnium taedebat et dixit uelle uxorem ducere 57 ». sic ex parte magna ostendit nescius argumentum ideo, quia ueri simile est amantissimum Aeschini Micionem omnes scire affectus adulescentis et consuetudines. et apparet praeterea conatum ex parte fateri uitiatum amore Aeschinum et pudore impeditum tantum hoc dixisse quod honeste potuit, uelle se uxorem ducere, quam uellet, tacuisse confusum.
dixit velle vxorem il est étrange chez Térence qu'il indique l'argument de la pièce y compris par l'intermédiaire de personnages qui ne sont pas au courant. Car alors que Micion n'est pas au courant qu'Eschine est amoureux d'une jeune fille citoyenne, il dit tout de même « credo iam omnium taedebat et dixit uelle uxorem ducere ». Ainsi pour une bonne part il dévoile sans le savoir l'argument de la pièce parce qu'il est vraisemblable que, par l'affection qu'il a pour Eschine, Micion connaisse toutes les passions du jeune homme et ses habitudes. Et il est clair en outre que, contraint d'avouer en partie qu'Eschine a été dépravé par l'amour, mais empêché de le reconnaître par sa retenue, il dit seulement ce qu'il peut dire honnêtement, à savoir qu'il veut prendre femme, mais il tait, dans sa confusion, qui est celle qu'il désire312.

152
sperabam iam deferbuisse861 adulescentiam:
J'espérais que c'en était fait de l'effervescence de la jeunesse.

1 sperabam iam defervisse advlescentiam recte sperabam et gaudebam: sic enim dicimus, cum errasse nos cernimus. 2 Et mire non dixit sperabam illum iam correctum, sed mitis senex totum aetati attribuit, nihil filio. 3 defervisse advlescentiam seruat propositum circa aetatis ueniam. 4 deferbvisse quasi "deorsum a feruore tenuisse". 5 legitur et deseruisse43.
1 sperabam iam defervisse advlescentiam emploi correct de sperabam et de gaudebam : ainsi nous exprimons-nous quand nous voyons que nous nous sommes trompés313. 2 Et de façon étonnante, il ne dit pas sperabam illum iam correctum (j'espérais qu'il s'était désormais corrigé), mais le vieillard indulgent met tout sur le compte de l'âge et rien sur celui de son fils. 3 defervisse advlescentiam il conserve la proposition sur l'indulgence à l'égard de l'âge. 4 deferbvisse équivaut à "retenir en deçà de la ferveur"314. 5 On lit aussi deseruisse (abandonner).

153
gaudebam. ecce autem de integro! nisi quidquid est
J'étais content. Et nous revoilà à la case départ ! Mais, quoi qu'il en soit,

1 ecce avtem de integro nisi qvicqvid est ἀποσιώπησις prima, quia non uult credere. 2 nisi qvicqvid est deest quia, ut sit nisi quia. est etenim sensus: "nisi quia non temere credo et uolo scire quicquid est".
1 ecce avtem de integro nisi qvicqvid est aposiopèse de première catégorie (ἀποσιώπησις), parce qu'il ne veut pas le croire. 2 nisi qvicqvid est il manque quia, pour faire nisi quia. Et de fait le sens est : "sauf que je ne crois pas à la légère et que je veux savoir ce qu'il en est".

154
uolo scire atque hominem conuenire, si apud forum est.
je veux en avoir le cœur net et aller trouver mon homme, s'il est au forum.

Actus alter

scaena prima

Sannio Aeschinus Bacchis Parmeno

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155
Sa.-obsecro, populares, ferte misero atque innocenti auxilium!
Sa.-Je vous en supplie, concitoyens, apportez à un malheureux et à un innocent votre secours !

1 obsecro popvlares popularitas in omnis rei consortium sumitur; nunc autem populares ciues dicit. et hoc est quod ueteres quiritari dicebant: "quirites conclamare". 2 obsecro popvlares ferte misero atqve innocenti avxilivm hic exemplum est contumeliosi per potentiam diuitis et in perniciem suam pauperis contumacis. 3 misero atqve innocenti avxilivm svbvenite i. inopi 44 tria sunt: miser, innocens, inops.
1 obsecro popvlares popularitas s'emploie pour toute sorte de groupement d'hommes ; ici, par populares il veut dire ciues (citoyens). Et c'est ce que les Anciens voulaient dire par quiritari (crier) : "appeler au secours les quirites"315. 2 obsecro popvlares ferte misero atqve innocenti avxilivm on voit ici l'exemple d'un homme riche que sa puissance rend agressif et d'un pauvre qui se bat pour sa propre perte. 3 misero atqve innocenti avxilivm svbvenite inopi il ya trois aspects : il est pauvre (miser), innocent (innocens), sans assistance (inops).

156
subuenite inopi! Ae.-otiose nunc iam ilico hic consiste.
Venez à l'aide d'un homme sans ressource ! Es.-Et maintenant, arrête-toi ici tranquillement.

1 svbvenite inopi uide quam posteriora uehementiora sunt ad incendendum populum: primo «  miserum 58 », post «  innocentem 59 », ad ultimum inopem posuit, et primo «  ferte auxilium 60 », post subuenite. 2 Et totum hoc principium a beniuolentia sumitur, quae comparatur ex inuidia potentiae Aeschini; nam contraria uult intellegi esse in Aeschino. 3 otiose nvnciam otiose secure, nam nisi qui securus est non est otiosus. 4 ilico modo locum, non tempus significat. 5 otiose nvnc iam ilico hic consiste simul imperauit modum, tempus, locum, factum: modum otiose, tempus nunc, locum hic, factum consiste; nam iam et ilico alterum tempori adiungitur, alterum loco. 6 Et consistere est audacter et constanter stare, ut «  constitit in digitos extemplo arrectus uterque 61 ».
1 svbvenite inopi voyez comme la suite devient plus virulente, pour provoquer la révolte du public : il dit d'abord « miserum », puis « innocentem », enfin inops, et d'abord « ferte auxilium », puis subuenite316. 2 Et tout ce début est une recherche de bienveillance, qui est mise en comparaison avec l'attitude orgueilleuse de la puissance d'Eschine; car il veut faire comprendre que pour Eschine c'est le contraire. 3 otiose nvnciam otiose signifie "en sécurité", car si on n'est pas en sécurité, on n'est pas de "loisir"317. 4 ilico est parfois un complément de lieu, et non de temps. 5 otiose nvnc iam ilico hic consiste il donne un ordre qui porte en même temps sur la manière, le temps, le lieu et le fait : la manière avec otiose, le temps avec nunc, le lieu avec hic, le fait avec consiste ; car iam et ilico sont associés pour l'un au temps, pour l'autre au lieu318. 6 Et consistere c'est se tenir debout avec audace et en tenant bon, comme dans : « constitit in digitos extemplo arrectus uterque » (l'un et l'autre, soudain dressés sur la pointe de leurs orteils, tinrent bon).

157
quid respectas? nil pericli est: numquam, dum ego adero, hic te tanget.
Que regardes-tu derrière ? Il n'y a pas de danger : jamais, tant que je serai là, ce type ne te touchera.

nvnqvam pro non. Vergilius «  numquam omnes hodie moriemur inulti 62 ».
nvnqvam mis pour non. Virgile : « numquam omnes hodie moriemur inulti » (nous ne mourrons pas tous aujourd'hui sans être vengés).

158
Sa.-ego istam inuitis omnibus...!
Sa.-Moi, celle-ci, que vous le vouliez ou non vous tous... !

1 istam invitis omnibvs deest abducam. 2 ego istam invitis omnibvs bona ἔλλειψις: nemo enim plane loquitur, qui luctatur.
1 istam invitis omnibvs il manque abducam (je l'enlèverai). 2 ego istam invitis omnibvs bonne ellipse (ἔλλειψις) : car personne ne fait des phrases complètes dans un affrontement319.

159
Ae.-quamquam862 scelestus, non committet hodie umquam iterum ut uapulet.
Es.-Il a beau être un scélérat, il ne fera rien de grave aujourd'hui sans morfler une deuxième fois.

1 qvamqvam scelestvs non committet ἀνακόλουθον primum, nam cum praeposuisset quamquam, non subiecit tamen. 2 itervm vt vapvlet uiuaciter poeta priorem litem sustulit dicendo iterum, ut non eadem lis esset, de qua supra questus est Demea, sed instaurata noscatur. 3 committet perficiet; sed hoc proprie de illicitis et puniendis facinoribus dicimus. simul hic ostendit comicus adulescens caedem se lenoni inuitum intulisse et id fecisse et facere lenonis culpa, non sua.
1 qvamqvam scelestvs non committet anacoluthe (ἀνακόλουθον) de première catégorie, car après avoir écrit quamquam, il n'a pas continué avec tamen320. 2 itervm vt vapvlet par souci de vivacité, le poète a supprimé la première rixe en disant iterum, pour que l'on comprenne qu'il ne s'agit pas de la même rixe que celle dont se plaignait Déméa, mais qu'on la reconnaisse comme une rixe qui recommence. 3 committet il accomplira (perficiet) ; mais au sens propre c'est pour des actes illicites et qu'il faut punir qu'on l'emploie. Et en même temps, le jeune homme de comédie montre ici que c'est malgré lui qu'il a massacré le proxénète et que s'il l'a fait et continue à le faire, c'est de la faute du proxénète et non de la sienne.

160
Sa.-Aeschine, audi, ne te ignarum fuisse dicas meorum morum,
Sa.-Eschine, écoute, pour que tu ne puisses pas dire que tu ignorais mon mode de vie,

161
leno ego sum... Ae.-scio. Sa.-...at ita, ut usquam fuit fide quisquam optima.
je suis un proxénète, moi... Es.-Je sais. Sa.-...mais de toute confiance, s'il en fut jamais.

1 leno svm leno terribiliter pronuntiandum, quasi dicat cui supplex eris; sed ex argumento est, quod contemnit Aeschinus lenonis minas, utpote qui iam uxorem decreuerit ducere. 2 scio hic sic respondit, quasi in lenone minutio capitis tantum consisteret. 3 fide qvisqvam optima fides in concipiendis comminationibus denuntiatio comminantis est.
1 leno svm il faut dire leno avec un ton effrayant, comme s'il disait "un proxénète que tu supplieras bientôt" ; mais c'est du fait de l'intrigue qu'Eschine méprise les menaces du proxénète, dans la mesure où il a déjà décidé de prendre femme. 2 scio il fait cette réponse comme si la déchéance portait seulement sur le proxénète. 3 fide qvisqvam optima la loyauté (fides) à concevoir des menaces est une dénonciation de celui qui fait les menaces.

162
tu quod te posterius purges, hanc iniuriam mihi nolle
Mais toi, pour ce qui est de tes excuses après coup, que tu n'aurais pas voulu que cet affront me

163
factam esse, huius non faciam. crede hoc, ego meum ius persequar:
soit fait, je m'en soucie autant que de ça. Sois-en sûr, moi j'irai au bout de mes droits.

1 hvivs non faciam figurate quod te purges, huius non faciam. 2 Ergo quod te purges id est: purgationem tuam. huius autem δεικτικόν: aut enim stipulam aut floccum mouerat aut summum digitum. 3 ego mevm ivs perseqvar hoc est lenonum. 4 mevm ivs "meam libertatem". 5 mevm ivs "meam uindictam", nam ut illa «  iniuria 63 » est, quae fit innoxio, ita ius uindicta illa, quae redditur reo. 6 perseqvar ulciscar. Cicero «  tu, dum tuas iniurias per te - id quod non potes - persequi conaris 64 ». 7 hvivs non faciam Cicero «  ne tantulum quidem commotus est 65 ».
1 hvivs non faciam au sens figuré quod te purges, huius non faciam. 2 Donc quod te purges c'est : "tes excuses" (purgationem tuam). Quant à huius, c'est un déictique (δεικτικόν) : car il bougeait un brin de paille, un flocon ou le bout de son ongle321. 3 ego mevm ivs perseqvar c'est-à-dire le droit des proxénètes. 4 mevm ivs "ma liberté". 5 mevm ivs "la chose que je revendique", car de même que l'injustice (iniuria) est celle qui est faite à un innocent, de même la justice (ius) est la chose revendiquée qui est rapportée à l'accusé322. 6 perseqvar "je tirerai vengeance". Cicéron : « tu, dum tuas iniurias per te - id quod non potes - persequi conaris » (toi, pendant que tu essaies de poursuivre les injustices dont tu es victime - ce que tu ne peux faire). 7 hvivs non faciam Cicéron : « ne tantulum quidem commotus est » (il n'a pas été ébranlé ne fût-ce qu'un petit peu)323.

164
neque tu uerbis solues umquam, quod mihi re male feceris.
Et ce n'est pas de paroles que tu me paieras jamais le méchant tour que tu m'as joué.

1 neqve tv verbis solves vmqvam qvod mihi re male feceris γνωμικῶς. 2 Et solves "lues", "persolues", id est "satisfacies ac te purgabis". 3 re male feceris acuendum est re et significanter proferendum: ibi enim sententia est. 4 Et plus dixit male feceris quam iniuriam feceris.
1 neqve tv verbis solves vmqvam qvod mihi re male feceris sentencieusement (γνωμικῶς). 2 Et solves "tu acquitteras", "tu paieras", c'est-à-dire "tu donneras satisfaction et t'amenderas". 3 re male feceris il faut accentuer d'un aigu re et le prononcer comme si le mot était pris dans son sens fort : car c'est là qu'est le sens324. 4 Et il dit plus en disant male feceris qu'iniuriam feceris (tu as commis une injustice).

165
noui ego uestra haec « nollem factum »: ius iurandum dabitur te esse
Je connais vos « je regrette ce que j'ai fait ». Il y aura un serment pour me jurer : « tu

1 novi ego vestra haec ἔλλειψις; deest enim uerba. 2 ivs ivrandvm dabitvr hoc est: "iurabimus te indignum esse, cui iniuria fiat huiusmodi". 3 Aut separatim iusiurandum dabitur et separatim te esse indignum iniuria hac. 4 Et sic melius: uerba enim satisfacient, cum res colligitur in generalibus causis. nam saepe irae ac lites sunt iureiurando terminatae.
1 novi ego vestra haec ellipse (ἔλλειψις) ; il manque en effet uerba (des mots). 2 ivs ivrandvm dabitvr c'est-à-dire "nous jurerons que tu es indigne qu'on te fasse une injustice de ce genre". 3 Ou alors il faut séparer iusiurandum dabitur et te esse indignum iniuria hac325. 4 Et c'est mieux ainsi : car les mots donneront satisfaction quand l'affaire concerne des causes générales. Car souvent les disputes et les rixes se terminent par un serment.

166
indignum iniuria hac, indignis cum egomet sim acceptus modis.
ne mérites pas cet affront », alors que ce qui n'est pas mérité, c'est la manière dont j'ai été reçu.

indignvm inivria hac comice indignum...indignis.
indignvm inivria hac procédé comique avec indignum...indignis326.

167
Ae.-abi prae strenue ac fores aperi. Sa.-ceterum hoc nihil863 facis?
Es.-Passe devant, en force, et ouvre la porte. Sa.-Par ailleurs, tu comptes mes paroles pour rien ?

1 abi prae strenve aut abi prae "prior abi", "praei", ut «  i prae, sequor 66 », aut praestrenue ut «  praediuitis urbe Latini 67 ». 2 abi prae strenve magna contemptio minarum lenonis, non respondisse Aeschinum ad ea quae dixit. 3 cetervm hoc nihil facis nihil pro non. 4 Legitur et nihili.
1 abi prae strenve soit abi prae (pars le premier, passe devant), comme dans : « i prae, sequor », soit praestrenue (très vigoureusement), comme dans : « praediuitis urbe Latini » (Latinus, très riche de sa cité)327. 2 abi prae strenve c'est une marque de grand mépris pour les menaces du proxénète de la part d'Eschine que de ne pas répondre à ses paroles. 3 cetervm hoc nihil facis nihil mis pour non. 4 On lit aussi nihili328.

168
Ae.-i intro nunc iam tu. Sa.-at enim864 non sinam. Ae.-accede illuc, Parmeno:
Es.-Et toi, maintenant, entre. Sa.-Mais enfin, je ne vais pas laisser faire. Es.-Avance là-bas, Parménon :

At enim non sinam enim inceptiua particula apud ueteres fuit, sed et conuenit perturbato45.
at enim non sinam enim était une particule de début de phrase chez les Anciens, mais elle convient aussi au style d'un homme sous le coup d'une émotion.

169
nimium istuc abisti: hic propter hunc adsiste: em sic uolo!
non, là tu es allé trop loin ; ici, mets-toi près de lui. Voilà, parfait !

1 nimivm istvc abisti quasi ex contumacia lenonis appareat, quam multum abierit. 2 propter hvnc "iuxta hunc", ut Vergilius «  templum de marmore ponam propter aquam 68 ». 3 em sic volo mire comicus ex alterius uerbis quid faciat alter ostendit.
1 nimivm istvc abisti comme si c'était à la pugnacité du proxénète qu'on estime de quelle distance il est trop éloigné. 2 propter hvnc "à côté de lui", comme dans Virgile : « templum de marmore ponam propter aquam » (je placerai un temple de marbre près de l'eau). 3 em sic volo de façon remarquable, le poète comique fait comprendre ce que fait l'un grâce aux mots de l'autre.

170
caue nunc iam oculos a meis oculis quoquam demoueas tuos,
Et maintenant ne bouge plus tes yeux de mes yeux,

171
ne mora sit, si innuerim, quin pugnus continuo in mala haereat.
pour ne pas manquer, au moindre signe de ma part, de lui coller tout de suite ton poing sur la mâchoire.

1 qvin pvgnvs continvo pugnus a pugna dicitur. 2 An ab illo pugna? 3 pvgnvs continvo id est uestigium litigantis.
1 qvin pvgnvs continvo pugnus vient de pugna (lutte). 2 A moins que ce ne soit pugna qui vient de pugnus329 ? 3 pvgnvs continvo c'est-à-dire une trace laissée par un combattant.

172
Sa.-istuc uolo ergo ipsum experiri865. Ae.-em serua: omitte mulierem!
Sa.-Je voudrais bien voir ça ! Es.-Hep ! attention : oublie cette femme !

1 istvc volo experiri expresse ostendit pauperioris loquacem contumaciam usque ad periculum caedis. 2 istvc volo experiri hoc illo dicente seruus lenonem uerberat. 3 em serva nescias cui hoc dicat Aeschinus, utrum lenoni an seruo; sed seruo magis.
1 istvc volo experiri de façon expressive il montre la pugnacité hâbleuse du pauvre qui le mène jusqu'au risque de se faire battre. 2 istvc volo experiri pendant qu'il dit cela, l'esclave frappe le proxénète. 3 em serva on ne sait trop à qui Eschine dit cela, au proxénète ou à l'esclave ; mais à l'esclave c'est préférable.

173
Sa.-o indignum facinus! Ae.-geminabit, nisi caues. Sa.-ei misero mihi!
Sa.-O l'indigne attentat ! Es.-Il va doubler la mise si tu ne fais pas attention. Sa.-Aïe, pauvre de moi !

1 geminabit nisi caves hoc comminantis est, non iubentis ferire; sed quia longe stat Parmeno, gemina putauit dictum. 2 Et geminabit plagam. 3 geminabit nisi caves non singularem pugnum et unum dabit, sed geminatos duplicatosque numero inferet. 4 ei misero mihi leno depulsatur.
1 geminabit nisi caves c'est le propos d'un homme qui menace, non qui ordonne de frapper ; mais comme Parménon se tient un peu loin, il a cru qu'on disait gemina (remets ça)330. 2 Et geminabit un coup. 3 geminabit nisi caves il ne donnera pas un seul coup de poing au singulier, mais il en mettra des jumeaux, des doubles en nombre. 4 ei misero mihi le proxénète est repoussé.

174
Ae.-non innueram; uerum in istam partem potius peccato tamen.
Es.-Mais je n'avais pas fait signe ; enfin, trompe-toi plutôt dans ce sens-là.

1 non innveram conuenienter poeta auidiorem maleficiendi inducit seruum, cum supra dominum inuitum ostenderit cogi ad inferendam iniuriam. 2 in istam partem potivs peccato "ut uerberes non iussus quam iussus non uerberes".
1 non innveram comme il faut, le poète met en scène un esclave qui a bien envie de faire mal, alors que ci-dessus il montrait que le maître était forcé malgré lui de faire du tort à l'autre. 2 in istam partem potivs peccato "de frapper sans en avoir reçu l'ordre plutôt que de ne pas frapper en en ayant reçu l'ordre".

175
i nunc iam. Sa.-quid hoc rei est? regnumne, Aeschine, hic tu possides?866
Vas-y maintenant. Sa.-Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? C'est un royaume, Eschine, que tu possèdes ici ?

1 nvnc iam duae partes istae sunt. 2 nvnc iam46 bene iam, quia sero et post plagas. 3 Et utrum hoc lenoni, ut abeat, an puellae, ut introeat, dicitur? sed facetius, si lenoni intellegas dici, quasi hoc factum sit quod uoluerit et quasi uenerit, ut uapularet. 4 Et iam tarditatis incusatio est, ut Vergilius «  iam melior, iam diua parens 69 ». 5 regnvmne aeschine inuidiosa moraliter exclamatio et ardentior ob plagas. 6 regnvmne aeschine hic tv possides bene hic, id est Athenis, ubi grauius crimen est dominari uelle. nam tyranni semper ibi oppressi sunt et maxime proxime.
1 nvnc iam il y a là deux mots. 2 nvnc iam iam est bien trouvé, parce que c'est tardivement et après les coups. 3 Et dit-il cela au proxénète, pour qu'il s'en aille, ou à la jeune fille, pour qu'elle entre ? Mais c'est plus drôle si on comprend que ça s'adresse au proxénète, comme s'il était arrivé quelque chose qu'il souhaitait et qu'il fût venu dans le but de se faire battre. 4 Et iam c'est un reproche de lenteur, comme dans Virgile : « iam melior, iam diua parens » (et toi, déesse mère, enfin, enfin un peu indulgente)331. 5 regnvmne aeschine exclamation jalouse conforme à son caractère, et rendue plus ardente à cause des coups. 6 regnvmne aeschine hic tv possides c'est bien de dire hic, c'est-à-dire à Athènes, où c'est un crime particulièrement grave de vouloir dominer. Car les tyrans toujours y ont été réprimés, et de façon absolument immédiate332.

176
Ae.-si possiderem, ornatus esses ex tuis uirtutibus.
Es.-Si j'en possédais un, tu serais décoré selon tes mérites.

1 si possiderem ἠθικὴ εἰρωνεία contemnentis inuidiam. 2 ornatvs esses ex tvis virtvtibvs cito ostendit, quantum a se longe sit regnum, qui dixit ornari potuisse hunc lenonem ex uirtutibus suis. 347 Sic ueteres per ironiam uirtutes pro flagitiis dicebant. Lucilius «  animo ac uirtutibus 70 ».
1 si possiderem ironie caractéristique (ἠθικὴ εἰρωνεία) de celui qui méprise la jalousie d'autrui. 2 ornatvs esses ex tvis virtvtibvs il montre aussitôt combien il est loin d'être un roi, en disant que ce proxénète aurait pu être décoré de ses vertus. 3 Ainsi les Anciens disaient uirtutes ironiquement pour désigner des défauts honteux. Lucilius : « animo ac uirtutibus » (son âme et ses qualités).

177
Sa.-quid tibi rei mecum est? Ae.-nil. Sa.-quid? nostin qui siem867? Ae.-non desidero.
Sa.-Pourquoi t'en prends-tu à moi ? Es.-Pour rien. Sa.-Quoi ? Tu ne sais pas qui je suis ? Es.-Je n'en ai pas besoin.

1 qvid tibi rei mecvm est hoc quia uerberatus est dicit, ut quid tibi debeo?, non quia sibi nihil debeatur. 2 nihil facete, quia et ipse abstulit et nihil uult a se repeti. 3 qvid nostin qvi siem proprie: sic enim dicit, qui nihil quicquam debet: non me nouit, non quod ignoretur, sed quod in iure non cernatur.
1 qvid tibi rei mecvm est il dit cela parce qu'il a été roué de coups, comme quid tibi debeo ? (quelle est ma dette à ton égard ?), non parce qu'on ne lui doit rien à lui333. 2 nihil amusant, parce que c'est lui l'auteur de l'enlèvement et qu'il ne veut rien se faire reprendre. 3 qvid nostin qvi siem proprement : car parle ainsi celui qui n'a absolument aucune dette : non me nouit, non au sens d'une chose ignorée, mais à celui d'une chose qui dans un procès n'est pas instruite.

178
Sa.-tetigin tui quicquam? Ae.-si attigisses, ferres infortunium.
Sa.-Ai-je touché à un de tes biens ? Es.-Si tu y avais touché, tu sentirais bien ton malheur.

si attigisses ferres infortvnivm plus dixit attigisses quam tetigisses; est enim multo minus quam tangere.
si attigisses ferres infortvnivm il dit plus avec attigisses qu'avec tetigisses (tu avais touché) ; car le verbe est très atténué par rapport à tangere334.

179
Sa.-qui tibi magis licet meam habere, pro qua ego argentum dedi?
Sa.-D'où alors t'autorises-tu à me prendre cette femme, que j'ai échangée contre de l'argent ?

1 qvi tibi magis licet haec non tam ratiocinatio est quam exclamatio per dolorem. 2 meam habere pro qva ego argentvm dedi meam suffecerat, sed magna moralitate additum est ad uociferationem pro qua ego argentum dedi. simul etiam ostendit leno quid repetat. 3 qvi tibi magis licet si mihi, inquit, non licet attingere tuam, cur tibi licet meam non tangere, sed habere? 4 Et habere utrum domi in consuetudine an corrumpere aut48 stuprare intelligemus?
1 qvi tibi magis licet ce n'est pas tant un raisonnement qu'une exclamation de douleur. 2 meam habere pro qva ego argentvm dedi meam aurait suffi, mais, avec un grand sens du caractère, il ajoute, jusqu'à crier, pro qua ego argentum dedi. En même temps aussi le proxénète révèle ce qu'il réclame. 3 qvi tibi magis licet si moi, dit-il, je n'ai pas le droit de l'effleurer (attingere), pourquoi toi as-tu le droit non pas de la toucher (tangere), mais de la prendre (habere) ? 4 Et habere est-ce la garder à la maison dans une relation suivie, ou bien la corrompre ou la déshonorer, que nous devrons comprendre ?

180
responde. Ae.-ante aedes non fecisse erit melius hic conuicium:
Réponds. Es.-Tu feras mieux de ne pas faire ce charivari devant la porte.

ante aedes non fecisse non erat, quod ad haec iuste responderet, et ideo sic respondet, ut conuicium dicat, quod diuersum est.
ante aedes non fecisse il n'y avait rien d'autre de juste à répondre à cela, et il répond de façon à dire conuicium, qui est une façon de détourner l'accusation335.

181
nam si molestus pergis esse, iam intro abripiere atque ibi
Car si tu continues à m'agacer, tu vas te faire traîner dedans et là,

182
usque ad necem operiere loris. Sa.-loris liber? Ae.-sic erit.
jusqu'à ce que mort s'ensuive, tu vas te faire fouetter. Sa.-Fouetter ? Un homme libre ? Es.-Ce sera le cas.

1 loris liber lora apud ueteres laura dicebantur a lauro triumphorum, sub qua necesse erat captiuos uinciri ducique per pompam. ideo, ut condicionis reminiscantur, loris caeduntur mancipia. 2 Nam mancipia dicuntur, quod manu capta sunt, serui quod seruati sunt, cum eos occidi oporteret iure belli. unde Vergilius sic inducit captiuum rogantem «  per patrios manes et spes surgentis Iuli, te precor, hanc animam serues natoque patrique 71 ».
1 loris liber lora chez les Anciens se disait laura, d'après les lauriers du triomphe sous lesquels il fallait que les captifs soient attachés et conduits dans le cortège. C'est pour qu'ils se souviennent de leur condition que les esclaves sont frappés de verges (loris). 2 Car si les esclaves sont appelés mancipia, c'est parce qu'ils sont maintenus sous la mains (manu capta), et s'ils sont appelés serui, c'est parce qu'ils ont été préservés (seruati), alors qu'on aurait dû les tuer en vertu du droit de la guerre. Du coup, Virgile met en scène un captif qui supplie de cette manière : « per patrios manes et spes surgentis Iuli, te precor, hanc animam serues natoque patrique » (par les mânes de ton père et les espérances que fait naître ton Iule qui grandit, préserve mon âme pour mon fils et pour mon père)336.

183
Sa.-o hominem inpurum! hicine libertatem aiunt esse aequam omnibus?
Sa.-Oh le sale bonhomme ! Et on dit qu'on est au pays de la liberté et de l'égalité pour tous ?

1 hicine libertatem Athenis scilicet. 2 o hominem impvrvm sic ueteres impurum generaliter pro improbo ponebant, ut in eadem hac fabula «  persuasit ille impurus, sat scio 72 ». 3 aeqvam omnibvs quasi dicat: "ubi non est quomodo Aeschinus loquitur". 4 Et bene omnibus, ne49 lenones quidem uideantur excepti.
1 hicine libertatem Athènes implicitement. 2 o hominem impvrvm c'est ainsi que les Anciens disaient impurus de façon générique pour improbus (malhonnête), comme dans cette même pièce : « persuasit ille impurus, sat scio ». 3 aeqvam omnibvs comme s'il disait : "là où ce n'est pas comme Eschine le dit". 4 Et c'est bien de dire omnibus, en sorte que même les proxénètes ne se sentent pas exclus.

184
Ae.-si satis iam debacchatus, leno, es, audi si uis nunciam.
Es.-Si tu penses avoir fini ton carnaval, maquereau, écoute un peu maintenant, s'il te plaît.

185
Sa.-egon debacchatus sum autem an tu in me? Ae.-mitte ista atque ad rem redi.
Sa.-C'est moi qui fais le carnaval ou bien toi, à mes dépens ? Es.-Laisse tomber et reviens au fait.

mitte ista atqve ad rem redi superbe adulescens non putat lenoni se esse purgandum. ad rem autem ad negotium, de quo agitur, dicit.
mitte ista atqve ad rem redi avec morgue, le jeune homme ne juge pas indispensable de présenter ses excuses au proxénète. Par ad rem, il désigne l'affaire dont il s'agit.

186
Sa.-quam rem? quo redeam? Ae.-iamne me uis dicere id quod ad te attinet?
Sa.-Quel fait ? Où dois-je revenir ? Es.-Veux-tu que je te dise quelque chose qui te concerne ?

1 qvam rem "quam abduxisti?". res enim intellegitur pecunia uel id, pro quo pecunia danda est. 2 qvo redeam "ad quam euertisti domum?". quia «  fores effregit atque in aedes irruit alienas 73 ». 3 id qvod ad te attinet "quod tibi prodest et commodum est".
1 qvam rem "celle que tu as enlevée ?". Car res se comprend au sens d'argent ou de ce qu'il faut échanger contre de l'argent. 2 qvo redeam "dans la maison que tu as mise sens dessus dessous ?", parce que : « fores effregit atque in aedes irruit alienas »337. 3 id qvod ad te attinet "quelque chose qui t'est utile et favorable".

187
Sa.-cupio; aequi modo aliquid! Ae.-uah, leno iniqua me non uult loqui!
Sa.-Je le souhaite, pourvu que ce soit quelque chose de juste ! Es.-Ah ça ! un maquereau qui ne veut pas que je dise des paroles injustes !

1 cvpio ille «  uis 74 » dixit, hic cupio. 2 aeqvi modo aliqvid dicas subauditur. 3 vah leno nomen sacrilegum, nomen iniustum: iniquitatem agitat, iustitiae patrocinatur! totum hoc εἰρωνικῶς pronuntiandum est.
1 cvpio l'autre dit « uis », celui-ci cupio. 2 aeqvi modo aliqvid dicas (puisses-tu dire !) est sous-entendu. 3 vah leno nom sacrilège, nom de l'injustice : il a une activité inique et il prône la justice ! il faut dire tout cela avec un ton ironique (εἰρωνικῶς).

188
Sa.-leno sum, fateor, pernicies communis adulescentium,
Sa.-Oui je suis maquereau, j'avoue, le fléau général de la jeunesse,

leno svm figura συγχώρησις.
leno svm figure de l'aveu (συγχώρησις).

189
periurus, pestis; tamen tibi a me nulla orta est iniuria.
un parjure, une vérole ; mais à toi pourtant, je n'ai rien fait de mal.

orta inivria orta coepta.
orta inivria orta signifie coepta (commencé).

190
Ae.-nam hercle etiam hoc restat! Sa.-illuc quaeso redi, quo coepisti, Aeschine.
Es.-Ma foi, il ne manquerait plus que ça ! Sa.-Reviens à ton début, s'il te plaît, Eschine.

1 illvc qvaeso redi qvo coepisti figurate, rectum enim erat, unde coepisti, nisi forte pronomen est modo accipiendum quo, ut sit a quo. 2 Et bene memor est dixisse Aeschinum «  mitte ista atque ad rem redi 75 ».
1 illvc qvaeso redi qvo coepisti de façon figurée ; il aurait été en effet correct de dire unde coepisti (d'où tu es parti), à moins peut-être qu'il ne faille seulement comprendre quo comme un pronom, valant a quo338. 2 Et il se souvient bien des paroles d'Eschine : « mitte ista atque ad rem redi ».

191
Ae.-minis uiginti tu illam emisti (quae res tibi uertat male!):
Es.-C'est pour vingt mines que tu as acheté cette fille (que cela te porte malheur !) :

1 qvae res tibi vertat male adicit contumeliam, quasi et hoc multum sit et inimicum. 2 Vertumnus dicitur deus, qui rebus ad opinata se uertentibus praeest. saepe autem male cedit, quod bonum putatur, et hoc est male uertisse; ut ille gladius, qui muneri datus adminiculum fuit pereuntis, de quo Vergilius «  ensemque recludit Dardanium, non hos quaesitum munus in usus 76 ».
1 qvae res tibi vertat male il ajoute une insulte, comme si cela aussi était beaucoup, et un acte hostile339. 2 Le dieu Vertumne tire son nom du fait qu'il préside aux situations qui se changent (uertentibus) en ce à quoi on s'attend340. Or souvent tourne mal ce qu'on croit bon, et c'est cela male uertisse (tourner mal) ; ainsi de ce glaive offert en cadeau et qui est devenu l'instrument de celle qui agonise, au sujet duquel Virgile dit : « ensemque recludit Dardanium, non hos quaesitum munus in usus » (elle tire l'épée troyenne, cadeau non prévu pour cet usage).

192
argenti tantum dabitur. Sa.-quid si tibi ego868 illam nolo uendere?
on t'en donnera autant. Sa.-Et si je ne veux pas te la vendre, moi ?

1 qvid si tibi ego illam nolo vendere haec maioris sunt stomachi et ideo stultiora; nam quod iam amisit, uenditurum se negat. 2 Et quid si nolo noue dictum. 3 Et τῷ ἰδιωτισμῷ quid si nolo cogis me? potest autem dici: "quid enim, si nolo? cogis me?".
1 qvid si tibi ego illam nolo vendere cela procède d'une colère plus grande et est particulièrement sot ; car ce qu'il a désormais perdu, il refuse de le vendre. 2 Et quid si nolo est une expression inédite341. 3 Et il dit quid si nolo cogis me ? avec un idiotisme (τῷ ἰδιωτισμῷ). On aurait pu dire : quid enim, si nolo ? cogis me ? (car quoi, si je ne veux pas ? tu m'obliges ?)342.

193
cogis me? Ae.-minime. Sa.-namque id metui. Ae.-neque uendendam censeo,
Tu m'y forces ? Es.-Pas du tout. Sa.-Ah, c'est ce que je craignais. Es.-C'est qu'elle n'est pas vendable, à mon avis,

1 minime εἰρωνεία. 2 namqve id metvi εἰρωνεία contumacis et ridicula in eo, qui iam amisit id, de quo dicit se cogi non posse.
1 minime ironie (εἰρωνεία). 2 namqve id metvi ironie (εἰρωνεία) d'un personnage obstiné et ironie qui prête à rire de la part de quelqu'un qui a déjà perdu ce à propos de quoi il dit qu'on ne peut pas le forcer.

194
quae libera est: nam ego liberali illam adsero causa manu.
vu qu'elle est libre : car moi je lui impose la main pour la libérer.

nam ego liberali illam ordo est: "liberali causa manu adsero". et sunt iuris uerba, a quibus etiam adsertores dicuntur uindices alienae libertatis, ut et causa ipsa liberalis dicitur, quae actionem in se continet libertatis.
nam ego liberali illam l'ordre est : "liberali causa manu adsero" (je l'attire par la main dans l'objectif de la libérer). Et c'est une formule juridique d'où vient qu'on appelle adsertores les responsables de la liberté d'autrui, de même que la cause même est appelée liberalis, parce qu'elle contient en elle-même l'acte de libération.

195
nunc uide, utrum uis? argentum accipere an causam meditari tuam?
Donc vois ce que tu veux : prendre l'argent ou préparer ta défense ?

196
delibera hoc, dum ego redeo, leno. Sa.-pro supreme Iuppiter!
Réfléchis-y, le temps que je revienne, maquereau. Sa.-Par le grand Jupiter !

1 pro svpreme ivppiter haec allocutio ad hoc inducta est, ut ex uerbis lenonis appareat, quam facile mitis fieri possit et quiduis libenter accipere. 2 pro svpreme ivppiter supremum summum nunc dicit - ab eo quod est superum et superius fit supremum -, ut Vergilius «  rex ipse Iouis de gente suprema, Troius Aeneas tua nos ad limina misit 77 ». etsi non abhorret a persona et plebei et lenonis et uim passi Iouem ipsum conuicio prosequi, ut cotidie uidemus ab hominibus eius loci et ordinis fieri.
1 pro svpreme ivppiter cette adresse est mise là dans le but de montrer, par les paroles du proxénète, combien il peut s'adoucir et accepter de bon gré n'importe quoi. 2 pro svpreme ivppiter supremus veut dire ici summus (supérieur) - c'est de superus et de superius qu'on fait supremus -, comme chez Virgile : « rex ipse Iouis de gente suprema, Troius Aeneas tua nos ad limina misit » (c'est notre roi lui-même, de la descendance suprême de Jupiter, le Troyen Enée, qui nous a envoyés sur tes bords). D'ailleurs un personnage de plébéien, de proxénète, de victime de violence, ne répugne pas à poursuivre jusqu'à Jupiter dans son invective, comme on le voit faire tous les jours d'hommes de cette condition et de ce rang.

197
minime miror qui insanire occipiunt ex iniuria.
Je ne suis pas surpris qu'il y ait des gens qui deviennent fous après une injustice.

1 minime miror qvi insanire occipivnt ex inivria sensus hic est: "insanos fieri per iniuriam plerosque mirabar, sed iam non miror, postquam ego ipse per iniuriam, quam sum passus, insanire compellor adeo, ut exclamem pro Iuppiter!". 2 Et simul animaduerte uigilantem poetam, ubicumque in comoedia uocem tragicam extulerit, statim personam insanam dicere. sic et supra «  pro Iuppiter, tu homo adigis ad insaniam! 78 ».
1 minime miror qvi insanire occipivnt ex inivria voici le sens : "je m'étonnais que beaucoup deviennent fous à cause d'une injustice, mais aujourd'hui je n'en suis plus étonné après avoir moi-même, à cause d'une injustice que j'ai subie, été poussé à la folie au point de m'exclamer pro Iuppiter !". 2 Et remarquez en même temps la vigilance du poète qui, à chaque fois que dans une comédie il produit une parole tragique, dit aussitôt du personnage qu'il est fou (insanam). Ainsi ci-dessus également : « pro Iuppiter, tu homo adigis ad insaniam ! »343.

198
domo me eripuit, uerberauit; me inuito abduxit meam.
Il m'a sorti de chez moi, m'a roué de coups ; contre mon gré il m'a dérobé ma petite.

1 me invito abdvxit meam honestiori personae haec querela sufficeret abduxit meam, at leno bene addidit me inuito: nam abducuntur meretrices et cum uoluntate lenonum. 2 Et decora locutio per ἔλλειψιν me inuito abduxit meam50: non enim addidit puellam aut quid tale.
1 me invito abdvxit meam pour un personnage plus honorable, cette seule plainte aurait suffi : abduxit meam, mais le proxénète fait bien d'ajouter me inuito : car les courtisanes se font enlever y compris avec l'assentiment des proxénètes. 2 Et l'expression est jolie grâce à l'ellipse (per ἔλλειψιν) : me inuito abduxit meam : car il n'ajoute pas puellam (ma poule) ou quelque chose de ce genre.

199
homini misero plus quingentos colaphos infregit mihi!
Pour mon malheur, il m'a flanqué plus de cinq cents coups !

1 homini misero secundum illud Menandri « αιγοστηποιωντοιγο† ἑπτακοσίων γρόνθων τὸν οἰκέτην λαβών51 ». 2 homini misero plvs qvingentos colaphos contumeliosa caedes colaphos et indigna lenoni, qui et infregit, ut illudens hoc fecisse Aeschinus uideatur, cum sonitu se delectat. infregit autem inlisit, inflixit. 3 homini misero plvs qvingentos colaphos flebiliter pronuntiandum: hoc enim exprimitur incusare eum in alieno facto fortunam suam. 4 Et uide, quantum distet hoc ab illo, quod supra dicebat «  ipsum istuc uolo experiri 79 »: hoc quia solus est, illud quia cum aduersario.
1 homini misero selon le mot de Ménandre « †αιγοστηποιωντοιγο† ἑπτακοσίων γρόνθων τὸν οἰκέτην λαβών » (...de sept cent gnons, et il avait pris son domestique)344. 2 homini misero plvs qvingentos colaphos colaphos caractérise une volée de coups insultante et que le proxénète ne mérite pas, lui qui dit aussi infregit, pour qu'on ait l'impression qu'Eschine a fait cela par raillerie, en se délectant du bruit des claques. Quant à infregit, il veut dire "il m'a blessé" (inlisit), "infligé" (inflixit)345. 3 homini misero plvs qvingentos colaphos il faut le dire sur un ton pleurnichard : car ce qui est dit là, c'est qu'il incrimine son infortune à l'occasion de l'acte d'autrui. 4 Et voyez la différence de cette réplique à la précédente ci-dessus : « ipsum istuc uolo experiri » : celle-ci parce qu'il est seul, la précédente parce qu'il était avec un adversaire.

200
ob malefacta haec tantidem emptam postulat sibi tradier!869
Et en face de ces forfaits, il réclame que la fille lui soit transférée au même prix !

tantidem emptam postvlat legitur tantidem emptam postulat sibi darier52.
tantidem emptam postvlat on lit aussi tantidem emptam postulat sibi darier (il réclame qu'on la lui donne au même prix)346.

201
uerum enim quando bene promeruit, fiat! suum ius postulat.
Mais enfin, puisqu'il a fait une offre correcte, soit ! Il réclame son droit.

bene promervit bene multum; promeruit "adiuuit", "profuit", cui contrarium est commeruit; nam mereri et promereri est praestare beneficium. Vergilius «  quique sui memores alios fecere merendo 80 » et «  numquam, regina, negabo promeritam 81 ».
bene promervit bene signifie multum (beaucoup) ; promeruit signifie "il a été aidant" (adiuuit), "utile" (profuit), et le contraire est commeruit (il s'est rendu coupable) ; car mereri et promereri c'est offrir un bienfait. Virgile : « quique sui memores alios fecere merendo » (ceux qui par leurs bienfaits ont fait se conserver leur souvenir dans la mémoire des autres) et : « numquam, regina, negabo promeritam » (jamais, reine, je ne nierai ma dette à ton égard).

202
age iam cupio, si modo argentum reddat. sed ego hoc hariolor:
Allons, j'y consens, pour peu qu'il donne l'argent. Mais j'ai un pressentiment :

203
ubi me dixero dare tanti, testis faciet ilico,
dès que j'aurai dit que je la donne à tant, il inventera aussitôt des témoins

vbi me dixero dare tanti recte dixit; ubi enim pactio intercesserit pretii, iam ereptionis actio sublata erit et pretium debebitur.
vbi me dixero dare tanti il dit juste ; car quand un prix aura été fixé de gré à gré, alors l'acte d'enlèvement sera aboli et le prix sera dû.

204
uendidisse me; de argento somnium; mox: « cras redi ».
pour dire que j'ai déjà réalisé la vente ; et l'argent, dans mes rêves ! ; ensuite : « reviens demain ».

mox cras redi mire transiit ad μιμητικόν.
mox cras redi il passe de façon remarquable au style direct (μιμητικόν).

205
id quoque possum pati870, si modo reddat, quamquam iniurium est;
Je peux tolérer ça aussi, s'il paye, malgré l'injustice ;

1 id qvoqve possvm pati ipsum «  mox, cras redi 82 », id est moram. 2 qvamqvam inivrivm est uendere, quod nolis scilicet.
1 id qvoqve possvm pati la formule même « mox, cras redi », c'est-à-dire un retard dans le paiement. 2 qvamqvam inivrivm est de vendre ce qu'on ne veut pas, implicitement.

206
uerum cogito id quod res est: quando eum quaestum inceperis871,
mais je réfléchis à la réalité : quand on entreprend de faire ce métier,

1 id qvod res est pro: "id quod uerum est". noua locutio. 2 qvando evm qvaestvm inceperis ut in Andria «  dein quaestum occipit 83 ».
1 id qvod res est mis pour : "ce qui est réel". Expression inédite. 2 qvando evm qvaestvm inceperis comme dans L'Andrienne : « dein quaestum occipit ».

207
accipienda et mussitanda iniuria adulescentulum est.
il faut accepter et garder pour soi les mauvaises manières de ces gamins.

mvssitanda "patienda, consideranda cum silentio et ut in amatore putanda ac per hoc perferenda". mussitare enim proprie "dissimulandi causa tacere" est, uel a muto uel ab M, quae est littera nimium pressae uocis ac paene nullius adeo, ut sola omnium, cum inter uocales inciderit, atteratur atque subsidat. hinc Vergilius «  mussat rex ipse Latinus 84 ».
mvssitanda "qu'il faut endurer, regarder en silence et juger à l'aune d'un amoureux", et par là même "supporter". Car mussitare c'est au sens propre "se taire pour cacher quelque chose", et l'origine est soit mutus (muet), soit la lettre M347, qui est un son excessivement étouffé et presque nul au point que, seule entre toutes, quand elle se trouve entre deux voyelles, elle s'affaiblit et s'amuït. D'où chez Virgile : « mussat rex ipse Latinus » (le roi Latinus lui-même reste silencieux).

208
sed nemo dabit; frustra egomet mecum has rationes puto.
Mais personne ne paiera ; c'est en vain que je me fais tous ces calculs.

frvstra egomet mecvm praeparationis genus ad accipiendas uiginti minas totius summa est disputationis.
frvstra egomet mecvm ce genre de préparation pour accepter les vingt mines est le résumé de toute la dispute.

scaena altera

Sannio Syrus

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209
Sy.-tace, egomet conueniam iam ipsum; cupide accipiat faxo atque etiam
Sy.-Sois tranquille, c'est moi qui vais aller le trouver en personne ; je vais le faire accepter avec gourmandise et même

1 tace egomet conveniam iam ipsvm in hac scaena actus est exemplum continens uitae auarorum, qui saepe in damnum ipsius auaritiae rationibus ruunt; simul etiam duorum inter se nequam hominum spectanda quaedam uicissim et dolosa captio est. 2 tace egomet conveniam iam ipsvm tace si pro aduerbio est positum, omnibus dicitur, si pro uerbo, Ctesiphoni dicitur maxime sollicito et supplicanti omnibus ob metum patris. iam autem nunc non tardationis sed properationis est significatio.
1 tace egomet conveniam iam ipsvm dans cette scène, l'action est un exemple touchant au mode de vie des gens cupides, qui, souvent, courent à la banqueroute en suivant les plans mêmes que leur souffle leur cupidité ; en même temps aussi, il faut observer comment deux vauriens se jouent alternativement des tours pendables. 2 tace egomet conveniam iam ipsvm si tace fonctionne comme un adverbe, il est dit à la cantonnade, s'il fonctionne comme verbe, il s'adresse à Ctésiphon348, qui est le plus inquiet et qui supplie tout le monde à cause de la crainte qu'il a de son père. Quant à iam, il n'a pas ici un sens de retardement mais d'accélération.

210
bene dicat secum esse actum. quid istuc, Sannio, est quod te audio
le faire dire qu'on l'a bien traité. Qu'est-ce c'est, Sannion, que j'entends là, que tu

1 bene dicat secvm esse actvm recte additum, nam multa cupide accipimus, ita tamen, ut male nobiscum actum esse dicamus. 2 qvid istvc sannio est illud supra post scaenam, hoc iam in proscaenio dicitur. 3 Et uide quam ingeniose Terentius, qui supra ab Aeschino lenonis nomine facit Sannionem uocari, utpote ab homine arroganti et feroci ob aetatem ac negotium, at hunc blande circumuenientem honorificentius inducit cum lenone loqui et eum Sannionem uocare. fere qui in sordidis professionibus agunt, honorifice proprio nomine appellas, at splendidis artibus53 constituti gaudent artis nomine nuncupari, ut imperator orator philosophus. sic et in Eunucho «  audire uocem uisa sum militis 8554 » apud se loquens meretrix, et postquam illum comminus uidet «  salue mi Thraso 86 » inquit, non salue miles, quod erat durissimum, et mox irata personat «  miles, nunc adeo edico tibi 87 ».
1 bene dicat secvm esse actvm ajout correct. Car il y a beaucoup de choses que nous recevons avec cupidité au point de dire, pourtant, qu'"on nous a mal traités". 2 qvid istvc sannio est le début ci-dessus se dit en coulisse, ce passage-ci sur l'avant-scène349. 3 Et voyez le talent de Térence, qui ci-dessus fait interpeller Sannion par Eschine du nom de proxénète, dans la mesure où Eschine est un être arrogant et sans pitié en raison de son âge et de ses occupations, alors qu'il met en scène ici un Syrus qui tente de circonvenir Sannion de façon agréable et qui s'adresse à lui plus cérémonieusement et l'appelle de son nom. Généralement, quand on a affaire à des gens qui exercent des métiers sans prestige, on leur fait honneur en les appellant par leur nom propre, alors que ceux qui se trouvent dans des catégories professionnelles supérieures apprécient de se faire appeler du nom de leur profession, par exemple un général, un orateur, un philosophe. Ainsi dans L'Eunuque, la courtisane dit dans un monologue : « audire uocem uisa sum militis » ; et dès qu'elle le voit de près, elle dit : « salue mi Thraso » et non pas "salue miles" (salut, soldat), propos qui eût été très insultant ; puis, sous le coup de la colère, elle crie : « miles, nunc adeo edico tibi »350.

211
nescio quid concertasse cum ero? Sa.-numquam uidi iniquius
t'es disputé sur je ne sais quoi avec mon patron ? Sa.-Jamais je n'ai vu de chose plus inégale

1 nescio qvid concertasse cvm ero argute positum nescio quid: uult enim ex illo audire, ut nanciscatur initium persuadendi, quod cupit. 2 concertasse οἰκονομία: honorifice lenonem tractat, ut et placidum sibi reddat et ut faciat eum ad contemnendam pecuniam liberalem; nam honestas adimit auaritiam. concertasse non caesum esse55.
1 nescio qvid concertasse cvm ero nescio quid est adroitement mis : car Syrus veut apprendre l'histoire de la bouche de Sannion pour trouver un début d'argumentaire pour le convaincre de ce qu'il veut. 2 concertasse effet de préparation (οἰκονομία) : il traite le proxénète cérémonieusement, pour d'une part se l'amadouer et d'autre part le rendre généreux jusqu'à mépriser son argent ; car la politesse a raison de la cupidité. Concertasse et non caesum esse (tu t'es fait massacrer)351.

212
certationem comparatam, quam quae hodie inter nos fuit;
que cette dispute qui s'est faite aujourd'hui entre nous deux ;

1 certationem comparatam ἓν διὰ δυοῖν quia ille «  concertasse 88 » dixit56. 2 comparatam proprie, alias constitutam. 3 Et comparatam ad Syri dictum refert, qui ait concertationem fuisse pares faciens Aeschinum et lenonem. nam Sannio uult sibi deberi et pro eo quod uapulauit, quod illi abstulit Syrus dicendo eum non uerberatum esse sed potius certauisse. 4 Et proprie dixit certationem ipsum actum; nam certamen est ipsa res, de qua certatur, uter columbam sagitta feriat, uter prior decurrat ad metas -nam sic Vergilius in Bucolicis «  uelocis iaculi c. certamina p. ponit i. in u. ulmo 89 » -; at uero certatio ipse actus contentioque certantium est.
certationem comparatam hendiadys (ἓν διὰ δυοῖν), parce que lui disait « concertasse »352. 2 comparatam au sens propre ; ailleurs353 cela signifie constitutam (décidé). 3 Et comparatam renvoie au mot de Syrus, qui a dit qu'il y avait eu un conflit (concertatio), mettant ainsi à égalité Eschine et le proxénète. Car Sannion veut rester débiteur y compris des coups qu'il a reçus, ce dont Syrus le prive en disant qu'il n'a pas été roué de coups mais plutôt qu'il s'est battu354. 4 Et au sens propre certatio désigne l'acte lui-même ; car si certamen désigne la chose même qui est l'objet de la lutte355, comme de savoir lequel des deux tuera la colombe de sa flèche, lequel des deux franchira la ligne d'arrivée en tête - ainsi Virgile dans les Bucoliques356 : « uelocis iaculi certamina ponit in ulmo » (il instaure un concours de lancer de javelot en plaçant la cible sur un orme) -, certatio en revanche désigne l'action et l'acte de débattre entre adversaires357.

213
ego uapulando, ille uerberando, usque ambo defessi sumus.
moi à force d'encaisser, lui à force de frapper, nous sommes tous les deux épuisés.

ille verberando vsqve incerta distinctio est: uel uerberando usque uel usque defessi. et est usque aduerbium: significat enim aut diu aut multum.
ille verberando vsqve ponctuation indécise : on segmente ou bien uerberando usque (jusqu'à me rosser) ou bien usque defessi (jusqu'à l'épuisement). Et usque est un adverbe : car il a le sens de diu (longtemps) ou de multum (beaucoup)358.

214
Sy.-tua culpa. Sa.-quid facerem? Sy.-adulescenti morem gestum oportuit.
Sy.-C'est de ta faute. Sa.-Qu'y pouvais-je ? Sy.-Tu aurais dû te montrer complaisant avec ce jeune homme.

1 tva cvlpa potest et nominatiuus et septimus casus esse. si nominatiuus, deest est, si septimus, deest factum est. 2 advlescenti morem gestvm oportvit ab aetate adiuuatur sententia, ideo adulescenti dixit, non Aeschino. 3 Et morem gerere proprie lenonis est et meretricis, unde et ipse sic respondet, ut non fugiens κακέμφατον dicat «  usque os praebui 90 ». 4 advlescenti morem gestvm cum emphasi adulescenti pronuntiandum, scilicet qui facile assensione caperetur.
1 tva cvlpa ce peut être un nominatif ou un septième cas359. Si c'est un nominatif, il manque est, si c'est l'ablatif, il manque factum est (c'est arrivé)360. 2 advlescenti morem gestvm oportvit l'énoncé est appuyé par l'âge de Syrus, et il peut dire "le gamin" au lieu de dire "Eschine". 3 Et morem gerere (se montrer complaisant) c'est le propre d'un proxénète et d'une courtisane ; c'est pourquoi lui-même répond, sans échapper à l'allusion grivoise (κακέμφατον) : « usque os praebui »361. 4 advlescenti morem gestvm il faut prononcer adulescenti avec emphase, implicitement pour expliquer qu'un jeune homme se laisse facilement prendre aux flatteries.

215
Sa.-qui potui melius, qui hodie usque os praebui? Sy.-age, scis quid loquar?
Sa.-Comment pouvais-je faire mieux, moi qui aujourd'hui ai été jusqu'à m'offrir docilement à ses coups de boutoir ? Sy.-Allons, tu sais ce que je veux te dire ?

1 qvi potvi melivs subauditur morem gerere. et hoc subtiliter leno, cum morem gerendum fuisse in meretricis pretio dixerit Syrus. 2 hodie hodie non tempus significat, sed iracundam eloquentiam ac stomachum, ut Vergilius «  numquam omnes hodie moriemur inulti 91 ». 3 age modo corripientis aduerbium est. 4 scis qvid loqvar argute, quia simulauerat leno non intellexisse quod dixerat seruus. 5 scis qvid loqvar legitur et si quid loquar.
1 qvi potvi melivs on sous-entend morem gerere (être complaisant). Et le proxénète se montre ici subtil, puisque Syrus a dit qu'il fallait se montrer complaisant dans le prix de revente de la courtisane. 2 hodie hodie ne marque pas ici le temps mais l'éloquence de la colère et le courroux, comme dans Virgile : « numquam omnes hodie moriemur inulti » (nous ne mourrons pas tous aujourd'hui sans être vengés)362. 3 age c'est parfois un adverbe de reproche. 4 scis qvid loqvar subtil, car le proxénète faisait semblant de ne pas avoir compris ce que disait l'esclave. 5 scis qvid loqvar on lit aussi si quid loquar.

216
pecuniam in loco neglegere maximum interdum est lucrum. Sa.-hui!
perdre de l'argent à propos est parfois une très bonne affaire. Sa.-Ah oui ?

maximvm interdvm est lvcrvm bene additum et in loco et57 interdum: non enim semper.
maximvm interdvm est lvcrvm il fait bien d'ajouter in loco et interdum : car ce n'est pas "toujours".

217
Sy.-metuisti, si nunc de tuo iure concessisses paululum, atque
Sy.-Tu craignais, en renonçant un tout petit peu à tes droits et

1 si nvnc de tvo ivre concessisses ne diceret: "non erat res mea, quam uenalem habui". 2 An de tuo iure de lenonia duritia, ut alibi «  meo iure utar, ut potior sit, qui prior ad dandum est 92 »?
1 si nvnc de tvo ivre concessisses de ne pas dire : "ce n'était pas mon bien, que j'ai acheté pour de l'argent". 2 A moins que de tuo iure soit une allusion à la dureté des proxénètes, comme ailleurs : « meo iure utar, ut potior sit, qui prior ad dandum est » ?

218
adulescenti esses morigeratus, hominum homo stultissime,
en te montrant complaisant avec le jeune homme, espèce d'imbécile sans égal,

219
ne non tibi istuc faeneraret? Sa.-ego spem pretio non emo.
que cela ne te rapporte pas d'intérêts ? Sa.-Moi je n'achète pas l'espoir à prix d'argent.

1 ne non tibi istvc faeneraret faeneratum est "cum lucro redditum et multiplicatum". faeneraret ergo non Aeschinus sed ipsa res, in qua faeneratio. 2 ego spem pretio non emo ἀντινομία contra «  pecuniam in loco neglegere maximum interdum est lucrum 93 ».
1 ne non tibi istvc faeneraret faeneratus veut dire "rendu avec bénéfice et coefficienté". Donc faeneraretn'a pas pour sujet Eschine, mais le bien lui-même, dans lequel il y a de l'intérêt. 2 ego spem pretio non emo c'est l'antinomie (ἀντινομία) contraire de : « pecuniam in loco neglegere maximum interdum est lucrum ».

220
Sy.-numquam rem facies; abi, nescis inescare homines, Sannio.
Sy.-Alors tu ne feras jamais d'affaires ; file, tu ne sais pas appâter les gens, Sannion.

1 nvmqvam rem facies leno quidquid agit ad lucrum refert. et sic lucri genus dicit esse rem Syrus ad lenonem, qua admodum ipse persuadeat58. 2 Et nota rem et litem et negotium meretricis et patrimonium et omnem pecuniam nominari. 3 nvmqvam rem facies secundum personam suam et lenonis Syrus adhortatus est hominem ad lucrum, non ad honestatem. 4 nescis inescare homines sannio μεταφορά ab aucupibus, qui auibus capiendis offundunt cibum.
1 nvmqvam rem facies tout ce que fait le proxénète, il le rapporte au bénéfice possible ; et c'est ce qui fait que Syrus nomme le genre de bénéfice qu'il va faire rem afin d'être lui-même tout à fait persuasif. 2 Et notez que res désigne le litige, l'affaire avec la courtisane, le patrimoine et toute opération financière. 3 nvmqvam rem facies en suivant la nature de son personnage et de celui du proxénète, Syrus exhorte le bonhomme à prendre un bénéfice, plutôt qu'à se montrer honnête. 4 nescis inescare homines sannio métaphore (μεταφορά) de la langue des oiseleurs, qui pour attraper les oiseaux répandent de la nourriture.

221
Sa.-credo istuc melius esse: uerum ego numquam adeo astutus fui,
Sa.-Je crois que ta méthode est meilleure ; mais moi je n'ai jamais été assez malin

credo istvc melivs esse uide comicum errorem utriusque personae, et callidi lenonis et captiosissimi famuli.
credo istvc melivs esse voyez la méprise comique des deux personnages, aussi bien le proxénète félon que le domestique très rusé.

222
quin quidquid possem mallem auferre potius in praesentia.
pour ne pas préférer prendre tout ce que je pouvais en direct.

223
Sy.-age, noui tuum animum: quasi iam usquam tibi sint uiginti minae
Sy.-Allons, je connais ton âme : comme si tu en étais à vingt mines près

1 age nunc uerbum est significans dic, quod iam prope est, ut consentiat persuadenti. 2 tvvm animvm id est liberalem. 3 qvasi iam vsqvam tibi sensus est: "quasi in59 numero aliquo ducas et in aliqua aestimatione constituas et non, si uelis, penitus contemnas uiginti minas, dum modo huic obsequaris". 4 qvasi iam vsqvam tibi sint et eum60 non profecturum dixit sed etiam «  proficisci 94 », et ne neget, non ab uno id audiri, sed «  aiunt 95 »aiunt inquit61.
1 age ici c'est un verbe au sens de dic (dis), parce que là il est tout près de se trouver d'accord avec celui qui tente de le persuader. 2 tvvm animvm c'est-à-dire liberalem (d'homme libre et généreux). 3 qvasi iam vsqvam tibi le sens est : "comme si tu donnais quelque importance et attribuais de la valeur à ces vingt mines au lieu de les mépriser complètement, si tu le voulais, pourvu que cela fasse plaisir à Eschine". 4 qvasi iam vsqvam tibi sint il ne dit pas profecturum au futur (que tu partiras), mais déjà un présent « proficisci », et pour éviter que Sannion ne nie, il ne dit pas que la chose a été entendue par un seul témoin, mais il dit aiunt (les gens disent)363.

224
dum huic obsequare. praeterea autem te aiunt proficisci Cyprum... Sa.-hem!
pourvu que tu lui obéisses ! En outre d'ailleurs, on raconte que tu pars pour Chypre... Sa.-Hein !

praeterea avtem ἀρχαϊσμός figura, nam ueteres libenter coniunctiones multiplicabant.
praeterea avtem figure d'archaïsme (ἀρχαϊσμός), car les Anciens aimaient à multiplier les mots de liaison364.

225
Sy.-coemisse hinc quae illuc ueheres multa, nauem conductam; hoc, scio,
Sy.-Que tu as acheté ici de quoi en rapporter là-bas en quantité, que le navire est loué ; c'est ça, je le sais,

1 coemisse hinc qvae illvc nusquam hoc ostendit alias Terentius, sed ex confessione lenonis apparet uera esse omnia. 2 Et mira uarietas; proficisci, coemere, conducere. 3 Nauem conductam62 esse addidit, ut dilationem res habere non possit. 4 hoc scio animvs tibi pendet hoc et correpte legi potest, ut articulus demonstratiuus sit, et producte, ut significet aut "hanc rem"63 aut "ad hunc locum", id est Cyprum.
1 coemisse hinc qvae illvc Térence n'indique nulle part ailleurs ce renseignement, mais de l'aveu du proxénète, il appert que tout est vrai365. 2 Et il y a une remarquable variété dans le choix des verbes ; proficisci, coemere, conducere. 3 Et il ajoute nauem conductam (que le navire a été loué), pour que l'affaire ne puisse pas être différée. 4 hoc scio animvs tibi pendet hoc peut se lire avec une voyelle brève, pour être le déterminant démonstratif, ou avec une longue, pour signifier soit "vers cela" soit "vers ce lieu", à savoir Chypre366.

226
animus tibi pendet. ubi illinc spero redieris, tamen hoc ages.
qui te tient l'esprit en haleine. Quand tu seras revenu de là-bas, j'espère, tu le feras tout de même.

1 vbi illinc spero redieris ex spe sua uult Syrus ostendere, quid leno debeat sperare, id est non se accepturum modo. 2 tamen hoc ages exiges debitum; nam hoc agere dicimus eum, qui instat negotio suo.
1 vbi illinc spero redieris c'est à partir de son espérance propre que Syrus montre ce que le proxénète devrait espérer, à savoir de ne rien toucher367. 2 tamen hoc ages tu exigeras ta dette ; car nous disons hoc agere pour celui qui persiste à mener son affaire.

227
Sa.-nusquam pedem! perii hercle! hac illi spe hoc inceperunt. Sy.-timet;
Sa.-Je n'y mettrai pas le pied ! Ma foi, je suis mort ! Voilà l'espoir qu'ils avaient en se mettant à cette entreprise ! Sy.-Il a peur ;

nvsqvam pedem quia exclamatio est, per aposiopesim non completur.
nvsqvam pedem comme c'est une exclamation, elle reste incomplète par aposiopèse.

228
inieci scrupulum homini. Sa.-o scelera! illuc uide,
j'ai mis un grain de sable dans les rouages du bonhomme. Sa.-Ah les traîtres ! Regardez-moi ça,

1 inieci scrvpvlvm homini hoc leno non audit: simul enim dicitur, cum ille clamat, et ideo simul legi non potest. 2 Et hic ostendit Syrus, quo consilio haec locutus sit. 3 illvd vide uide τῷ ἰδιωτισμῷ dixit.
1 inieci scrvpvlvm homini cette phrase n'est pas entendue du proxénète : en effet, Syrus la dit pendant que l'autre crie, et on ne peut pas la lire en même temps368. 2 Et Syrus montre ici avec quelle idée en tête il a parlé. 3 illvd vide uide est dit par particularisme (τῷ ἰδιωτισμῷ)369.

229
ut in ipso articulo oppressit! emptae mulieres
comme il me bloque les engrenages ! J'ai acheté des femmes,

1 vt in ipso articvlo oppressit μεταφορά perseuerans a scrupulo, id est lapillo, qui nos in calceo latens plerumque laedit. 2 Et oppressit uel Aeschinus uel res ipsa, quam subicit, id est quod ait emptae mulieres complures et item hinc alia 364 In lenonis mercibus ἐξοχή mulieres. et est σύλλημψις: emptae et empta.
1 vt in ipso articvlo oppressit métaphore (μεταφορά) filée à partir du mot scrupulus, c'est-à-dire du petit caillou que l'on a dans la chaussure à son insu et qui fait souvent mal370. 2 Et oppressit le sujet est soit Eschine soit l'affaire même qui est sous-jacente, à savoir emptae mulieres complures et item hinc alia. 3 Parmi les marchandises du proxénète, les femmes représentent le principal (ἐξοχή). Et c'est une syllepse (σύλλημψις) : emptae et empta371.

230
complures et item hinc alia quae porto Cyprum.
plusieurs, et aussi d'autres marchandises d'ici que je transporte à Chypre.

qvae porto cyprvm hanc insulam dictam65 uel quod Veneri sacrata sit, ut Horatius «  sic te diua potens Cypri 96 », uel quod mercatus in ea sit, ut idem «  numquam dimoueas, ut trabe Cypria Myrtoum pauidus nauta secet mare 97 ».
qvae porto cyprvm cette île ainsi nommée, parce que soit elle est consacrée à Vénus372, comme on voit chez Horace : « sic te diua potens Cypri » (ainsi toi, déesse qui possèdes Chypre...), soit il s'y trouve un marché, comme on voit chez le même Horace : « numquam dimoueas, ut trabe Cypria Myrtoum pauidus nauta secet mare » (jamais on ne le détournerait jusqu'à ce que, marin craintif, il fende la mer de Myrtos avec une étrave de Chypre)373.

231
nisi eo ad mercatum uenio, damnum maximum est.
Si je n'y arrive pas pour la foire, ma perte est énorme.

1 nisi eo ad mercatvm eo aduerbium est loci, id est Cyprum. mercatus autem locum tempusque significat. 2 damnvm maximvm est quia adhuc damnum in pretio mulieris est.
1 nisi eo ad mercatvm eo est un adverbe de lieu, qui renvoie à Chypre374. Quant à mercatus, il désigne à la fois le lieu et le temps375. 2 damnvm maximvm est parce qu'il y a encore de la perte sur le prix de la jeune femme376.

232
nunc si hoc omitto, actum872 agam ubi illinc rediero,
Mais si je laisse tomber ce dossier-ci, l'affaire sera faite quand je serai de retour de là-bas,

1 nvnc si hoc omitto quod damnum est, sed leuiter. hoc autem dicit negotium cum Aeschino. 2 actvm agam prouerbium, id est: "nihil agam". quod enim in iure semel iudicatum fuerit, rescindi et iterum agi non potest. sic in Phormione «  actum aiunt ne agas 98 ».
1 nvnc si hoc omitto cette chose qui est un dommage, mais légèrement. Quant à hoc, il désigne l'affaire en cours avec Eschine. 2 actvm agam proverbial, à savoir : "je ne ferai rien". Car ce qui, en droit, a été jugé une fois ne peut être défait et rejugé. De même dans le Phormion : « actum aiunt ne agas »377.

233
nihil est, refrixerit res: « nunc demum uenis?
plus rien, ce sera tout refroidi : « C'est maintenant que tu arrives ?

1 nihil est noue nihil est pro: nulla spes est. 2 refrixerit pro refrigescet.
1 nihil est il utilise de façon inédite nihil est pour nulla spes est (il n'y a nul espoir). 2 refrixerit futur antérieur pour le futur refrigescet.

234
cur passus es? ubi eras? » ut sit satius perdere
Pourquoi t'es-tu laissé faire ? Où étais-tu ? », au point qu'il vaut mieux perdre l'argent

vt sit sativs perdere per ὑπερβολήν hoc accipe, nam non conuenit personae lenoniae damna contemnere.
vt sit sativs perdere c'est par hyperbole (ὑπερβολή) qu'il faut prendre cette réplique, car il ne convient pas à un personnage de proxénète de n'avoir cure d'un dommage matériel.

235
quam aut nunc manere tam diu aut tum persequi.
que de s'attarder maintenant trop longtemps ou poursuivre après coup.

1 nvnc manere "dum non nauigo". 2 tvm perseqvi "cum rediero".
1 nvnc manere "sans transporter mon fret". 2 tvm perseqvi "à mon retour".

236
Sy.-iamne enumerasti id quod ad te rediturum putes?
Sy.-As-tu fini le compte de ce qui doit te revenir à ton avis ?

1 iamne envmerasti fingit Syrus se non intellegere, quid apud se ipsum leno locutus sit. adeo illi aliud ait, atque ille secum disputauerat. 2 id qvod ad te reditvrvm pvtes hoc dicto significat tantum illum accepturum, quantum ille dederat in puella. nam hoc ad nos redit, quod a nobis abierit. 3 Et dicendo rediturum ostendit super uiginti minas nihil illum sperare oportere. sic enim supra «  minis uiginti tu illam emisti, quae res tibi uertat male 99 »66.
1 iamne envmerasti Syrus fait semblant de ne pas comprendre ce que le proxénète se dit à lui-même. Aussi lui dit-il autre chose que ce que l'autre débattait en lui-même. 2 id qvod ad te reditvrvm pvtes il montre en disant cela qu'il est prêt à accepter autant qu'il a donné pour l'achat de la fille. Car nous revient (redit) ce qui est parti de nous. 3 Et en disant rediturum, il montre qu'il ne lui faut plus espérer plus que les vingt mines de départ. Car Eschine a dit ci-dessus : « minis uiginti tu illam emisti, quae res tibi uertat male ».

237
Sa.-hocine illo dignum est? hocine incipere Aeschinum,
Sa.-Est-ce que ce procédé est digne de lui ? Eschine, entreprendre ça,

1 hocine illo dignvm est huiusmodi comploratio summam desperationem lenonis ostendit. 2 hocine incipere67 incipere quasi de magno facinore dixit, ut in Heautontimorumeno «  uide, quod inceptet facinus 100 ». Aeschinum autem cum laudatione dixit, quasi quem non deceat male facere. 3 Et uide, quam omnia experiatur impotens ac miser ob recuperandam rem suam.
1 hocine illo dignvm est ce genre de déploration révèle le degré de désespoir du proxénète. 2 hocine incipere il dit incipere comme on le dit d'un grand forfait, comme dans L'Héautontimorouménos : « uide, quod inceptet facinus » (vois un peu quel acte il entreprend !)378. Quant à Aeschinum, il le dit avec une certaine estime, comme s'il nommait un homme qu'on ne devrait pas voir faire le mal. 3 Et voyez comme il est prêt à tout essayer dans son impuissance et son malheur pour récupérer son bien.

238
per oppressionem ut hanc mihi eripere postulet?
prétendre m'enlever de force cette fille !

1 vt hanc mihi eripere postvlet non dicit quam, quia de illa sermo est. 2 postvlet "uelit" aut "speret". Cicero «  ut temporibus rei publicae cedat, non est postulandum 101 », hoc est "cupiendum" aut "exspectandum". 3 Ἐν ἤθει eripere postulet dixit, non eripuerit, tamquam adhuc non fecerit. et sic loquuntur, qui nolunt circa se perseuerare iniuriam.
1 vt hanc mihi eripere postvlet il ne dit pas qui, puisque c'est d'elle qu'on parle. 2 postvlet uelit (veuille) ou speret (espère). Cicéron : « ut temporibus rei publicae cedat, non est postulandum » (que tu cèdes aux circonstances de la république, il ne faut pas y compter), c'est-à-dire "le souhaiter" ou "l'espérer". 3 Il est dans son caractère (ἐν ἤθει) quand il dit eripere postulet et non pas eripuerit (il me l'a enlevée), comme si la chose n'était pas déjà faite. Et c'est ainsi que s'expriment ceux qui ne veulent pas que perdure l'injustice qui leur est faite.

239
Sy.-labascit. unum hoc habeo; uide si satis placet:
Sy.-Il flanche. J'ai une seule proposition ; vois si elle t'agrée :

1 labascit hoc presse dicitur. 2 Et proprie dixit labascit, ut et suam instantiam et cunctationem tarde incipientis consentire monstraret. nam inchoatiuum uerbum est, μεταφορᾷ ab arbore siccante68 facta, quae multis succisa ictibus ferri tandem incipit in casum pendere ruinamque minari. 3 vnvm hoc habeo hoc clare. 4 Et subaudiendum quod dicam uel dicere. 5 vide si satis placet non placet dixit, sed satis placet ueluti magnum consilium praebiturus.
1 labascit ce passage se dit à voix basse. 2 Et il dit labascit au sens propre, à la fois pour montrer son propre travail de sape et les atermoiements de Sannion qui commence lentement à consentir. Car c'est un verbe inchoatif, à partir d'une métaphore (μεταφορᾷ) de l'arbre desséché qui, après avoir reçu de nombreux coups de hache commence enfin à pencher vers la chute et à menacer ruine379. 3 vnvm hoc habeo ceci à voix haute. 4 Et il faut sous-entendre quod dicam (à dire) ou dicere (à dire). 5 vide si satis placet il ne dit pas placet, mais satis placet en homme qui s'apprête à faire une proposition importante.

240
potius quam uenias in periculum873, Sannio,
plutôt que de faire quitte ou double, Sannion,

potivs qvam venias in pericvlvm oratoria comparatione peiorum dicit hoc esse, quod suggerit, eligendum.
potivs qvam venias in pericvlvm en comparant de façon oratoire avec une situation pire, il dit que c'est sa suggestion qu'il faut choisir.

241
seruesne an perdas totum, diuiduum face.
à tout garder ou à tout perdre, fais moitié moitié.

1 dividvvm face hoc est diuide: figura μακρολογία. 2 dividvvm a diuisione, dimidium a dimensione dicimus.
1 dividvvm face c'est-à-dire diuide (divise) : figure de prolixité (μακρολογία)380. 2 dividvvm nous disons diuiduus d'après l'idée de division, dimidius d'après celle de dimension381.

242
minas decem corradet alicunde. Sa.-ei mihi,
Eschine grattera bien dix mines quelque part. Sa.-Aïe,

1 minas decem scit illum uiginti posse accipere, sed idcirco sic agit, ut optet leno, quod paulo ante nolebat. 2 Et alicvnde dictum est non habentis. 3 corradet alicvnde nam nec ipsae in promptu sint. 4 ei mihi etiam de sorte nvnc venio in dvbivm miser sors est summa, cui extrinsecus acquiritur faenus. ergo sortem dicit pretium, quo empta est, id est uiginti minas. 5 Et uide illum damno exclamare quam iniuria.
1 minas decem il sait que l'autre peut accepter vingt mines, mais il fait en sorte que le proxénète finisse par souhaiter ce que tout à l'heure il refusait. 2 Et alicvnde c'est le mot de quelqu'un qui ne les a pas. 3 corradet alicvnde car même ces dix mines ne sont pas disponibles. 4 ei mihi etiam de sorte nvnc venio in dvbivm miser le mot sors désigne la somme à partir de laquelle on acquiert du dehors des intérêts. Donc en disant sortem il veut dire le montant auquel il l'avait achetée, à savoir vingt mines. 5 Et voyez que l'autre pousse une exclamation davantage à cause de la perte que du mauvais traitement qui lui a été fait.

243
etiam de sorte nunc uenio in dubium miser?
voilà que maintenant je ne suis pas sûr de sauver mon capital, pauvre de moi !

nvnc venio in dvbivm in periculum. Vergilius «  nec tibi de sorte in d. d??? c. c??? 102 ».
nvnc venio in dvbivm en danger. Virgile : « nec tibi de sorte in d. c. »382.

244
pudet nihil? omnes dentes labefecit mihi,
Il n'a pas honte ? Il m'a ébranlé toutes les dents,

1 omnes dentes labefecit iniuria lenoni tunc dolet, cum adiuncta damno est, «  accipienda et mussitanda 103 », cum in quaestu uidetur. idcirco enumeratis contumeliis adicit «  etiam insuper defraudat? 104 ». 2 Et uide, ut eadem quae supra, sed ardentius et cum auxesi repetat. sic et Vergilius in maius repetit, quod non semel dicit.
1 omnes dentes labefecit le mauvais traitement subi fait mal au proxénète au moment où s'y ajoute le risque d'une perte financière, alors qu'il pouvait "l'accepter et le passer sous silence" (« accipienda et mussitanda ») quand il prévoyait un bénéfice. Aussi, après avoir fait le décompte de ses déboires, il ajoute : « etiam insuper defraudat ? ». 2 Et voyez comme il répète ses propos antérieurs, mais avec plus d'ardeur et en les amplifiant. Ainsi fait aussi Virgile quand il majore en le répétant un énoncé qu'il ne se contente pas de dire une fois383.

245
praeterea colaphis tuber est totum caput:
et, à force de gifles, ma tête n'est plus qu'une grosse bosse :

colaphis tvber est totvm capvt tuber cibi genus est collectum ex tumentibus et quasi praegnantibus harenis. plus autem hic quam supra dixit «  plus quingentos colaphos infregit mihi 105 ».
colaphis tvber est totvm capvt le mot tuber (tubercule) désigne une sorte de nourriture qu'on ramasse dans des tertres sablonneux et ressemblant à des ventres de femmes enceintes384. Il en dit plus ici que ci-dessus : « plus quingentos colaphos infregit mihi ».

246
etiam insuper defraudet874? nusquam abeo. Sy.-ut libet.
et en plus il m'escroquerait ? Je ne vais nulle part. Sy.-A ta guise.

1 etiam insvper defravdat αὔξησις apta lenoni auaro, nam honestior persona non hunc ordinem faceret. 2 defravdet "fraude decipiat". 3 nvsqvam abeo hoc dictum uim habet comminationis, nisi illud cum contemptu susceperit Syrus. 4 vt libet neglegenter seruus respondet, ut rogetur a lenone.
1 etiam insvper defravdat amplification (αὔξησις) propre à un proxénète cupide, car un personnage plus honorable n'aurait pas mis les arguments dans cet ordre. 2 defravdet "il me tromperait par une ruse". 3 nvsqvam abeo cet énoncé a la force d'une menace, sauf que Syrus le traite par le mépris. 4 vt libet l'esclave répond négligemment, pour que le proxénète lui fasse sa requête.

247
numquid uis quin abeam? Sa.-immo hercle hoc quaeso, Syre,
Veux-tu autre chose ou puis-je me retirer ? Sa.-Oui, ma foi, je veux quelque chose, Syrus :

1 nvmqvid vis qvin abeam haec est plena oratio, nam numquid uis desiderat supplementum. et hoc uti dicto discedentes solent. 2 qvin quare non significat. 3 immo hercle hoc qvaeso syre vtvt haec svnt ipse sibi satisfacit - utut enim quoquo modo significat -, diuerticulum ad preces faciens.
1 nvmqvid vis qvin abeam l'énoncé est complet, car numquid uis a besoin d'un complément385. Et c'est la formule qu'on utilise habituellement en s'en allant. 2 qvin signifie quare non (pourquoi ne pas...). 3 immo hercle hoc qvaeso syre vtvt haec svnt il se donne satisfaction - utut en effet signifie quoquo modo (de quelque manière que) -, en faisant une digression vers la prière.

248
utut haec sunt facta, potius quam lites sequar,
au point où en sont arrivées les choses, plutôt que d'attaquer en justice,

potivs qvam lites seqvar quia dixerat Aeschinus «  nunc uide utrum uis: argentum accipere an causam meditari tuam 106 ».
potivs qvam lites seqvar parce qu'Eschine avait dit : « nunc uide utrum uis : argentum accipere an causam meditari tuam ».

249
meum mihi reddat875, saltem quanti empta est, Syre.
je veux qu'il me rende mon dû au moins le prix que je l'ai payée, Syrus.

1 mevm mihi reddat sortem, de qua supra sola recusabat. 2 Et oratorie: non enim quanto emi, sed inuidiose meum mihi reddat. 3 saltem τὸ ἔσχατον. natum est autem saltem a captiuis, qui nihil aliud praeter salutem a uictore petant.
1 mevm mihi reddat son capital, la seule chose sur laquelle, ci-dessus, il refusait de négocier. 2 Et de façon oratoire : car il ne dit pas quanto emi (au prix où je l'ai achetée), mais avec agressivité meum mihi reddat. 3 saltem c'est l'argument ultime (τὸ ἔσχατον). Car le mot saltem est issu de la langue des prisonniers, qui n'ont rien d'autre à réclamer à leur vainqueur que le salut (salutem)386.

250
scio te non usum antehac amicitia mea;
Je sais que tu n'as pas jusqu'ici exploité mon amitié ;

scio te non vsvm antehac amicitia mea figura ἀξιοπιστία, per quam ostendit fideliter se promittere, quod promittit. Vergilius «  scio me D. Danais e c. classibus u. unum 107 ».
scio te non vsvm antehac amicitia mea figure de recherche de confiance (ἀξιοπιστία), par laquelle il montre qu'il promet ce qu'il promet d'une façon digne de foi. Virgile : « scio me Danais e classibus unum » (je sais et j'avoue être l'un de ceux qui, débarqués des navires grecs...)387.

251
memorem me dices esse et gratum. Sy.-sedulo
mais tu pourras dire de moi que je sais me souvenir et que j'ai de la reconnaissance. Sy.-C'est de mon mieux que

1 memorem me dices figurate inducta promissio praemiorum. 2 Et bene utrumque, nam non continuo qui memor etiam gratus est. 3 Memor est, qui apud se meminit, gratus qui meruit hoc uocari, dum uicem reddit; nam multi memores, ingrati tamen. 4 sedvlo faciam sic promittit, ut nihil interesse sua credatur. 5 sedvlo de industria, sine dolo.
1 memorem me dices de façon figurée est induite une promesse de récompense. 2 Et il fait bien d'utiliser les deux adjectifs, car celui qui est memor (qui se rappelle) n'est pas toujours aussi gratus (reconnaissant). 3 Est dit memor celui qui se souvient en son for intérieur, est dit gratus celui qui mérite ce nom au moment où il rend la pareille ; car il y en a beaucoup qui ont de la mémoire et qui sont néanmoins ingrats. 4 sedvlo faciam il promet sans qu'on ait l'impression que rien le concerne. 5 sedvlo avez zèle, sans ruse (sine dolo)388.

252
faciam. sed Ctesiphonem uideo. laetus est
je ferai. Mais je vois Ctésiphon. Il est tout content

1 sed ctesiphonem video laetvs est de amica aduentus in proscaenio personarum cum consulto consilio fingantur a poeta, tamquam superueniunt aliis rebus in medio positis, quae ipsarum interuentu finiantur. mire tamen, quod quasi ex argumento futuri actus sui, antequam loqui incipiant, describuntur. 2 laetvs est de amica hoc lentius et submisse.
1 sed ctesiphonem video laetvs est de amica les entrées en scène de personnages, tout en étant imaginées en toute conscience par le poète, surviennent pour ainsi dire au milieu d'événements auxquels l'intervention des personnages met fin. Il est néanmoins remarquable que, en préparation de ce qu'ils vont faire, on les décrive avant qu'ils ne commencent à parler. 2 laetvs est de amica ces mots sont dits plus lentement et à mi-voix.

253
de amica. Sa.-quid quod te oro? Sy.-paulisper mane.
pour sa jeune amie. Sa.-Et ma demande ? Sy.-Attends un peu.

1 qvid qvod te oro deest agis et ego. 2 qvod te oro aut si quid aut propter quod intellegamus, ut sit: "quid mihi respondes de eo propter quod te oro?" aut: "si quid te oro?". 3 Et quam bene fastidiosum lenonem facit Syrus, ut optans ille desperando accipiat uiginti minas! nam et supra non intendenti dicit totiens in uno sensu «  Syre 108 ». 4 de amica potest hoc et interrogatiue pronuntiari.
1 qvid qvod te oro il manque agis (tu fais) et ego (moi). 2 qvod te oro comprenons ou bien si quid ou bien propter quod, pour faire : "quid mihi respondes de eo propter quod te oro ?" (que me réponds-tu sur le sujet à propos duquel je te sollicite ?) ou bien : "si quid te oro ?" (que me réponds-tu pour ce que je te demande ?). 3 Et comme Syrus réussit à épuiser le proxénète, au point que par désespoir il accepte, en les souhaitant, les vingt mines ! Car ci-dessus, pour qui fait attention, ce n'est pas dans la même intention qu'il dit plusieurs fois « Syre ». 4 de amica on peut aussi dire cela sur un ton interrogatif389.

scaena tertia

Sannio Syrus Ctesipho

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254
Ct.-abs quiuis homine, cum est opus, beneficium accipere gaudeas;
Ct.-D'où qu'il vienne, quand on en a besoin, on est content de recevoir un service ;

1 abs qvivis homine cvm est opvs beneficivm accipere gavdeas in hac scaena gratiarum actio est ex persona et eius qui praestitit et eius cui praestitum est et ex ipsius praestiti quantitate. nam omne quod geritur, aut in rebus est aut in personis aut in attributis eorum. 2 abs qvivis homine bene sic coepit dicturus «  o frater frater 109 ». 3 Et qui secundum regulam dixit, quia dicimus quibus. ceterum a quo quis facit et non quibus. 4 Et incerta distinctio est: uel cum opus est beneficium accipere uel cum opus est beneficium69, hoc uetuste, illud communiter.
1 abs qvivis homine cvm est opvs beneficivm accipere gavdeas dans cette scène, l'acte de remercier porte à la fois sur la personne qui a rendu service, sur celle à qui le service a été rendu et sur l'importance du service lui-même. Car tout se qui se fait est soit dans les choses, soit dans les personnes, soit dans leurs attributs. 2 abs qvivis homine c'est un bon début pour celui qui va bientôt dire : « o frater frater ». 3 Et qui est accordé selon la règle, puisque nous disons quibus. Par ailleurs a quo fait quis au pluriel et non pas quibus390. 4 Et la ponctuation n'est pas sûre : ou l'on segmente cum opus est beneficium accipere (quand on a besoin de recevoir un bienfait) ou cum opus est beneficium (quand un bienfait est nécessaire) ; cette dernière expression est vieillie, la première est commune391.

255
uerum enim uero id demum iuuat, si quem aequum est facere is bene facit.
mais c'est vraiment le bonheur quand c'est celui qui doit faire le bien qui le fait.

1 id demvm ivvat ostendit plus esse quod iuuat quam gaudium. 2 is bene facit bene subaudiendum est bis numero.
1 id demvm ivvat il montre que ce qui réjouit (iuuat) est plus fort que la joie (gaudium). 2 is bene facit il faut sous-entendre une deuxième fois bene392.

256
o frater frater! quid ego nunc te laudem? satis certo scio:
O mon frère, mon frère ! Comment aujourd'hui ferais-je ton éloge ? je ne le sais que trop :

1 o frater frater Vergilius «  et fratrem ne desere, frater 110 ». unum relatum ad appellationem, alterum ad laudem. et subdistinguendum, ut uideatur quaesisse quid ultra diceret et plus inuenire non potuisse quam frater. 2 qvid ego nvnc quid propter quid. et nunc τῷ ἰδιωτισμῷ additum de superfluo, ut «  tu nunc C. Carthaginis a. altae f. fundamenta l. locas 111 ». 3 qvid ego nvnc te lavdem distinguendum. quid autem propter quid.
1 o frater frater Virgile : « et fratrem ne desere, frater » (et n'abandonne, pas, frère, un frère). La première occurrence renvoie à l'appellation, la seconde à l'éloge. Et il faut mettre une pause courte, pour qu'il donne l'impression d'avoir cherché un autre terme sans avoir trouvé rien de mieux que frater393. 2 qvid ego nvnc quid vaut propter quid. Et nunc, par particularisme (τῷ ἰδιωτισμῷ), est un ajout superflu, comme dans : « tu nunc Carthaginis altae fundamenta locas » (toi, maintenant, tu places les fondements de l'altière Carthage)394. 3 qvid ego nvnc te lavdem il faut poser une ponctuation. Quant à quid, il vaut propter quid395.

257
numquam ita magnifice quicquam dicam, id uirtus quin superet tua.
je ne dirai jamais rien de si généreux que ton mérite ne le surpasse.

1 nvmqvam deest quod, ut sit quod numquam. 2 ita magnifice qvicqvam dicam70 duplex causa est omittendae laudis: si res aut nimium mala est aut nimium bona. 3 id virtvs qvin svperet tva bona περίφρασις: uirtus tua potius quam tu.
1 nvmqvam il manque quod, pour faire quod numquam396. 2 ita magnifice qvicqvam dicam il y a deux raisons de renoncer à l'éloge : si la chose est trop mauvaise ou si elle est trop bonne. 3 id virtvs qvin svperet tva bonne périphrase (περίφρασις) : uirtus tua plutôt que tu (toi).

258
itaque unam hanc rem me habere praeter alios praecipuam arbitror
Aussi je pense avoir un unique avantage sur les autres,

itaqve vnam hanc rem me habere itaque et subiunctiuum potest esse correpta media syllaba et praepositiuum producta eadem syllaba, ut sit itáque.
itaqve vnam hanc rem me habere itaque peut à la fois être postposé, s'il a sa syllabe centrale brève, soit antéposé, si cette même syllabe est longue, pour faire itáque397.

259
fratrem hominem neminem876 esse primarum artium magis principem.
c'est qu'il n'existe aucun autre frère plus remarquable en qualités primordiales.

1 fratrem noue dixit unam rem fratrem. 2 sed ego puto fratrem non subdistinguendum sed legendum contexte usque ad principem. nam si distinxeris fratrem, bis erit arbitror subaudiendum, et supra et infra. quod si fratrem inferioribus iunxeris, et cum admiratione pronuntiabitur et subaudietur quam mihi. hanc sane locutionem scire debemus propter personam elaboratam. nam et nimium gaudet et rusticus adulescens est, qui conatur laudare Aeschinum titubans ac paene balbutiens. 3 hominem neminem noue auribus nostris, sed ueterum consuetudine locutus est. nam cum neminem71 hominem significet, quid opus fuit dicere hominem neminem? 4 Sed, ut diximus, figura est ἀρχαϊσμός.
1 fratrem développement inédit de unam rem par fratrem398. 2 Mais moi399 je pense qu'il ne faut pas ponctuer après fratrem mais lire d'un seul tenant jusqu'à principem. Car si l'on sépare fratrem, il faudra sous-entendre arbitror une deuxième fois, au-dessus et en dessous. Alors que si l'on rattache fratrem aux mots qui suivent, d'une part il se prononcera avec un ton admiratif, d'autre part on sous-entendra quam mihi400. Nous devons bien savoir que cette manière de parler est élaborée en fonction du personnage. Car d'une part il est trop content, d'autre part c'est un jeune homme de la campagne qui entreprend de faire l'éloge d'Eschine avec des hésitations et des sortes de balbutiements. 3 hominem neminem étrange à nos oreilles, mais il parle selon l'usage des Anciens401. De fait, puisque neminem implique hominem, quel besoin y avait-il de dire hominem neminem ?402 4 Mais, comme nous l'avons dit, c'est une figure d'archaïsme (ἀρχαϊσμός).

260
Sy.-o Ctesipho. Ct.-o Syre, Aeschinus ubi est? Sy.-ellum, te exspectat domi. Ct.-hem.
Sy.-O Ctésiphon ! Ct.-O Syrus ! Eschine, où est-il ? Sy.-Le voilà qui t'attend à la maison. Ct.-Hein !

1 o ctesipho mire coepit gaudium significans. 2 o ctesipho o syre72 ille ut gaudens, hic ut qui non praeuiderit o dicit. 3 syre aeschinvs vbi est bene de illo statim, cui agebat gratias. 4 ellvm ecce illum. 573 Vel pronomen est uel aduerbium demonstrantis. aliqui74 ellum interrogatiue legunt, ut sit: ellum dicis? te expectat domi; ut sit ellum pronomen, id est illum. nam et illum et ellum et ollum ueteres dixerunt. 6 domi aduerbium est in loco. 7 hem interiectio est laetantis.
1 o ctesipho remarquablement, l'énoncé inaugural manifeste sa joie. 2 o ctesipho o syre le premier dit o en persone qui se réjouit, le second en personne qui n'avait d'abord pas vu l'autre. 3 syre aeschinvs vbi est de belle manière, il interroge aussitôt sur celui à qui il faisait ses remerciements. 4 ellvm vaut ecce illum. 5 C'est soit un pronom, soit un adverbe démonstratif403. Certains lisent ellum sous la forme interrogative, pour faire ellum dicis ? te expectat domi (lui, tu veux dire ? il t'attend à la maison) ; en sorte que ellum est un pronom, équivalant à illum (celui-ci). Car les Anciens disaient aussi bien illum qu'ellum et ollum. 6 domi adverbe du lieu où l'on est. 7 hem interjection de joie.

261
Sy.-quid est? Ct.-quid sit? illius opera, Syre, nunc uiuo: festiuum caput,
Sy.-Qu'y a-t-il ? Ct.-Ce qu'il y a ? C'est grâce à lui, Syrus, que je suis vivant à cette heure : quelle gentille personne !

1 festivvm capvt huic contrarius sensus est «  ridiculum caput 112 ». alii putant festiuum caput non Aeschini intellegendum, sed orationis, quam habet Ctesipho agens gratias fratri. ita in Eunucho «  quam uenuste quod dedit principium adueniens! 113 ». quod si est, et «  nihil potest supra 114 »75 "hanc laudationem", non "supra hoc factum" erit accipiendum. 2 Sed male; nam caput Aeschini dicit, hoc est ipsum Aeschinum, ut in toto pars sit per συνεκδοχήν, in qua figura ea pars pro toto ponenda est, quae aut eminet ex toto aut maioris pretii est ad id quod agitur. ceterum quod ipsum seruatum auctoribus bonis sit, si exempla συνεκδοχῆς penitus consideraris, inuenies. 3 illivs opera dicendo opera et corporeum laborem Aeschini ostendit et religionem: corporeum laborem, ut «  hunc mihi da proprium, uirgo sata Nocte, laborem, hanc operam 115 », religionem, ut «  annua magnae sacra refer Cereri laetis operatus in herbis 116 ». 4 qvid sit deest quaeris; sed admirantis magis quam interrogantis aduerbium est. 5 illivs opera nvnc vivo o miram amplificationem beneficii! non dixit illius opera amicam habeo, sed, quod satis graue et satis amatorium, illius opera inquit nunc uiuo.
1 festivvm capvt on trouve le sens contraire avec : « ridiculum caput ». D'autres pensent que festiuum caput ne doit pas être compris comme signifiant la tête d'Eschine, mais celle du discours que Ctésiphon tient en remerciant son frère. Ainsi dans L'Eunuque : « quam uenuste quod dedit principium adueniens ! ». Mais s'il en est ainsi, il faudra aussi comprendre nihil potest supra comme signifiant "au-dessus de cet éloge" et non pas "au-dessus de ce fait"404. 2 Mais c'est une mauvaise interprétation ; car il évoque la tête (caput) d'Eschine, c'est-à-dire sa personne entière, en sorte qu'il s'agit de la partie dans le tout par synecdoque (συνεκδοχή), figure par laquelle on met pour le tout une partie qui soit dépasse du tout, soit est d'une valeur particulièrement forte pour désigner ce dont il s'agit405. Du reste, si l'on examine à fond les exemples de synecdoque (συνεκδοχή), on trouvera que les bons auteurs conservent cette figure. 3 illivs opera en parlant d'opera, il évoque autant l'effort physique d'Eschine que sa sollicitude : l'effort physique, comme dans : « hunc mihi da proprium, uirgo sata Nocte, laborem, hanc operam » (accorde-moi, vierge née de la Nuit, le propre fruit de ton travail, de ton œuvre), la sollicitude, comme dans : « annua magnae sacra refer Cereri laetis operatus in herbis » (chaque année renouvelle ton sacrifice à la grande Cérès en procédant sur l'herbe grasse)406. 4 qvid sit il manque quaeris (tu demandes) ; mais il s'agit davantage d'un adverbe d'étonnement que d'interrogation407. 5 illivs opera nvnc vivo quelle remarquable amplification du bienfait reçu ! car il ne dit pas illius opera amicam habeo (c'est grâce à son action que j'ai une maîtresse), mais, ce qui est plutôt sérieux et digne d'un amoureux, il dit illius opera nunc uiuo.

262
quin omnia sibi post putarit esse prae meo commodo,
Certes, il aura pensé que tout pour lui passe après mon intérêt,

1 qvin omnia admiratiue additum quin et sic pronuntiandum. 2 qvin τὸ πλῆρες quine. 3 prae meo commodo id est: mei commodi comparatione. et in Eunucho «  hic ego illum contempsi prae me 117 », id est mei comparatione.
1 qvin omnia quin est un ajout admiratif et il faut le prononcer comme tel. 2 qvin la forme complète (τὸ πλῆρες) est quine. 3 prae meo commodo c'est-à-dire : mei commodi comparatione (en comparaison de mes mérites). De même dans L'Eunuque : « hic ego illum contempsi prae me », c'est-à-dire mei comparatione (en comparaison avec moi)408.

263
maledicta, famam! meum laborem et peccatum in se transtulit;
les insultes, le scandale ! ma peine et la faute, il les a prises sur lui ;

1 maledicta famam aut Sannionis aut Demeae maledicta, famam populi. nam si aliter acceperis, idem uidebitur maledicta et malam famam. 2 mevm laborem et peccatvm de rapienda meretrice et de amanda. 3 maledictvm famam cum dixisset omnia, intulit duo tantum maledictum et famam, ut «  omnia Mercurio similis uocemque c. coloremque 118 », ut sit defectus quidam intellegendus ex affectu gratias agentis. 4 in se transtvlit pulchra παρασκευή, qua erratura est Sostrata circa Aeschinum, quemadmodum iam errauit Demea, quod credit ab illo amari meretricem.
1 maledicta famam il s'agit des insultes de Sannion ou de Déméa, de l'opinion du peuple. Car si on comprend autrement, maledicta et famam paraîtront être la même chose. 2 mevm laborem et peccatvm pour l'enlèvement de la courtisane dans le premier cas, le fait d'en être amoureux dans l'autre. 3 maledictvm famam après avoir dit omnia (tout), il n'indique que deux éléments, maledictum et famam, comme dans : « omnia Mercurio similis uocemque coloremque » (semblable en tout à Mercure, et par la voix et par le teint)409, comme s'il fallait comprendre que les mots lui manquent en raison de l'affectivité qu'il met dans ses remerciements. 4 in se transtvlit bel effet de préparation (παρασκευή), qui trompera Sostrata au sujet d'Eschine, comme elle a déjà trompé Déméa, parce qu'il croit que c'est Eschine qui est amoureux de la courtisane.

264
nihil pote supra. quidnam fores crepuit? Sy.-mane, mane; ipse exit foras.
il n'y a rien de mieux. Mais pourquoi la porte grince-t-elle ? Sy.-Attends, attends, c'est lui justement qui sort de la maison.

1 nihil pote svpra ἔλλειψις per admirationem: subauditur esse uel dici. 2 Et pote pro potis, ut mage pro magis τῷ ἀρχαϊσμῷ. 3 qvidnam fores crepvit crepuit "acre sonuit", unde decrepiti dicti sunt clamosi senes. fores singularis numeri casus nominatiuus. 4 mane mane gaudentis hoc dictum est, non opperiri iubentis.
1 nihil pote svpra ellipse (ἔλλειψις) admirative : on sous-entend esse (être) ou dici (être dit). 2 Et pote mis pour potis, comme mage (davantage) mis pour magis (même sens) par archaïsme (τῷ ἀρχαϊσμῷ). 3 qvidnam fores crepvit crepuit veut dire "a rendu un son aigu", d'où l'on appelle decrepiti (décrépits) les vieillards criards410. Fores est un nominatif singulier411. 4 mane mane c'est davantage un mot de joie que l'ordre d'attendre.

scaena quarta

Sannio Syrus Ctesipho Aeschinus

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265
Ae.-ubi est ille sacrilegus? Sa.-men quaerit? num quidnam effert? occidi!
Es.-Où est ce bandit ? Sa.-C'est moi qu'il cherche ? Est-ce qu'il a quelque chose à la main ? Mort de moi !

1 vbi est ille sacrilegvs mire Aeschinus seruat aduersus lenonem superbiam, qua ostenditur tanto esse alienior animo ab amoribus meretriciis76, quanto audacior in lenonem. 2 men qvaerit nvm qvidnam effert sperat leno aliquid se accepturum praeter conuicium, ut alibi «  minis uiginti tu illam emisti, quae res tibi uertat male: argenti tantum dabitur 119 ». 3 Et uide quanti faciat leno prae lucro iniuriam: sacrilegi nomine se significari non solum non dolet, sed etiam cupit. oportet autem men quaerit cum quadam gesticulatione et subsaltatione pronuntiari sperantis lenonis ad hoc se quaeri, ut accipiat. 4 occidi nihil video occidi non quia sacrilegus dictus, sed quia nihil accipit. et simul gestum considera loquentis ex uerbis. 5 occidi nihil video mire hoc uerbo apparet in uultu lenonis et spem mortuam et restinctum gaudium. iam et apta ἔλλειψις haec dicentis est occidi, nihil uideo: neque enim addidit proferri aut quid tale.
1 vbi est ille sacrilegvs il est remarquable qu'Eschine conserve à l'endroit du proxénète sa morgue, qui montre qu'il est aussi peu intéressé par les amours tarifées qu'il a de l'audace contre le proxénète. 2 men qvaerit nvm qvidnam effert le proxénète espère recevoir autre chose que des insultes, comme dans : « alibi minis uiginti tu illam emisti, quae res tibi uertat male : argenti tantum dabitur ». 3 Et voyez quelle importance il donne à l'insulte en comparaison du gain qu'il convoite : non seulement il ne lui est pas insupportable d'être désigné du nom de sacrilegus, mais même il le revendique. Il faut alors prononcer men quaerit avec les gestes et les sursauts de celui qui espère qu'on le cherche pour lui donner quelque chose. 4 occidi nihil video il dit occidi non parce qu'il a été traité de sacrilegus, mais parce qu'il n'y a rien pour lui. Et en même temps, représentez-vous les gestes du locuteur à partir de ses paroles412. 5 occidi nihil video de façon remarquable, avec ce mot apparaît sur le visage du proxénète la fin de ses espérances et la disparition de sa gaieté. Et c'est une ellipse (ἔλλειψις) qui convient bien à celui qui dit : occidi, nihil uideo : car il n'ajoute pas proferri (être apporté) ou quelque chose de cet acabit.

266
nihil uideo. Ae.-hem877 opportune! te ipsum quaerito878. quid fit, Ctesipho?
Je ne vois rien. Es.-Hé toi, tu tombes bien ! C'est justement toi que je cherche. Comment va, Ctésiphon ?

hem interiectio repentinae rei. 2 opportvne te ipsvm qvaerito ἀσύνδετον: deest uenisse. non enim sequenti adnectitur. 3 qvid fit ctesipho quid fit blandum initium est: non enim nunc interrogat, cum ipse dicat «  in tuto est omnis res 120 ». sic ipse mox in subditis «  iam nunc haec tria addidi praeter naturam: o noster, quid fit, quid agitur? 121 ».
hem interjection signalant une chose soudaine. 2 opportvne te ipsvm qvaerito asyndète (ἀσύνδετον) : il manque uenisse (être venu). Car il ne fait pas de liaison avec ce qui suit413. 3 qvid fit ctesipho quid fit est une entrée en matière agréable : car il n'est pas en train de poser une question, puisqu'il vient de dire : « in tuto est omnis res ». De même, il dira bientôt en personne : « iam nunc haec tria addidi praeter naturam : o noster, quid fit, quid agitur ? ».

267
in tuto est omnis res: omitte uero tristitiam879 tuam.
L'affaire est dans le sac ; laisse tomber ton chagrin.

1 in tvto est omnis res quasi amatori omnem rem dixit negotium de amica. 2 An omnis res et lenonis iurgium et suspicio patris Demeae? 3 omitte vero uero abundat aut correptiuum est iamdudum non omittentis. 4 tristitiam tvam sic dixit quasi nimiam.
1 in tvto est omnis res comme il s'adresse à un amoureux, omnem rem signifie "l'affaire au sujet de ta maîtresse". 2 Ou bien omnis res renvoie-t-il à la dispute avec le proxénète et aux soupçons de Déméa ? 3 omitte vero uero est superflu, ou alors c'est une marque de reproche envers quelqu'un qui met du temps à laisser tomber. 4 tristitiam tvam il le dit comme s'il disait "excessive".

268
Ct.-ego illam hercle uero omitto, qui quidem te habeam fratrem. o mi Aeschine,
Ct.-Oui ma foi, je le laisse tomber, puisque c'est toi que j'ai comme frère. O mon cher Eschine,

1 ego illam hercle vero omitto apparet nunc non primum dici Ctesiphoni ab Aeschino omitte tristitiam nec nunc primum responsum omitto, sed ideo additum hercle uero, quia nunc demum data est plena securitas. 2 qvi qvidem te habeam fratrem acuendum est te.
1 ego illam hercle vero omitto il appert donc que ce n'est pas la première fois que Ctésiphon dit à Eschine omitte tristitiam ni qu'il lui est répondu omitto, mais s'il ajoute hercle uero, c'est parce que cette fois-ci la situation est pleinement sécurisée. 2 qvi qvidem te habeam fratrem il faut accentuer d'un aigu le pronom te.

269
o mi germane! ah uereor coram in os te laudare amplius,
ô mon frère de sang ! Ah ! j'ai peur de te louer davantage en face à face,

1 o mi germane mi meus, sed uocatiuo casu dixit. 2 coram in os coram ad ipsum pertinet qui laudat et ad eos qui audiunt; in os ad ipsum qui laudatur. 3 Nam coram laudat, qui non tacet apud alios et hoc agit non per epistulam sed ipse praesens; in os, qui apud ipsum loquitur quem collaudat. 4 lavdare amplivs quia iam77 laudauit.
1 o mi germane mi de meus, mais il emploie le vocatif. 2 coram in os coram renvoie à l'auteur de l'éloge et aux auditeurs ; in os au destinataire de l'éloge. 3 Car on fait un éloge coram (ouvertement), quand on ne reste pas silencieux devant les autres et qu'on le fait non par écrit mais en étant présent ; et in os (en face), quand on parle en présence de celui même dont on fait l'éloge. 4 lavdare amplivs parce qu'il a déjà fait son éloge.

270
ne id adsentandi magis quam quod880 habeam gratum facere existimes.
de peur que tu n'ailles croire que je fais ça pour te flatter plus que par reconnaissance.

1 ne id assentandi antiqua ἔλλειψις: deest enim causa. 2 assentandi "adulandi". et utrum deest causa an absolute sic dicitur? 3 ne id assentandi specta, si non rusticus adulescens est et purissimae simplicitatis, adeo ut etiam uelle laudare fratrem nimio pudore non possit hoc solo, quia praesens est, cum illum nimium laudarit absentem. 4 qvam qvod habeam gratvm uarie: non enim intulit, quas gratias agenti. 5 qvo quia.
1 ne id assentandi ellipse (ἔλλειψις) archaïque : car il manque causa. 2 assentandi "de flatter". Et manque-t-il causa ou la construction est-elle absolue414 ? 3 ne id assentandi observez si ce n'est pas un jeune paysan d'une simplicité si authentique qu'il va jusqu'à se refuser, par un excès de retenue, à faire l'éloge de son frère au seul motif qu'il est présent, alors qu'il l'a abondamment loué en son absence415. 4 qvam qvod habeam gratvm variation : en effet il ne précise pas quels remerciements. 5 qvo pour quia416.

271
Ae.-age inepte, quasi nunc non norimus nos inter nos, Ctesipho.
Es.-Allons, idiot ! comme si nous ne nous connaissions pas l'un l'autre, Ctésiphon !

age inepte non est iniuria, quia et maior frater est et blanda dicturus.
age inepte ce n'est pas une insulte, parce qu'il est l'aîné et qu'il va dire ensuite de gentilles choses.

272
hoc mihi dolet, nos paene sero rescisse et paene in eum locum
Ce qui me soucie, c'est que nous ayons su presque trop tard et qu'on en était presque arrivé

1 hoc mihi dolet τῷ ἀττικισμῷ mihi dolet pro doleo. 2 Et dolet bis subaudiendum est. 3 et paene in locvm insinuatio beneficii ex periculo, difficultatis78 ob tempus.
1 hoc mihi dolet par atticisme (τῷ ἀττικισμῷ) il dit mihi dolet pour doleo (je souffre)417. 2 Et dolet doit être sous-entendu une deuxième fois418. 3 et paene in locvm il insinue que le bienfait a été obtenu au fort du danger et que les difficultés étaient dues au retard.

273
redisse, ut, si omnes cuperent, tibi nil possent auxiliarier.
au point où, même en voulant t'aider, tous y auraient échoué.

vt si omnes cvperent non "si ego tantum, multis79 aduersantibus".
vt si omnes cvperent et non pas "si j'avais été moi tout seul contre beaucoup d'autres".

274
Ct.-pudebat. Ae.-ah, stultitia est istaec, non pudor: tam ob paruulam
Ct.-J'avais honte. Es.-Eh bien c'est de la bêtise que tu avais là, non de la honte : pour une si petite

1 pvdebat deest fateri. 2 stvltitia est istaec non80 fateri ei, qui ipse patri numquam quicquam celauerit. 3 tam ob parvvlam ergo et diminutiuis adiungitur tam particula. 4 Et deest perire, sed τῷ εὐφημισμῷ tacetur. 5 tam ob parvvlam id est meretricem. et bene haec Aeschinus, quia maiora expertus sit, id est uitium uirginis.
1 pvdebat il manque fateri (d'avouer). 2 stvltitia est istaec de ne pas se confier à celui qui, lui-même, n'a jamais rien caché à son père. 3 tam ob parvvlam donc la particule tam s'adjoint aussi à des diminutifs419. 4 Et il manque perire (périr), mais on le passe sous silence par euphémisme (τῷ εὐφημισμῷ). 5 tam ob parvvlam à savoir la courtisane. Et c'est bien dit d'Eschine parce qu'il a, lui, expérimenté des choses plus graves, à savoir la défloration d'une fille vierge.

275
rem paene ex patria! turpe dictu. di881 quaeso ut istaec prohibeant.
chose, quasiment s'expatrier ! C'est grotesque à dire. Je prie les dieux de nous éviter ça.

1 paene ex patria deest fugere, quia amatores comici cito comminantur patriam se deserturos, ut amicam consequantur. 2 paene ex patria ἀποσιώπησις εὐφημισμοῦ χάριν. Menander mori illum uoluisse fingit, Terentius profugere. 3 tvrpe dictv hoc est: "turpe dictu te fugere". et deest est. 4 di istaec prohibeant id est exilium fugamque patriae.
1 paene ex patria il manque fugere (s'enfuir), parce que les amoureux de comédie ont tôt fait de menacer de s'exiler pour obtenir leur maîtresse. 2 paene ex patria aposiopèse par euphémisme (ἀποσιώπησις εὐφημισμοῦ χάριν). Ménandre imagine qu'il a voulu se tuer, Térence qu'il a voulu s'exiler. 3 tvrpe dictv c'est-à-dire : "il est honteux de dire que tu t'exiles". Et il manque est. 4 di istaec prohibeant à savoir l'exil et la fuite loin de sa patrie.

276
Ct.-peccaui. Ae.-quid ait tandem nobis Sannio? Sy.-iam mitis est.
Ct.-J'ai commis une faute. Es.-Et que nous dit Sannion ? Sy.-Il s'est radouci.

1 peccavi approbauit ex periculo magnitudinem beneficii. 2 qvid ait tandem nobis sannio nobis τῷ ἰδιωτισμῷ additum; non enim nobis ait intellegendum est. 3 iam mitis est quia supra «  iam debacchatus es, leno 122 » dixit.
1 peccavi il entérine la grandeur du bienfait par rapport au danger. 2 qvid ait tandem nobis sannio nobis est un ajout par idiotisme (τῷ ἰδιωτισμῷ)420 ; car il ne faut pas comprendre nobis ait (il nous dit). 3 iam mitis est parce que ci-dessus il disait : « iam debacchatus es, leno ».

277
Ae.-ego ad forum ibo, ut hunc absoluam; tu intro ad illam, Ctesipho.
Es.-Je vais aller au forum pour le payer ; toi, Ctésiphon, entre et va la voir.

1 ego ad forvm ibo tunc enim in foro et de mensae scriptura magis quam ex arca domoque uel cista pecunia numerabatur. 2 vt hvnc absolvam id est: "ut hunc reddito illi pretio dimittam"; nam uelut ligati sunt, quibus debetur aliquid. dicuntur autem et illi solui, qui cum debitores pretiorum fuerint, pecuniam reddunt debitam. 3 Est ergo absoluam a me soluam. 4 An iocatur in tristitia lenonis, qui illum cum barba lenonia et maesto uultu sequitur uelut reus? 5 tv intro ad illam ctesipho bona ἔλλειψις, significans licentiam potiendae meretricis.
1 ego ad forvm ibo car à cette époque on allait chercher de l'argent au forum et dans un compte en banque plutôt que dans un coffre-fort et chez soi ou dans une cassette421. 2 vt hvnc absolvam c'est-à-dire : "pour me débarrasser de lui après lui avoir payé son dû" ; car ils sont comme liés, ceux à qui on doit quelque chose. On dit aussi que se libèrent (solui) ceux qui, après avoir été débiteurs de quelque argent, rendent la somme due. 3 Donc absoluam se comprend comme a me soluam (pour le détacher de moi). 4 A moins qu'il ne plaisante sur la morosité du proxénète, qui le suit avec sa barbe de proxénète et son visage affligé, comme un accusé422 ? 5 tv intro ad illam ctesipho bonne ellipse (ἔλλειψις), qui signifie la permission de posséder sa maîtresse.

278
Sa.-Syre, insta. Sy.-eamus: namque hic properat in Cyprum. Sa.-ne tam quidem!
Sa.-Syrus, insiste. Sy.-Allons-y : car l'autre est pressé d'aller à Chypre. Sa.-Pas tant que ça.

1 syre insta iam Syrus non ut adiuuet, sed ut instanter adiuuet rogatur. 2 eamvs namqve hic properat hoc clamat Syrus, ut beneficium ostentet, sane ut et rursum lenonem de profectione conterreat. 3 ne tam qvidem hoc a lenone inconstanter dicitur, ut perturbatio metuentis magnum damnum possit ostendi. 4 ne tam qvidem tam pro tantum. 5 An tam pro tamen?
1 syre insta désormais on demande à Syrus non pas d'aider, mais d'aider instamment. 2 eamvs namqve hic properat Syrus hurle cela pour bien montrer sa bonne action, et aussi sûrement pour épouvanter une nouvelle fois le proxénète à propos de son départ. 3 ne tam qvidem la chose est dite par le proxénète sans beaucoup d'assurance, pour qu'on puisse comprendre le trouble de celui qui redoute une grande perte. 4 ne tam qvidem tam mis pour tantum. 5 Ou tam pour tamen ?

279
quamuis etiam maneo otiosus hic. Sy.-reddetur: ne time.
Et même, je reste ici à attendre. Sy.-On te remboursera, n'aie crainte.

1 etiam deest dicas me properare aut propero, ut sit etiam aduerbium hortantis uel consentientis. 2 qvamvis etiam pro quantum uis. etiam particula utrum consentientis aduerbium est an coniunctio, qua significat et properare se et non in tantum, ut neglegat quod sibi debetur? 3 maneo otiosvs hic hoc separatim inferendum est quasi pertinaciter asseuerante lenone instaturum se. 4 Exclamatione agendum maneo otiosus hic. dixit enim propero et rursum consenserat in Syri uerba properasse se dicens. 5 reddetvr ne time quod desperauerat leno, Syri ostendit sermo.
1 etiam il manque dicas me properare (bien que tu dises que je me hâte) ou propero (bien que je me hâte), en sorte que etiam est un adverbe d'encouragement ou de consentement423. 2 qvamvis etiam mis pour quantum uis (autant que tu veux). La particule etiam est-elle un adverbe de consentement ou une conjonction qui marque qu'il se hâte mais pas au point de négliger ce qu'on lui doit ? 3 maneo otiosvs hic il faut prononcer cela en le séparant bien, comme si le proxénète était en train d'affirmer avec obstination qu'il va continuer. 4 Il faut jouer sur le mode exclamatif maneo otiosus hic. Il a dit en effet propero et il avait l'air de nouveau d'accord avec les paroles de Syrus qui disait qu'il se hâtait. 5 reddetvr ne time la réplique de Syrus révèle ce qui avait fait perdre espoir au proxénète.

280
Sa.-at ut omne reddat! Sy.-omne reddet. tace modo ac sequere hac. Sa.-sequor.
Sa.-Mais qu'il rende l'intégralité ! Sy.-Il rendra l'intégralité. Tais-toi seulement et viens par là. Sa.-Je viens.

1 at vt omne reddat propter illud, quod dixerat Syrus «  diuiduum face 123 ». et probatum est completumque, quod ait «  cupide accipiat faxo 124 ». et hoc ipsum cum trepida et uultuosa supplicatione pronuntiandum est. 2 tace modo ac seqvere hac sic ait Syrus, quasi nunc lenonem doceat, quae sit ars non perdendi. et totum cum supercilio praestantis magnum beneficium dicit. 3 seqvor hoc responso leno satis commitigatus ostenditur.
1 at vt omne reddat répond à la réplique de Syrus : « diuiduum face ». Et la mission que Syrus s'était assignée se trouve avérée et remplie : « cupide accipiat faxo ». Et il faut dire cette réplique avec une physionomie tremblante et suppliante. 2 tace modo ac seqvere hac Syrus parle désormais comme s'il faisait la leçon au proxénète sur la méthode pour ne pas perdre d'argent. Et il dit tout cela avec l'air de quelqu'un qui fait une bonne action importante. 3 seqvor par cette réponse, le proxénète se montre suffisamment adouci.

281
Ct.-heus heus, Syre! Sy.-em, quid est? Ct.-obsecro te hercle, hominem istum impurissimum
Ct.-Hé ! Hé, Syrus ! Sy.-Oui, qu'y a-t-il ? Ct.-S'il te plaît, par ma foi, ce sale bonhomme,

1 hevs hevs syre ex argumento est ostendere, quantum timeat Ctesipho saeuum patrem. 2 hevs hevs uox est de longinquo reuocantis. 3 obsecro te hercle satis mansuete, quasi lenonem aut non possit rusticus aut non audeat dicere, hominem dixit. 4 istvm impvrissimvm auarissimum. et totum cum exsecratione lenonis.
1 hevs hevs syre c'est de l'argument de la pièce qu'on voit à quel point Ctésiphon a peur de son père sévère. 2 hevs hevs c'est la voix de quelqu'un qui appelle de loin. 3 obsecro te hercle de façon assez doucereuse, comme si, en paysan, il n'arrivait pas ou n'osait pas dire le mot leno, il dit homo. 4 istvm impvrissimvm très cupide. Et l'ensemble sur un ton de haine envers le proxénète.

282
quam primum absoluitote, ne, si magis irritatus siet,
payez-le au plus vite, pour éviter que, si son courroux augmente,

1 qvam primvm absolvitote ne si magis irritatvs siet uelut clamet scilicet. 2 Et proprie de lenone, quem irritari dicit ut canem; nam irritari proprie canes dicuntur. Lucilius de littera R «  irritata canis quam homo quam planius dictat 125 ». lenonem autem timet Ctesipho ut rusticus, ut sub patre duro, ut amator.
1 qvam primvmv absolvitote ne si magis irritatvs siet et, par exemple, aille crier, implicitement. 2 Et au sens propre en parlant du proxénète, qui, dit-il, est excité (irritari) comme un chien ; car ce sont les chiens qui, au sens propre, sont excités (irritari). Lucilius, parlant de la lettre R : « irritata canis quam homo quam planius dictat » (<lettre> qu'une chienne irritée prononce plus clairement qu'un humain)424. Or Ctésiphon a peur du proxénète, en tant que paysan, en tant que fils élevé à la dure, en tant qu'amoureux.

283
aliqua ad patrem hoc permanet atque ego tunc perpetuo perierim.
d'une manière ou d'une autre l'affaire ne vienne aux oreilles de mon père et que je n'aie plus qu'à mourir pour toujours.

1 aliqva ad patrem hoc permanet non dicit quid, sed intellegimus raptum puellae significari. 2 aliqva ad patrem proprie secretum latens latici comparatur intra uas clausum exsistenti, quod cum effunditur manat. sic et alibi de committendis secretis loquens, «  plenus, inquit, rimarum sum, hac atque illac perfluo 126 ». 3 atqve ego tvnc perpetvo perierim quasi et nunc se perisse sentiat sed non perpetuo.
1 aliqva ad patrem hoc permanet il ne dit pas quoi, mais nous comprenons qu'il veut dire l'enlèvement de la jeune femme. 2 aliqva ad patrem proprement, le secret caché est comparé à un liquide contenu dans un récipient fermé qui, quand du liquide s'échappe, fuit (manat). De même ailleurs, à propos de secrets qu'on doit lui confier, un personnage dit : « plenus rimarum sum, hac atque illac perfluo ». 3 atqve ego tvnc perpetvo perierim comme s'il avait le sentiment d'être mort, mais pas pour l'éternité.

284
Sy.-non fiet, bono animo esto882: tu cum illa te intus oblecta interim
Sy.-Cela n'arrivera pas, tranquillise-toi : prends là-dedans avec elle du plaisir en attendant

1 non fiet bono animo esto ut illi liberalis timor sit, ita in Syro seruilis confidentia. 2 tv cvm illa te intvs oblecta moraliter illa dictum est, ut «  daturne illa Pamphilo 127 » et «  illa quidem nostra erit 128 ». 3 tv cvm illa te intvs oblecta honeste explicauit turpe dictu.
1 non fiet bono animo esto de même qu'il y a en Ctésiphon une crainte de fils de bonne famille, de même il y a en Syrus la confiance caractéristique de l'esclave. 2 tv cvm illa te intvs oblecta conformément à son caractère, il dit illa, comme dans : « daturne illa Pamphilo » et : « illa quidem nostra erit »425. 3 tv cvm illa te intvs oblecta il explique de façon polie une situation honteuse à dire426.

285
et lectulos iube sterni nobis et parari cetera.
et fais-nous installer les banquettes et tout préparer.

et lectvlos ivbe sterni nobis nobis "seruis": nihil tam comicum. et cum uultu, ut totum superbe ac magnifice loquatur.
et lectvlos ivbe sterni nobis "nous les esclaves" : il n'y a rien d'aussi comique. Et avec une grimace, pour dire l'ensemble sur un ton orgueilleux et grandiloquent.

286
ego iam transacta re conuertam me domum cum opsonio.
Moi, quand tout sera conclu, je reviendrai à la maison avec les provisions.

convertam me domvm conuertam magnifice dictum; uerbum enim est magni moliminis et grauaminis ingentis. nam conuertere se dicitur, quem pompa praecedit; et imperator proprie conuertit exercitum. ex hoc spectatur, ut moribus arrogantes serui sint, cum laetantur.
convertam me domvm conuertam est dit sur un ton grandiloquent ; car c'est un mot qui a beaucoup de volume et de poids. Car celui dont on dit qu'il s'en retourne (conuertere se), c'est celui qui est précédé d'un cortège ; et c'est le général qui, au sens propre, met une armée en fuite (conuertit). On voit donc à quel point les esclaves ont une nature arrogante quand ils sont joyeux.

287
Ct.-ita, quaeso: quando bene successit883, hilarem hunc sumamus diem.
Ct.-Oui, s'il te plaît : puisque tout a réussi, prenons ce jour comme un jour de fête.

ita qvaeso qvando bene svccessit uolunt quidam et hunc uersum Syri personae adiungendum, sed Ctesiphonis uerba esse ex subditis planum est, cum dicit «  nam hunc diem misere nimis cupio, ut coepi, perpetuum in laetitia degere 129 ».
ita qvaeso qvando bene svccessit certains sont d'avis que ce vers aussi doit être mis au compte du personnage de Syrus ; mais ce sont des paroles de Ctésiphon, la suite le démontre, lorsqu'il dit plus bas : « nam hunc diem misere nimis cupio, ut coepi, perpetuum in laetitia degere ».

Actus tertius

scaena prima

Sostrata Canthara

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288
So.-obsecro, mea nutrix, quid nunc fiet? Ca.-quid fiat roges?
So.-De grâce, ma chère nourrice, comment cela va-t-il se passer maintenant ? Ca.-Comment cela va se passer, tu me le demandes ?

1 obsecro mea nvtrix haec scaena tragoediae ordinem seruat, nam tragoedia in tria diuiditur: exspectationem, gesta, exitum. hic quoque exspectatio est81, in Getae nuntio gesta, in planctu Sostratae exitus. 2 obsecro mea nvtrix hinc demonstratur, qui sit maternus affectus, quam grata in dominos seruorum fides sit, eundemque laborem et dolorem esse ex falsis quam ex ueris malis. 3 obsecro mea nvtrix personae aut ex suis uerbis aut ex alienis insinuantur: ex suis, ut nunc persona Sostratae, ex alienis, ut initio Aeschini persona ex Micionis oratione ac Demeae. 4 obsecro mea nvtrix qvid nvnc fiet mea nunc pro blandimento ponitur, et quid nunc fiet imploratio magis est trepidantis quam ignorantis interrogatio. namque illius nutrix est, quippe anicula est, neque sapientior nutrix est quam domina sua. ipsum etiam quod dicit nutrix honorificum est, ut «  Annam, cara mihi nutrix, huc siste sororem 130 »; sunt enim nomina ad aliquid, quibus nos tamen uelimus ab omnibus appellari, ut magister, medicus, orator.
1 obsecro mea nvtrix cette scène suit le plan d'une tragédie ; en effet, dans la tragédie il y a trois parties : attente, action, issue. Ici aussi : il y a une attente, dans l'annonce de Géta une action, dans les lamentations de Sostrata une issue427. 2 obsecro mea nvtrix on y montre ce qu'est l'affection maternelle, quelle faveur obtient auprès des maîtres la loyauté des serviteurs, et qu'il y a même souffrance et même douleur à partir de fausses nouvelles que de vraies nouvelles de malheur. 3 obsecro mea nvtrix les personnages sont introduits soit avec leurs propres mots soit à partir du discours d'autrui : avec leurs mots propres, comme ici le personnage de Sostrata, avec ceux d'autrui comme le personnage d'Eschine au début au travers du discours de Micion et de Déméa428. 4 obsecro mea nvtrix qvid nvnc fiet mea est mis ici pour enjôler et quid nunc fiet est davantage une question qui témoigne de l'affolement que de l'ignorance. De fait, il s'agit de sa nourrice, c'est bien sûr une petite vieille, et une nourrice n'est pas plus sage que sa maîtresse. Ce mot même de nutrix est honorifique, comme dans : « Annam, cara mihi nutrix, huc siste sororem » (nourrice chère à mon cœur, va chercher ma sœur Anna) ; car il y a des noms relatifs par lesquels nous voudrions cependant être appelés de tout le monde, comme maître, médecin, orateur429.

289
recte edepol spero: modo dolores, mea tu, occipiunt primulum;
Bien, nom d'un chien, j'espère : les douleurs n'en sont, ma chère maîtresse, qu'au tout début ;

1 modo dolores mea tv occipivnt primvlvm euidenter hic modo temporis praesentis aduerbium est. et rursum mea tu blandimentum est, sine quo non progreditur colloquium feminarum et maxime trepidantium. 2 primvlvm initium et ipsa origo dolorum diminutiue demonstrata est; non enim primum sed primulum dicit.
1 modo dolores mea tv occipivnt primvlvm évidemment ici modo est un adverbe de temps présent. Et à nouveau mea tu est une cajolerie sans laquelle la conversation des deux femmes n'avance pas, surtout qu'elles sont affolées. 2 primvlvm le début et l'origine mêmes des douleurs sont marqués par l'emploi du diminutif ; elle ne dit pas en effet primum mais primulum.

290
iam nunc times, quasi numquam adfueris, numquam tute pepereris?
et déjà tu as peur, comme si tu n'avais jamais assisté à ça ni accouché toi-même !

1 nvmqvam tvte pepereris uide praeparationem doloris: nihil mali adhuc secutum est et iam sic perturbatur Sostrata. 2 iam nvnc times qvasi nvmqvam adfveris nvmqvam tvte pepereris docte duo proposuit, quibus experientes scientesque rerum sumus: uidere et pati. sic Vergilius «  quaeque i. ipse m. miserrima u. uidi et q. quorum p. pars m. magna 131 »82. tute autem pro tu παρέλκον est, quod si reiteratur, facit tute et tutemet et tutemet ipse.
1 nvmqvam tvte pepereris voyez la préparation de la douleur : rien de fâcheux n'est encore survenu que déjà Sostrata se trouble430. 2 iam nvnc times qvasi nvmqvam adfveris nvmqvam tvte pepereris habilement, elle propose les deux choses grâce auxquelles nous avons l'expérience et la connaissance des choses : voir et souffrir. Ainsi Virgile : « quaeque ipse miserrima uidi et quorum pars magna » (tous les pires malheurs que j'ai vus de mes yeux et auquel j'ai pris une grande part). Quant à tute mis pour tu, c'est un pléonasme (παρέλκον) qui, si on le réitère, fait tute et tutemet (toi-même) et tutemet ipse (toi-même en personne).

291
So.-miseram me! neminem habeo (solae sumus, Geta autem hic non adest)
So.-Pauvre de moi ! Je n'ai personne (nous sommes seules, quant à Géta il n'est pas là)

1 solae svmvs cum hoc nomen singularitatis sit, mire solae pluraliter dixit. 2 neminem habeo solae svmvs geta avtem hoc non adest muliebriter queritur et ex perturbatione sua aestimans metu multa facit ea, quae pauca sunt. 3 geta avtem hoc non adest hic apparatio est, ut ostendatur absens, qui superuenturus est. 4 miseram me proprium est mulierum, cum loquuntur, aut aliis blandiri, ut «  Annam, cara m. mihi n. nutrix , h. huc s. siste s. sororem 132 », aut se commiserari, ut «  miserae hoc tamen unum exsequere, Anna, mihi 133 ». nam haec omnia muliebria sunt, quibus pro malis ingentibus quasi in aceruum rediguntur et enumerantur nullius momenti querelae. 5 neminem habeo "quid enim opus est aut cur nunc quereris?". 6 solae svmvs numquam pluraliter solae. 7 geta avtem hic non adest ueniet.
1 solae svmvs quoique cet adjectif caractérise l'unicité, paradoxalement il utilise solae au pluriel431. 2 neminem habeo solae svmvs geta avtem hoc non adest elle se plaint comme une femme et jugeant à l'aune de son trouble, par peur elle multiplie des faits qui sont peu nombreux. 3 geta avtem hic non adest c'est une préparation, pour que soit envisagé en son absence celui qui s'apprête à survenir. 4 miseram me c'est le propre des femmes, quand elles parlent, ou bien d'enjôler les autres, comme dans « Annam, cara mihi nutrix, huc siste sororem » (nourrice chère à mon cœur, va chercher ma sœur Anna)432, ou bien de se lamenter sur elles-mêmes, comme : « miserae hoc tamen unum exsequere, Anna, mihi » (obéis-moi, malheureuse que je suis, en cela seulement, Anna). Car tout cela constitue des manières de femme, par lesquelles, en guise de grands malheurs, des plaintes sans aucune portée sont ramassées comme en tas et énumérées. 5 neminem habeo car "de quoi a-t-on besoin ou pourquoi maintenant te plains-tu ?"433. 6 solae svmvs solae n'est jamais au pluriel434. 7 geta avtem hic non adest il viendra.

292
nec quem ad obstetricem mittam nec qui accersat Aeschinum.
pour envoyer quérir la sage-femme ni pour aller chercher Eschine.

1 nec qvem ad obstetricem mittam deest habeo, sed in consuetudine est sic loqui, cum utrumque nobis, non alterutrum deesse conquerimur. 2 nec qvem ad obstetricem mittam nec qvi accersat aeschinvm habeo subauditur. et magis a trepidante quam rationabiliter dicitur; nam refellit hoc totum nutrix Canthara.
1 nec qvem ad obstetricem mittam il manque habeo, mais c'est l'usage de parler ainsi quand nous nous plaignons que l'un et l'autre nous font défaut et non l'un ou l'autre. 2 nec qvem ad obstetricem mittam nec qvi accersat aeschinvm habeo est sous-entendu. Et c'est dit davantage par un personnage affolé que de façon raisonnable ; car la nourrice Canthara réfute l'ensemble.

293
Ca.-pol is quidem iam hic aderit; nam numquam unum intermittit diem
Ca.-Nom d'un chien, il sera là dans un instant ; car jamais il ne laisse passer un seul jour

nvmqvam pro non.
nvmqvam mis pour non435.

294
quin semper ueniat. So.-solus mearum miseriarum est remedium.
sans venir à chaque fois. So.-Lui seul de mes malheurs est le remède.

1 Et semper non ad omne tempus rettulit - nam qui potest? - sed omnes dies83, secundum quod ait «  nam numquam unum intermittit diem 134 ». 2 solvs mearvm miseriarvm84 bona locutio.
1 Et semper ne se réfère pas à toute époque - car comment serait-ce possible ? - mais signifie "tous les jours", en vertu de ce qu'elle a dit « nam numquam unum intermittit diem ». 2 solvs mearvm miseriarvm bonne expression436.

295
Ca.-e re nata melius fieri haud potuit quam factum est, era.
De cette situation, il ne pouvait rien arriver de mieux que ce qui est arrivé, maîtresse,

1 e re nata sic proprie dicimus de his, quae contra uoluntatem nostram acciderunt, ut nunc uitium uirginis. - ergo e re nata ex uitio uirginis . - sic Lucilius «  puer hic e re nata, sic eis dedit, haud malust 135 »85. 2 Et sic maluit dicere, quae non Aeschino culpam sed potius casui attributam uellet. est autem ordo: "nihil melius potuit e re nata fieri quam id quod factum est, era", ut quandoquidem uitianda erat uirgo, ab eo uitiaretur, qui erat expetendus ad matrimonium. sensus enim hic est: malum quidem est uim fieri uirgini, sed ex condicione eius, quae uitiata sit, nihil potuit melius euenire quam86 contigit, ut ab eo uitiaretur, cuius non paeniteret. intellegere autem debemus fieri et factum est pro euenire et contigit dici. 3 melivs fieri havd potvit si fieri pro euenire acceperis, erit consecutio locutionis, sin minus, deerit quantum intellego.
1 e re nata ainsi disons-nous proprement des événements qui se sont produits contre notre volonté, comme ici le viol de la jeune fille. - donc e re nata veut dire ex uitio uirginis (du viol de la jeune fille) -. Ainsi Lucilius : « puer hic e re nata, sic eis dedit, haud malust » (en la circonstance, notre jeune esclave leur répondit en ces termes : il n'était pas sans finesse)437. 2 Et ainsi préfère s'exprimer celle qui voudrait que la faute incombât non à Eschine mais plutôt au hasard. L'ordre est : "nihil melius potuit e re nata fieri quam id quod factum est, era", de sorte que puisqu'il devait y avoir viol de la jeune fille, elle se trouve déshonorée par celui qui était prévu pour l'épouser. Car le sens est : "c'est certes un malheur qu'une violence soit commise à l'égard d'une jeune fille, mais étant donné la condition de celle qui a été déshonorée, rien ne pouvait arriver mieux que comme cela s'est produit, à savoir qu'elle se trouve déshonorée par un garçon qui ne laisse pas de regret". Nous devons donc comprendre que fieri et factum est équivalent à euenire (se produire) et contigit (il est arrivé). 3 melivs fieri havd potvit si on prend fieri au sens d'euenire, il y aura une cohérence de l'énoncé438, sinon il manquera quantum intellego (pour autant que je comprends).

296
quando uitium oblatum est, quod ad illum attinet potissimum,
que, puisqu'un viol a été commis, pour ce qui le concerne,

1 qvando vitivm oblatvm est hoc est e re nata. 2 oblatvm dicitur, quod offertur inuito. 3 vitivm oblatvm est qvod ad illvm attinet potissimvm quasi uitium oblatum sit potissimum, hoc est bonum; sed ex persona eius qui obtulit uitium factum est bonum, quod per se ipsum malum est. 4 Et hoc est «  quod melius haud fieri potuit quam factum est 136 ». illum autem dicit Aeschinum. 5 potissimvm autem superlatiuum est ab eo quod est potis et potius. sic enim facit potis potius potissimum. 6 Et qvod modo exceptionem significat, ut sit: quantum ad illum attinet, id est Aeschinum.
1 qvando vitivm oblatvm est c'est-à-dire e re nata. 2 oblatvm se dit de ce qui est proposé à quelqu'un malgré lui. 3 vitivm oblatvm est qvod ad illvm attinet potissimvm comme si le viol proposé était potissimum, c'est-à-dire bon, mais c'est du fait du personnage qui a commis le viol qu'une chose mauvaise en soi est devenue une bonne chose. 4 Et c'est ce que signifie « melius haud fieri potuit quam factum est ». Illum, quant à lui, désigne Eschine. 5 potissimvm est le superlatif de potis et de potius ; en effet, cela fait potis, potius, potissimum. 6 Et qvod de temps en temps signale une restriction, pour faire quantum ad illum attinet (pour autant que cela le concerne), c'est-à-dire Eschine.

297
talem, tali genere atque animo, natum ex tanta familia.
il soit ce qu'il est, d'une si bonne condition, d'un si bon caractère, issu d'une si grande famille.

1 tali genere laus ante illum, talem et tali animo in illo. 2 Et genus iam ad uiuos pertinet, familia etiam ad defunctos. alii genus ad nobilitatem referunt, familiam ad copias, unde et pater familias dicitur, ut sit ex tanta familia ex tam diuite domo. 3 Haec omnis περίστασις tragica est: gaudiorum introductio ante funestissimum nuntium. 4 talem a corpore, id est a forma, a pulchritudine; tali genere ab his quae extrinsecus sunt, id est ab honestate generis; atqve animo ab animo, id est a sapientia, modestia87: hoc modo igitur nihil praetermisit in laude.
1 tali genere c'est un éloge qui porte sur une période antérieure à lui, alors que talem et tali animo portent sur lui. 2 Et genus concerne les vivants, familia concerne aussi les morts. D'autres rapportent genus à la noblesse, familiam au patrimoine, d'où on dit aussi pater familias (père de famille)439, en sorte que ex tanta familia signifie ex tam diuite domo (d'une maison si riche). 3 Toute cette circonstance (περίστασις) est tragique : introduction d'éléments heureux avant une annonce très funeste. 4 talem se dit du physique, c'est-à-dire de la beauté ; tali genere se dit de ce qui lui est extérieur, c'est-à-dire l'honorabilité de sa famille ; atqve animo de son caractère, c'est-à-dire sa sagesse, sa modération : donc, ce faisant, rien n'a été oublié dans l'éloge.

298
So.-ita pol est ut dicis; saluus nobis deos quaeso ut siet.
So.-Oui nom d'un chien, tu as raison ; je prie les dieux qu'ils nous le préservent en bonne santé.

salvvs nobis deos qvaeso vt siet quam bonus est, cui nihil ad uota praeter salutem!
salvvs nobis deos qvaeso vt siet quel homme de bien que celui à qui on ne peut souhaiter que d'être sain et sauf !

scaena altera

Sostrata Canthara Geta

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299
Ge.-nunc illud est, cum884, si omnes omnia885 sua consilia conferant
Gé.-Nous voilà arrivés à un point où, même si tous les hommes mettaient en commun tous leurs avis

1 nvnc illvd est qvom si omnes omnia88 hic locus secundum artem comicam seruum currentem exprimit et nuntiantem mala. maxima itaque pars scaenae motoria est. significat autem: nunc tale negotium est, nunc tale periculum est. 2 Aut uero cum significationem temporis habet, ut si diceret quando aut quo tempore. 3 nvnc illvd est utrum periculum an tempus? est enim ἔλλειψις. 4 qvom si omnes omnia sva consilia ὑπερβολή cum παρονομασίᾳ omnes omnia. hinc Cicero «  omnes in hoc iudicio conentur omnia 137 ».
1 nvnc illvd est qvom si omnes omnia cette scène, selon la technique de la comédie, met en scène un esclave qui court et qui annonce de mauvaises nouvelles. C'est pourquoi le gros de la scène est du type agité440. 2 Ou alors cum a un sens temporel, comme s'il disait quando (quand) ou quo tempore (au moment où). 3 nvnc illvd est veut-il dire le danger ou le moment ? Car il y a une ellipse (ἔλλειψις)441. 4 qvom si omnes omnia sva consilia hyperbole (ὑπερβολή) avec paronomase (παρονομασίᾳ) dans omnes omnia. De là Cicéron : « omnes in hoc iudicio conentur omnia » (que tous, dans ce procès, tentent tout)442.

300
atque huic malo salutem quaerant, auxili nihil afferant,
et cherchaient un remède à notre malheur, ils ne seraient d'aucun secours

1 salvtem qvaerant non remedium ut aegro, sed ut pereunti salutem. 2 Et noue dixit malo salutem pro contra malum. 3 avxili nihil afferant mire de proximo repetitum est παρόμοιον, id est conferant et afferant. hoc conuenit praesertim stomacho uerba minus curantis, sicut supra omnes omnia.
1 salvtem qvaerant il ne dit pas remedium (remède) comme pour un malade, mais comme pour un agonisant salutem. 2 Et le tour malo salutem est inédit pour contra malum (contre le malheur)443. 3 avxili nihil afferant étonnamment il répète dans un contexte très court un mot ressemblant (παρόμοιον), à savoir conferant et afferant. Cela convient particulièrement à la colère d'un homme qui fait moins attention à ses mots, comme ci-dessus omnes omnia444.

301
quod mihique eraeque filiaeque erili est. uae misero mihi!
à ce qui nous touche, moi, ma patronne et la fille de la patronne. Aïe, pauvre de moi !

1 qvod mihiqve eraeqve filiaeqve erili mira in seruo fides: primum se ponit in erili malo et post se matrem, in ultimo puellam. 2 mihiqve eraeqve filiaeqve erili est πολυσύνδετον secundum, ut «  omnia secum a. armentarius A. Afer a. agit tq. tectumque lq. laremque aq. armaque Aq. Amyclaeumque c. canem Cq. Cressamque p. pharetram 13889 ». 3 vae misero mihi ἐμπαθῶς σχετλιάζει.
1 qvod mihiqve eraeqve filiaeqve erili étonnante loyauté chez un esclave : il se place en premier dans le malheur de sa maîtresse, devant la mère et, en dernier, la fille. 2 mihiqve eraeqve filiaeqve erili est polysyndète (πολυσύνδετον) de deuxième catégorie, comme dans « omnia secum armentarius Afer agit, tectumque laremque armaque Amyclaeumque canem Cressamque pharetram » (le vacher africain emporte tout avec lui, et son toit et son dieu lare et ses armes et son chien d'Amyclées et son carquois crétois)445. 3 vae misero mihi il se lamente de façon empathique (ἐμπαθῶς σχετλιάζει)446.

302
tot res repente circumuallant se886, unde emergi non potest:
Tant de soucis se dressent d'un coup tout autour, dont on ne peut se sortir,

1 tot res repente circvmvallant90 se circa nos et stipant se inuicem; nam circumuallamus et nos et alios. tamen rara locutio est. 2 Et circumuallant dixit uelut inimica acies contra nos, et ideo addidit unde emergi non potest. nam impressio dicitur hostium, ut Sallustius «  pressi undique multitudine 139 » et Cicero «  qui semper premuntur et numquam emergunt 140 ». 3 Et emergi noue, nam emergo dicitur, non emergor. sed ideo usus est, quia sine compositione et mergo et mergor facit. 4 vnde emergi non potest unde absolute. 5 An deest illud? an unde pro ex quibus?
1 tot res repente circvmvallant ils se pressent (circumuallant) contre nous et se serrent l'un contre l'autre ; car nous pressons (circumuallamus) nous-mêmes et autrui. Toutefois l'expression est rare447. 2 Et il dit circumuallant comme d'une armée ennemie qui vient contre nous, et dans cette idée il ajoute unde emergi non potest. Car les ennemis font ce qu'on appelle une impressio (assaut), comme chez Salluste : « pressi undique multitudine » (pressés de toutes parts par la foule) et Cicéron : « qui semper premuntur et numquam emergunt » (qui toujours se font presser sans jamais s'en sortir)448. 3 Et emergi est dans un emploi inédit, car on dit emergo, et non pas emergor. Mais il l'a utilisé sous cette forme parce que le verbe non composé fait aussi bien mergo que mergor449. 4 vnde emergi non potest unde est sans antécédent. 5 Ou bien manque-t-il illud ? ou unde est-il mis pour ex quibus (desquels) ?

303
uis, egestas, iniustitia, solitudo, infamia.
violence, misère, injustice, solitude, déshonneur !

vis egestas inivstitia solitvdo infamia hae res sunt quae circumuallant: uis illata, egestas ipsius puellae, iniustitia iudicum, solitudo a defensoribus, infamia ab his, qui credunt pretio uitiatam; nam et in subditis sic habes «  quando ego conscia sum mihi, a me culpam esse hanc procul, neque pretium neque rem ullam intercessisse 141 ».
vis egestas inivstitia solitvdo infamia telles sont les choses (res) qui pressent (circumuallant) : la violence commise (uis), la pauvreté de la jeune fille même (egestas), l'injustice des juges (iniustitia), la solitude sans défenseur (solitudo), le déshonneur (infamia) qui vient du discours de ceux qui croient qu'elle a été violée pour de l'argent ; en effet, on trouve aussi ci-dessous « quando ego conscia sum mihi, a me culpam esse hanc procul, neque pretium neque rem ullam intercessisse ».

304
hocine saeculum887! o scelera, o genera sacrilega, o hominem inpium...
Quelle époque ! O crimes, ô générations sacrilèges, ô maudit bonhomme...

1 hocine saecvlvm ἐν ἤθει questurus de homine saeculum accusat prius, ut «  o tempora, o mores! 142 » et e contrario saecula in omnibus rebus laudantur, ut «  quae te tam laeta tulerunt saecula? 143 ». 2 hocine saecvlvm o scelera o genera sacrilega o hominem impivm moris est nimis dolentibus incusare alia ex aliis. Vergilius «  cum complexa sui corpus miserabile nati atque deos atque astra uocat crudelia mater 144 » et «  quem non incusaui amens hominumque deorumque 145 ». 3 o hominem impivm Aeschinum scilicet. et hoc ἠθικῶς; nam semper ultimum ponimus eum, cui maxime irascimur, ut in Andria post accusatum socerum et uituperatam sponsam «  nam quid ego dicam de patre 146 » et in Phormione «  itane tandem uxorem duxit Antipho 147 » et post multa «  o facinus audax! o Geta monitor! 148 », unde ille «  uix tandem 149 » inquit.
1 hocine saecvlvm conforme à son caractère (ἐν ἤθει), au moment de se plaindre d'un individu, il incrimine d'abord le siècle, comme « o tempora, o mores ! » (ô temps, ô mœurs !) et a contrario le siècle est l'objet d'éloges en toute occasion, comme : « quae te tam laeta tulerunt saecula ? » (quelle est l'époque bénie qui t'a porté ?)450. 2 hocine saecvlvm o scelera o genera sacrilega o hominem impivm c'est une caractéristique de ceux qui souffrent trop que d'incriminer les choses les unes après les autres. Ainsi Virgile : « cum complexa sui corpus miserabile nati atque deos atque astra uocat crudelia mater » (tandis que tenant embrassé le corps pitoyable de son enfant la mère invoque et les dieux et les cieux cruels) et « quem non incusaui amens hominumque deorumque » (qui n'ai-je pas accusé et parmi les hommes et parmi les dieux ?)451. 3 o hominem impivm Eschine, implicitement. Et conformément à son caractère (ἠθικῶς) ; car nous mettons toujours en dernier celui qui est la principale cause de notre colère, comme dans L'Andrienne après l'accusation contre le beau-père et le dénigrement de la promise : « nam quid ego dicam de patre » et dans Phormion : « itane tandem uxorem duxit Antipho » et après plusieurs mots : « o facinus audax ! o Geta monitor ! » d'où il enchaîne « uix tandem ».

305
So.-me miseram, quidnam est quod sic uideo timidum et properantem Getam?
So.-Malheur de moi, que se passe-t-il donc pour que je voie Géta ainsi affolé et agité ?

video timidvm et properantem getam timidum perturbatum, non enim timet sed dolet. sic Plautus in Bacchidibus «  nam ut ex mari timida es 150 ».
video timidvm et properantem getam timidus signifie "troublé", car il n'a pas peur mais il a mal. De même Plaute dans Les Sœurs Bacchis : « nam ut ex mari timida es » (car tu es tout indisposée de ton voyage en mer).

306
Ge.-...quem neque fides neque iusiurandum neque illum misericordia
Gé.-...lui que ni la foi jurée, ni les serments, ni la pitié

1 qvem neqve fides ordo est: "hominem impium quem neque fides". 2 Et saepe repetitum neque exaggerat crimen admissum. 3 qvem neqve fides quia promisit; neqve ivsivrandvm quia iurauit; neqve illvm misericordia quia uim intulit. 4 neqve illvm secundum παρέλκον, nam abundat illum; ut «  nunc dextra ingeminans, nunc ille sinistra 151 ». 6 neqve illvm misericordia repressit ne auderet.
1 qvem neqve fides l'ordre est : "hominem impium quem neque fides"... 2 Et la répétition fréquente de neque amplifie le crime commis. 3 qvem neqve fides parce qu'il a promis ; neqve ivsivrandvm parce qu'il a juré ; neqve illvm misericordia parce qu'il a fait violence. 4 neqve illvm pléonasme de deuxième catégorie (παρέλκον), car illum est superflu ; de même dans : « nunc dextra ingeminans ictum, nunc ille sinistra » (redoublant de coups tantôt de la main droite, tantôt, lui, de la main gauche)452. 6 neqve illvm misericordia repressit ne l'a retenu d'être audacieux.

307
repressit neque reflexit neque quod partus instabat prope
n'ont retenu ni fléchi, ni non plus le fait que l'accouchement était imminent

1 neqve reflexit ne faceret. et sic hoc dictum est, ut a Vergilio «  num fletu ingemuit nostro? num lumina flexit? num lacrimas uictus dedit aut miseratus amantem est? 152 » etc. 2 Et si non potuit reprimi ne faceret, saltim ut in peccando esset mitior, debuit commoueri. sed melius quod supra. 3 neqve qvod partvs instabat prope αὐξητικῶς; non enim addidit mariti sed patris scelus91.
1 neqve reflexit ne l'a détourné d'agir. Et cela se dit ainsi, comme chez Virgile : « num fletu ingemuit nostro ? num lumina flexit ? num lacrimas uictus dedit aut miseratus amantem est ? » etc. (a-t-il gémi de mes pleurs ? a-t-il détourné les yeux ? a-t-il, vaincu, versé des larmes ou s'est-il apitoyé sur une amante ?)453. 2 Et s'il n'a pu s'empêcher d'agir, au moins, pour que sa faute en soit atténuée, aurait-il dû en être ébranlé. Mais la meilleure solution est la première454. 3 neqve qvod partvs instabat prope par amplification (αὐξητικῶς) ; car il n'ajoute pas un grief qui le concerne en tant que mari mais qui le concerne en tant que père.

308
cui miserae indigne per uim uitium obtulerat. So.-non intellego
pour cette malheureuse qu'il avait indignement violée et déshonorée ! So.-Je ne comprends pas

1 cvi miserae deest ei. 2 indigne impie, crudeliter, ut Vergilius «  quae causa indigna serenos foedauit uultus? 153 ». 3 non intellego ad hoc Sostrata ignorans inducitur, ut malo nuntio repente feriatur. et quia oportuit ipsam priorem loqui, praesens loquitur. quia autem non est perdenda tam suauis ἠθοποιΐα dolentis ad irascentem, idcirco non audit Geta, conuersus ne ob illam loqui desinat.
1 cvi miserae il manque ei455. 2 indigne de façon impie, cruelle, comme chez Virgile : « quae causa indigna serenos foedauit uoltus ? » (quel indigne traitement a souillé ton visage serein ?). 3 non intellego si c'est une Sostrata ignorante qui est mise en scène, c'est pour qu'elle soit frappée par surprise de la mauvaise nouvelle. Et parce qu'il fallait qu'elle parle la première, elle parle en étant présente. Mais comme il ne faut pas perdre l'occasion d'une si agréable éthopée (ἠθοποιΐα) d'un homme qui passe de la souffrance à la colère, pour cette raison Géta ne l'entend pas et lui tourne le dos pour ne pas s'interrompre devant elle.

309
satis quae loquatur888. Ca.-propius obsecro accedamus, Sostrata. Ge.-ah
suffisamment ce qu'il dit. Ca.-Approchons, s'il te plaît, Sostrata. Gé.-Ah !

satis qvae loqvatvr adhuc non audiente Geta loquitur. idcirco nec audit eam seruus nec uidetur ab eo Sostrata.
satis qvae loqvatvr elle parle sans se faire encore entendre de Géta. Aussi l'esclave ne l'entend-il pas et Sostrata n'est pas vue de lui.

310
me miserum! uix sum compos animi, ita ardeo iracundia.
pauvre de moi ! j'ai peine à me maîtriser tant je brûle de colère !

1 vix svm compos animi aut uix tandem aut non, ut Lucilius «  carcer, uix carcere dignus 154 ». 2 Et compos animi id est competentis animi uel sani animi, cui contrarium est impos animi. Sallustius «  neque animo neque auribus aut lingua satis competere 155 », cum de amente Septimio loqueretur. alii compotem animi compositum animi intellegunt.
1 vix svm compos animi soit uix signifie uix tandem (avec peine, mais enfin) ou non (négation), ainsi chez Lucilius : « carcer, uix carcere dignus » (prisonnier à peine digne de ta prison)456 2 Et compos animi équivaut à competentis animi (à l'esprit capable) ou sani animi (à l'esprit sain) ; son contraire est impos animi (incapable de se maîtriser). Salluste : « neque animo neque auribus aut lingua satis competere » (n'avoir pas de capacité suffisante au plan de l'intellect, de l'ouïe ou du langage), alors qu'il parlait de la folie de Septimius. D'autres comprennent compos animi au sens de compositus animi (qui s'est composé un esprit)457.

311
nihil est quod malim quam illam totam familiam dari mi obuiam
Il n'est rien que je ne souhaiterais davantage que de me trouver face à face avec cette famille tout entière,

qvam illam totam familiam hic non tam culpa familiae quam scelus Aeschini ostenditur, propter quam omnes cruciandi sunt.
qvam illam totam familiam ici ce n'est pas tant la faute de la famille qui est montrée que le crime d'Eschine, à cause de qui tous doivent être massacrés.

312
ut ego iram hanc in eos euomam omnem, dum aegritudo haec est recens.
pour épancher sur eux toute ma colère, tandis que mon aigreur est toute récente.

iram hanc hanc interdum pro qualitate, interdum pro quantitate accipimus, interdum pro utroque. ut «  tuaque animam hanc effundere dextra 156 » et «  hunc ego te, Euryale, aspicio? 157 » sed nunc pro utroque hanc dixit, ut Sallustius de scripto Celtiberi ait «  hanc igitur redarguit Tarquitius 158 ».
iram hanc nous interprétons hic tantôt comme ayant une valeur qualitative, tantôt quantitative, tantôt les deux à la fois. Ainsi : « tuaque animam hanc effundere dextra » (rendre cette mienne âme sous les coups de ta main) et « hunc ego te, Euryale, aspicio ? » (est-ce tel, Euryale, que je te revois ?), mais là il l'utilise dans les deux sens à la fois, comme Salluste à propos du texte du Celtibère : « hanc igitur redarguit Tarquitius » (Tarquitius la réfuta donc)458.

313
satis id mihi889 habeam supplici, dum illos ulciscar modo.
Je me satisferais de mon châtiment pour peu seulement que je me venge d'eux.

1 satis id mihi habeam svpplici moraliter loquitur. nam fere cum quisquis irascitur, sibi uidetur fortis92 tamquam plus audet. 2 dvm illos vlciscar modo uerum est hanc esse uindictam, quae ex recentissimis flagitiis properata sit. Vergilius «  te Turne superbum caede noua quaerens 159 ».
1 satis id mihi habeam svpplici il parle conformément à son caractère. Car généralement, quand on se met en colère, on se croit fort en tant qu'on a plus d'audace. 2 dvm illos vlciscar modo c'est vrai que c'est la vengeance qui se met en branle à partir des outrages les plus récents. Virgile : « te Turne superbum caede noua quaerens » (c'est toi, Turnus, qu'il cherche, avec l'orgueil que te donne ton récent massacre).

314
seni animam primum exstinguerem ipsi, qui illud produxit scelus;
Au vieux d'abord je ferais rendre l'âme, lui qui a donné le jour à ce scélérat ;

1 seni animam primvm exstingverem bene exstinguerem, quia ignis est93. Vergilius «  igneus est ollis uigor et caelestis origo seminibus 160 ». 2 Et primum addidit, quod ordinem significat; tunc enim adicitur, cum multa subsecutura monstrantur, ut «  cui fracta prius crura bracchiaque 161 » etc. 3 Vindicta in Aeschinum tota prominens ostenditur etiam per aliena supplicia.
1 seni animam primvm exstingverem exstinguerem est bon parce que l'âme c'est du feu. Virgile : « igneus est ollis uigor et caelestis origo seminibus » (ces germes de vie ont une vigueur ignée et une origine céleste). 2 Et il ajoute primum qui indique une chronologie ; car on l'ajoute quand beaucoup d'événements subséquents sont indiqués, comme dans : « cui fracta prius crura bracchiaque » etc. (on lui brise d'abord les jambes et les bras...)459. 3 La vengeance contre Eschine, qui déborde tout entière, se voit aussi dans les tourments réservés aux autres.

315
tum autem Syrum inpulsorem, uah, quibus illum lacerarem modis!
et puis Syrus, l'instigateur, oh ! de quelle manière je le taillerais en pièces !

1 impvlsorem causa poenae. 2 vah qvibvs illvm lacerarem modis hic uoluntas immodica ostenditur poenam pro merito reposcentis. 3 Et nota, cum Syrum dixerit, addidisse de supercilio rursus illum.
1 impvlsorem la cause du châtiment. 2 vah qvibvs illvm lacerarem modis ici on voit la volonté implacable de celui qui réclame un châtiment proportionné à l'acte. 3 Et notez qu'après avoir dit Syrus il ajoute à nouveau illum avec morgue.

316
sublimen890 medium primum arriperem et capite in terra statuerem,
Je le soulèverais d'abord en l'attrapant par la ceinture et le ficherais en terre par la tête

1 svblimen ista poena est. 2 statverem vt cerebro dispergat viam et cerebrum et uia dispergi potest; ideo uidetur ambiguum, ut apud Vergilium «  ensemque cruore spumantem sparsasque manus 162 ». aliter enim dicitur «  spargite humum foliis 163 », aliter «  sparserat et latices simulatos f. fontes A. Auerni 164 ».
1 svblimen c'est le châtiment. 2 statverem vt cerebro dispergat viam on peut trouver comme sujet de dispergi aussi bien un mot comme cerebrum que comme uia ; d'où il résulte de l'ambiguïté, comme chez Virgile : « ensemque cruore spumantem sparsasque manus » (son épée écumante de sang et ses mains souillées). Car on dit dans un sens : « spargite humum foliis » (jonchez le sol de feuilles), dans un autre : « sparserat et latices simulatos fontes Auerni » (elle avait répandu un liquide qui simulait les eaux de l'Averne)460.

317
ut cerebro dispergat uiam;
pour qu'il arrose la rue de sa cervelle ;

318
adulescenti ipsi eriperem oculos, posthac praecipitem darem;
au jeune homme lui-même, j'arracherais les yeux, après quoi je le jetterais tête la première ;

1 advlescenti ipsi eriperem ocvlos bene oculos, amoris inlices adiutoresque flagitii. 2 posthac praecipitem darem grauior poena caecitatis, non prouidere quo cadas.
1 advlescenti ipsi eriperem ocvlos oculos est bon, car les yeux sont des pièges d'amour et les auxiliaires de l'outrage. 2 posthac praecipitem darem le pire châtiment de la cécité c'est de ne pas se prémunir de la chute.

319
ceteros ruerem, agerem, raperem, tunderem et prosternerem!
tous les autres, je voudrais les renverser, pousser, secouer, assommer, coucher par terre !

1 ceteros rverem ruerem actiuam uim habet: Sallustius in secundo «  ictu eorum, qui in flumen ruebant, necabantur 165 ». ruere autem est toto corpore niti ad impellendum, quod faciunt qui ipsi praecipites alios prosternunt. inde sues ruere dicuntur: Vergilius «  ipse ruit dentesque Sabellicus e. exacuit s. sus 166 » et Horatius «  hac rabiosa fugit canis, hac lutulenta ruit sus 167 ». 2 tvnderem et prosternerem uide quam fortis sibi uidetur, qui dolet et irascitur. 3 agerem "prosequerer", "premerem", ut Vergilius «  cursu palantis T. Troas ag. agebat 168 » et «  agit uentos 169 » id est nimia celeritate prosequitur et paene occupat praeuenitque.
1 ceteros rverem ruerem a un sens actif : Salluste au livre II : « ictu eorum, qui in flumen ruebant, necabantur » (sous l'impulsion de ceux qui se ruaient dans le fleuve). Ruere c'est mettre toutes ses forces physiques à attaquer, ce que font ceux qui, en se jetant tête la première, abattent les autres. De là on dit que les cochons461 chargent (ruere) ; Virgile : « ipse ruit dentesque Sabellicus exacuit sus » (le sanglier sabellien charge et aiguise ses défenses) et Horace : « hac rabiosa fugit canis, hac lutulenta ruit sus » (par là passe en courant un chien enragé, par là se précipite un porc plein de fange)462. 2 tvnderem et prosternerem voyez comme il se croit fort celui qui ressent douleur et colère. 3 agerem "je le poursuivrais", "je le presserais" ; de même Virgile : « cursu palantis Troas agebat » (il serrait de sa course des Troyens dispersés) et « agit uentos » (il pousse les vents), c'est-à-dire il pourchasse avec une vitesse excessive et en vient presque à rattraper et à dépasser.

320
sed cesso eram hoc malo inpertire propere? So.-reuocemus. Geta! Ge.-hem,
Mais ne vais-je pas me dépêcher de faire part de ce malheur à ma maîtresse ? So.-Rappelons-le. Géta ! Gé.-Hein ?

321
quisquis es, sine me. So.-ego sum Sostrata. Ge.-ubi ea est? te ipsam quaerito,
Qui que tu sois, laisse-moi. So.-Mais c'est moi, Sostrata. Gé.-Où çà ? c'est justement toi que je cherche,

1 ego svm sostrata haec ideo inducuntur, ut ueri simile sit supra non uisam Sostratam, quando etiam nunc uix agnoscitur ab irato. 2 te ipsam exspecto oppido opportvne94 incerta distinctio, utrum te exspecto oppido an oppido95 opportune sit dicendum. 3 An exspectare impatienter cupere et sine praescriptione temporis, sperare iuxta certum tempus? unde apparet ad te exspecto, quia per se nimium est, non esse iungendum oppido.
1 ego svm sostrata la réplique vise à rendre vraisemblable que Sostrata n'a pas été aperçue plus tôt, puisque encore maintenant c'est tout juste si l'esclave en colère la reconnaît. 2 te ipsam exspecto oppido opportvne on ne sait comment ponctuer : faut-il dire te exspecto oppido (c'est tout à fait toi que je cherchais) ou oppido opportune (tout à fait opportunément) ? 3 A moins que exspectare ne signifie "désirer avec impatience" et sans limitation de durée, alors que sperare implique un temps limité ? Dans ce cas, il appert que te exspecto, parce que le mot dénote en soi l'excès, ne doit pas être complété par oppido463.

322
te expecto; oppido opportune te obtulisti mihi obuiam.
toi après qui j'en ai ; ça tombe vraiment bien que tu te sois trouvée sur mon chemin.

323
era... So.-quid est? quid trepidas? Ge.-ei mihi. Ca.-quid festinas, mi Geta?
Maîtresse... So.-Quoi ? Pourquoi trembles-tu ? Gé.-Hélas pauvre de moi ! Ca.-Qu'as-tu à te hâter ainsi, mon Géta ?

qvid festinas mi geta Probus personae assignat hoc Sostratae, Asper non uult ad omnia seruum respondere, sed nutricem putat hoc loqui. festinas autem "perturbaris" et "commotus est".
qvid festinas mi geta Probus attribue la réplique à Sostrata, Asper n'est pas d'avis que l'esclave répond à tout mais pense que c'est la nourrice qui dit cela. Quant à festinas il veut dire perturbaris (tu es troublé) et commotus es (tu es remué).

324
animam recipe. Ge.-prorsus... So.-quid istuc prorsus ergo est? Ge.-...perimus891!
Reprends ton souffle. Gé.-Nous sommes complètement... So.-Eh bien quoi, « complètement » ? Gé.-...perdus !

1 prorsvs apta κόμματα fesso et anhelanti ob perturbationem et contentum cursum. 2 animam recipe quod in lectione gestu ostendi minime potuit, id ex uerbis Sostratae ostenditur in Geta. nam ideo dicitur animam recipe, quod ille prae anhelitu crebriora uerba continuare non possit. 3 perimvs actvm est iam bina uerba iunguntur. 4 perimvs actvm est uerba sunt desperationis, nam actum est dicitur in ea re, de qua iam sit lata sententia.
1 prorsvs segments de phrase (κόμματα) qui conviennent à un personnage épuisé et à bout de souffle à cause de son trouble et de la course qu'il vient de faire. 2 animam recipe ce qui à la lecture ne pouvait guère être montré par un geste est montré, par les mots de Sostrata, à propos de Géta. Car si elle dit animam recipe, c'est parce que Géta, du fait de son essoufflement, ne peut pas tenir une conversation serrée. 3 perimvs actvm est cette fois ce sont deux verbes qui sont associés464. 4 perimvs actvm est ce sont des verbes de désespoir, car actum est se dit d'une affaire qui a déjà connu son verdict.

325
actum est. So.-eloquere ergo, obsecro te, quid sit? Ge.-iam... So.-quid iam, Geta?
C'en est fait. So.-Eh bien parle, je t'en conjure, de quoi s'agit-il ? Gé.-Désormais... So.-Eh bien quoi, « désormais », Géta ?

1 eloqvere obsecro te bene eloquere, nam conatur tantum, quod nec explicatur nec intellegitur; cui uitio contraria uirtus est eloquentia. 2 Iam hic plus gestu quam dictu agitur, quia, ut supra diximus, et lassus est qui nuntiat et integratur dolor nuntii, cum apud illam loquitur, ad quam maxime calamitas pertinet: quo dolore uox plerumque subtrahitur atque singultit. 3 Et simul dat iam signum perditarum rerum.
1 eloqvere obsecro te eloquere est bon car il ne fait qu'entreprendre un propos qui reste inexpliqué et incompréhensible ; or la qualité contraire de ce défaut est l'éloquence (eloquentia). 2 Ici il est question davantage de gestes que de paroles parce que, comme nous l'avons dit ci-dessus, d'une part le messager est épuisé et d'autre part est restituée intacte la douleur que cause le message, lorsque l'on parle devant la personne qui est le plus concernée par le malheur : cette douleur très souvent fait défaillir la voix et la fait hoqueter. 3 Et en même temps il signale l'état désespéré de la situation.

326
Ge.-...Aeschinus... So.-quid is ergo? Ge.-...alienus est ab nostra familia. So.-hem!
Gé.-...Eschine... So.-Eh bien qu'est-ce qu'il a ? Gé.-...est étranger à notre famille. So.-Hein ?

alienvs est a nostra familia bene alienus: Getae enim ipsi iam dominus, Sostratae gener, Pamphilae maritus uocabatur.
alienvs est a nostra familia alienus est bon : car pour Géta lui-même c'est un maître, pour Sostrata un gendre, pour Pamphila un mari qu'Eschine avait vocation à devenir.

327
perii. qua re? Ge.-amare occepit aliam. So.-uae miserae mihi!
Je suis perdue. Pourquoi ? Gé.-Il s'est mis à en aimer une autre. So.-Aïe pauvre de moi !

1 vae miserae mihi interponitur mulieris affectus nouo nuntio. 2 amare occepit aliam peius est amare occepit quam amat; nam in eo quod dixit occepit augmenta mali metuenda sunt, ut in principiis quae auctum recipiunt non statim imminutionem spectant. 3 Et occepit magnum facinus dixit.
1 vae miserae mihi vient s'interposer au milieu de l'annonce de la nouvelle une marque féminine d'affect. 2 amare coepit aliam c'est pire de dire amare coepit que de dire amat (il aime) ; car dans le mot occepit on doit craindre une aggravation du malheur, de même que dans les commencements, ce qui est en cours d'accroissement ne vise pas immédiatement la diminution465. 3 Et occepit signale un grand forfait.

328
Ge.-neque id occulte fert, ab lenone ipsus eripuit palam.
Gé.-Et il ne s'en cache pas, il l'a enlevée lui-même à un proxénète, ouvertement.

1 ab lenone ipsvs eripvit sic nuntiat, ut ultima peiora sint. 2 Et his argumentis uult probare, quod immodice amauit Aeschinus et paene plus quam amauit uirginem; nam pudori qui non consulit, amat. quis autem magis potuit impudens esse, quam qui post honestum amorem ab lenone amet? hoc enim significat meretricem. 3 Ergo non honestam sed ab lenone, non per alium, sed ipsus, nec emit aut abduxit, sed ob impatientiam ualde amantis eripuit, neque id occulte, ut qui celaret factum, tamquam satisfacturus uxori uideretur, sed palam. [ 4 ab lenone ipsvs eripvit sic nuntiat, ut ultima peiora sint.]
1 ab lenone ipsvs eripvit il fait son annonce de manière à ce que le pire soit à la fin. 2 Et en argumentant ainsi, il veut prouver qu'Eschine aime sans mesure et presque davantage qu'il n'a aimé la jeune fille ; car qui ne se soucie pas de l'honneur est amoureux. Or qui pourrait davantage manquer à l'honneur que celui qui, après un amour décent, va aimer "chez le proxénète" (ab lenone) ? Car cela implique qu'il s'agit d'une courtisane. 3 Donc il ne dit pas honnête mais chez le proxénète (ab lenone), non par l'intermédiaire d'un autre, mais lui-même (ipsus), et il ne l'a pas achetée ni enlevée, mais à cause de son impatience d'amoureux fou, arrachée (eripuit), et il ne l'a pas fait en cachette (occulte), comme quelqu'un qui dissimulerait le fait pour paraître avoir des égards pour son épouse, mais ouvertement (palam)466. 4 ab lenone ipsvs eripvit il fait son annonce de manière à ce que le pire soit à la fin467.

329
So.-satin hoc certum est? Ge.-certe hisce oculis egomet uidi, Sostrata. So.-ah
So.-La chose est-elle prouvée ? Gé.-La preuve, c'est que je l'ai vu faire moi-même de mes yeux, Sostrata. So.-Ah !

1 satin hoc certvm est magnis malis non statim creditur. hoc ergo ex dolore dixit, quod stupet audiens, non quia non habet fidem. 2 hisce ocvlis ἰδιωτισμός asseuerantis. 3 ah interiectio est flentis.
1 satin hoc certvm est on ne croit pas immédiatement aux grands malheurs. Donc elle dit cela de douleur, parce qu'elle est stupéfaite de ce qu'elle entend, et non pas parce qu'elle n'y accorde pas foi. 2 hisce ocvlis particularisme (ἰδιωτισμός) de celui qui fait une assertion. 3 ah interjection de quelqu'un qui pleure.

330
me miseram! quid iam credas? aut cui credas? nostrumne Aeschinum,
que je suis malheureuse ! Que croire désormais ? ou qui croire ? notre cher Eschine,

1 me miseram qvid iam credas mira affectio, nam lacrimae non sinunt finiri sensum. 2 qvid credas avt cvi credas fides aut personae qualitate seruatur, si grauis persona est cui creditur, aut ipsius rei qualitate, si ea res creditur, in qua fallere cui creditur aut non debet aut non potest. hic ergo mire in utroque dixit iam fidem nullam esse: et in persona et in re. quod etiam Vergilius transtulit breuiusque dixit «  nusquam tuta fides 170 », hoc est nec in re nec in persona; et hic ipse in Heautontimorumeno «  pro Iuppiter, ubinam est fides? 171 ». 3 nostrvmne aeschinvm nostram vitam omnivm ἐλλειπτικῶς omnia, quia fletus impedit uerba. deest autem hoc fecisse uel tale quid.
1 me miseram qvid iam credas étonnante affection, car les larmes ne laissent pas la phrase se finir. 2 qvid credas avt cvi credas le crédit est garanti soit par la qualité de la personne, si c'est une personne sérieuse que l'on croit, soit par la qualité de la chose même, si ce qu'on croit est une chose dans laquelle celui qu'on croit ne doit ni ne peut tromper. Donc ici, étonnamment, c'est sur les deux aspects qu'elle dit qu'il n'y a plus de crédit : ni dans la personne, ni dans la chose. C'est ce que Virgile a aussi transcrit et dit de façon plus ramassée : « nusquam tuta fides » (la confiance n'est plus en sûreté nulle part), c'est-à-dire ni dans une chose ni dans une personne ; et Térence lui-même dans L'Héautontimorouménos : « pro Iuppiter, ubinam est fides ? » (par Jupiter, où est donc passée la confiance ?)468. 3 nostrvmne aeschinvm nostram vitam omnivm le tout de façon elliptique (ἐλλειπτικῶς), parce que les pleurs empêchent les mots. Or il manque hoc fecisse (qu'il ait fait cela !) ou quelque chose de ce genre.

331
nostram uitam omnium892, in quo nostrae spes opesque omnes sitae
notre vie à tous, sur qui reposaient tous nos espoirs et toutes nos ressources,

sitae erant sitae positae; nam situm est quicquid in loco suo positum non euertitur.
sitae erant sitae veut dire "placées" ; car on dit qu'est situm tout ce qui, mis à sa place, ne se fait pas renverser.

332
erant, qui sine hac iurabat se unum numquam uicturum diem,
qui jurait que sans elle il ne pourrait vivre un seul jour,

333
qui se in sui gremio positurum puerum dicebat patris,
qui disait qu'il irait déposer son bébé dans le giron de son père,

1 qvi se in svi gremio positvrvm pvervm puerum dixit si puer nasceretur, non quia diuinabat. ad uotum ergo cupientis rettulit puerum, non quia necesse erat marem nasci. 2 Et haec omnia magno stupore dicuntur ad exaggerandam perfidiam illius cui creditur et dolorem eorum qui crediderunt.
1 qvi se in svi gremio positvrvm pvervm il disait puer pour le cas où lui naîtrait un enfant, non pas parce qu'il en devinait le sexe. Donc il rapporte le mot puer au souhait du père qui désire un fils, non parce qu'il était nécessaire que ce fût un garçon469. 2 Et toute la réplique se dit dans un état de grande stupeur pour exagérer la perfidie de celui en qui l'on avait confiance et la douleur de ceux qui avaient eu confiance.

334
ita obsecraturum ut liceret hanc sibi uxorem ducere!
qu'il le supplierait tant qu'on le laisserait l'épouser !

335
Ge.-era, lacrimas mitte ac potius quod ad hanc rem opus est porro prospice;
Gé.-Maîtresse, oublie tes larmes et regarde plutôt vers l'avant ce qu'il convient de faire ;

1 era lacrimas mitte ac potivs qvod ad hanc rem opvs est hinc Vergilius «  non lacrimis h. hoc t. tempus a. ait S. Saturnia I. Iuno 172 »; sentit autem non lacrimis agendum ubi consilio est opus. 2 porro prospice porro in reliquum, deinde uel in futurum. porro enim ordinis et temporis aduerbium est, non coniunctio.
1 era lacrimas mitte ac potivs qvod ad hanc rem opvs est d'où Virgile : « non lacrimis hoc tempus ait Saturnia Iuno » (ce n'est pas le temps des larmes, dit Junon fille de Saturne) ; il sent qu'il n'y a que faire des larmes quand il est besoin de réflexion. 2 porro prospice porro c'est pour ce qui reste, ensuite même dans le futur. Car porro est un adverbe logique et un adverbe de temps, non une conjonction470.

336
patiamurne an narremus cuipiam? Ca.-au au, mi homo, sanusne es?
faut-il souffrir en silence ou bien le divulguer ? Ca.-Holà, mon gaillard, as-tu toute ta tête ?

1 av mi homo sanvsne es hoc ex persona nutricis legendum est: illa enim dissimulandam rem putat. 2 mi pro meus.
1 av mi homo sanvsne es il faut faire dire cela au personnage de la nourrice : car c'est elle qui est d'avis qu'il faut dissimuler l'affaire. 2 mi pour meus471.

337
an hoc proferendum tibi uidetur usquam? Ge.-mihi quidem non placet.
Crois-tu vraiment qu'il faille publier n'importe où cette histoire ? Gé.-Non, ça ne me dit rien qui vaille.

an hoc proferendvm tibi videtvr
an hoc proferendvm tibi videtvr 472

338
iam primum illum alieno animo a nobis esse res ipsa indicat.
D'abord, que son cœur se soit éloigné de nous, l'événement même le montre.

339
nunc si hoc palam proferimus, ille infitias ibit, sat scio;
Du coup, si nous publions la chose au grand jour, lui fera du déni, je le sais bien ;

340
tua fama et gnatae uita in dubium ueniet. tum si maxime
c'est ta réputation et la vie de ta fille qui seront en cause. Et puis quand bien même

1 tva fama et gnatae vita tibi enim crimini erit uitiatam esse filiam, illi uero etiam oberit. 2 Et utrum uitam salutem dicit? 3 in dvbivm in periculum.
1 tva fama et gnatae vita car on te reprochera que ta fille ait été déshonorée, mais à elle aussi cela fera tort. 2 Et est-ce que par uitam il veut dire salutem (le bien-être) ? 3 in dvbivm en danger.

341
fateatur, cum amet aliam, non est utile hanc illi dari.
il avouerait, dès lors qu'il en aime une autre, il n'est pas utile que ce soit notre jeune maîtresse qui lui soit donnée en mariage.

fateatvr "uitiasse filiam". et complexio est dipleuros 96 oratoria, in qua utrum concesseris, contrarium tollis cogiturque quod ex altera parte sit, hoc est tacere.
fateatvr "qu'il a déshonoré ta fille". Et c'est un dilemme oratoire (complexio dipleuros)473 dans lequel, quoi qu'on ait concédé, on prend le contraire et force l'autre option, qui consiste à se taire.

342
quapropter quoquo pacto tacito est opus. So.-ah minime gentium!
Aussi, quoi qu'il en soit, il faut se taire. So.-Ah non ! Pas le moins du monde !

qvapropter qvoqvo pacto tacito est opvs ah minime gentivm97 congrue et pro persona et pro muliere et in malis constantem esse demonstrat.
qvapropter qvoqvo pacto tacito est opvs ah minime gentivm bien dans le ton et du personnage et d'une femme, elle montre que même dans le malheur il faut être constant.

343
non faciam. Ge.-quid ages? So.-proferam. Ca.-hem! mea Sostrata, uide quam rem agis.
Je n'en ferai rien. Gé.-Que feras-tu ? So.-Je vais divulguer la chose. Ca.-Hein ? Ma Sostrata, songe à ce que tu fais.

non faciam non faciam dixit pro non tacebo, quasi tacere actionem aliquam habeat. sed moralis significatio est et communis omnibus, sicut aduocatum dicimus male fecisse, quia tacuerit.
non faciam elle dit non faciam au lieu de non tacebo (je ne me tairai pas), comme si se taire recelait quelque action que ce soit. Mais c'est un sens moral et commun à tous, comme quand nous disons d'un avocat qu'il a "mal agi" parce qu'il s'est tu474.

344
So.-peiore res loco non potest893 esse quam in quo nunc sita est:
So.-La situation ne peut pas être en plus mauvaise posture qu'elle ne l'est actuellement :

1 peiore res loco non potest esse satis argute poeta facit inter Getam et Sostratam sententias ex perturbatione nutare. 2 qvam in qvo nvnc sita est causa nihil timendi.
1 peiore res loco non potest esse de façon assez subtile, le poète fait changer Géta et Sostrata d'avis sous l'effet du trouble. 2 qvam in qvo nvnc sita est raison pour n'avoir peur de rien.

345
primum indotata est; tum praeterea, quae secunda ei dos erat,
d'abord, elle est sans dot ; et puis en plus, ce qui était pour elle comme une seconde dot,

1 primvm indotata est ratio subiecta est causae. 2 Et indotatam modo pauperem dicit. 3 tvm qvae secvnda ei dos erat uidelicet «  pro uirgine dari nuptum 173 ». 4 Et incerta distinctio est; etenim erat si98 distinguimus, bis audiendum pro uirgine dari nuptum.
1 primvm indotata est la raison est mise sous la cause. 2 Et indotata veut parfois dire "pauvre". 3 tvm qvae secvnda ei dos erat évidemment « pro uirgine dari nuptum ». 4 Et la ponctuation n'est pas sûre ; de fait, si nous ponctuons après erat, il faut entendre deux fois pro uirgine dari nuptum.

346
periit; pro uirgine dari nuptum non potest. hoc reliquum est:
est perdu : on ne peut plus la donner à marier pour vierge. Mais il reste ceci :

1 non potest iungemus dari nuptum non potest. 2 pro virgine dari nvptvm id est uirgo, ut «  nunc plane est pro noua 174 » id est noua99. 3 An100 nec uirgo nec pro uirgine potest nubere? nec uirgo quia uitiata est, nec pro uirgine quia diffamata est res.
1 non potest nous accrocherons dari nuptum non potest. 2 pro virgine dari nvptvm c'est-à-dire vierge, comme dans : « nunc plane est pro noua » (on la donne aujourd'hui pour neuve), c'est-à-dire neuve475. 3 Ou bien est-elle empêchée d'épouser parce qu'elle n'est pas vierge ni ne peut passer pour vierge ? Elle n'est pas vierge puisqu'elle a été déshonorée, elle ne peut pas passer pour vierge parce que l'affaire a été ébruitée476.

347
si infitias ibit, testis est mecum894 anulus quem amiserat.
s'il fait du déni, j'ai pour témoin l'anneau qu'il avait perdu.

1 si infitias ibit si negabit. 2 testis est mecvm anvlvs locutio haec sic capienda est, hoc est "anulus pro me testis est" uel sic "anulus mecum101 testes sumus" sed melius quod supra.
1 si infitias ibit s'il vient à nier. 2 testis est mecvm anvlvs il faut ainsi comprendre cette expresion, à savoir : "anulus pro me testis est" (l'anneau est un témoin en ma faveur", ou ainsi "anulus mecum testes sumus" (l'anneau et moi en sommes témoins). Mais la première solution est meilleure477.

348
postremo quando ego conscia sum mihi895, a me culpam esse hanc procul,
Enfin, du moment que j'ai ma conscience pour moi sachant que je ne suis pas en faute dans cette affaire,

postremo qvando ego conscia svm mihi quando pro quoniam uel quandoquidem.
postremo qvando ego conscia svm mihi quando vaut quoniam (puisque) ou quandoquidem (dès lors que).

349
neque pretium neque rem ullam intercessisse illa aut me indignam, Geta,
qu'aucun avantage n'est intervenu ni rien qui puisse faire honte à elle ou à moi, Géta,

1 neqve rem vllam hoc est internuntium, pactum, donum aut promissum. 2 Et bene totum exsecratiue dixit, ut alii facinore102 abhorreant. 3 illa filia scilicet.
1 neqve rem vllam à savoir un négociateur, un contrat, un cadeau, une promesse. 2 Et elle fait bien de dire le tout sur un ton de malédiction, pour détourner autrui de mal agir. 3 illa sa fille implicitement.

350
experiar. Ge.-quid istic? accedo, ut melius dicas896. So.-tu quantum potes897
j'esterai. Gé.-Que dire à cela ? Je cède à tes bons arguments. So.-Et toi fais ton possible,

1 experiar "apud iudices agam". 2 qvid istic uerbum est aegre consentientis, quasi qui dicat: "quid istic resistam?". 3 accedo vt melivs dicas hoc est: "ut consentiam, ueluti melius potens sis dicere". 4 qvantvm potes deest cito, ut sit "quantum potes cito abi".
1 experiar "je plaiderai devant les juges". 2 qvid istic c'est le mot de quelqu'un qui consent du bout des lèvres, comme quelqu'un qui dirait : "quid istic resistam ?" (que rétorquer à ça ?). 3 accedo vt melivs dicas c'est-à-dire : "j'en viens à m'accorder avec toi de la même façon que tu es capable de t'exprimer au mieux". 4 qvantvm potes il manque cito (vite), pour faire "quantum potes cito abi" (va-t'en au plus vite).

351
abi atque Hegioni cognato huius rem enarrato omnem ordine;
va chez Hégion le parent de ma fille et raconte-lui l'affaire comme elle s'est passée ;

1 atqve hegioni apud Menandrum Sostratae frater inducitur. 2 hvivs filiae suae scilicet.
1 atqve hegioni chez Ménandre, c'est le frère de Sostrata qui est mis sur scène. 2 hvivs de sa fille, implicitement.

352
nam is nostro Simulo fuit summus et nos coluit maxime.
car il était intime de notre cher Simulus et il nous a beaucoup choyées.

1 simvlo nomen patris puellae est, diminutiuum a Simo uel a Simone. et nota nomen in palliata fabula Latine diminutum. 2 simvlo fvit svmmvs summus an ad cognatum an ad amicum refertur? an absolute, ut in Eunucho «  plurima salute Parmenonem summum suum impertit Gnatho 175 »? 3 et nos colvit maxime miserabilius coluit quam si diceret colit. Vergilius «  per caput h. hoc i. iuro p. per q. quod p. pater a. ante s. solebat 176 ». colere autem et maioribus et minoribus conuenit, ut posthabita coluisse Samo 177.
1 simvlo c'est le nom du père de la jeune fille, diminutif de Simus ou de Simon. Et remarquez que le nom, dans une palliata, a un diminutif latin478. 2 simvlo fvit svmmvs summus se rapporte-t-il au degré de parenté ou au degré d'amitié ? ou est-il utilisé tout seul, comme dans L'Eunuque : « plurima salute Parmenonem summum suum impertit Gnatho » ? 3 et nos colvit maxime cela fait plus pitié de mettre coluit au passé que de dire colit au présent. Ainsi Virgile : « per caput hoc iuro per quod pater ante solebat » (je jure par cette tête par laquelle mon père jurait autrefois). Quant à colere, il convient autant aux grandes qu'aux petites choses, comme dans « posthabita coluisse Samo » (elle l'a honorée en la préférant à Samos).

353
Ge.-nam hercle alius nemo respicit nos. So.-propera tu, mea Canthara,
Gé.-Oui, ma foi, personne d'autre ne nous respecte ainsi. So.-Et toi, dépêche-toi, ma chère Canthara,

1 nos monosyllabo finit exprimens uultuosam pronuntiationem. 2 tv mea canthara tristis ac seriae feminae blandimentum est mea magis quam pronomen possessiuum. deest enim cara uel quid tale, quod additum pronomen faceret mea.
1 nos il finit sur un monosyllabe, en usant d'une prononciation avec des grimaces. 2 tv mea canthara c'est le mot caressant d'une femme triste et sérieuse que ce mea, plus que ne le serait le pronom possessif. Car il manque cara (chère) ou quelque chose de ce genre qui, si on l'ajoutait, ferait de mea un pronom.

354
curre, obstetricem accerse, ut cum opus sit ne in mora nobis siet.
cours, va chercher la sage-femme pour que, quand il le faudra, elle ne nous fasse pas attendre.

1 cvrre mire dictum aniculae curre. 2 vt cvm opvs sit hoc est: "cum adesse coeperit partus". 3 ne in mora nobis siet locutio103 qualis supra104.
1 cvrre c'est étrange de dire à une petite vieille curre. 2 vt cvm opvs sit c'est-à-dire : "quand le travail d'accouchement aura commencé". 3 ne in mora nobis siet expression du même genre que plus haut479.

scaena tertia

Demea Syrus

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355
De.-disperii: Ctesiphonem audiui filium
Dé.-Je suis fichu : je viens d'apprendre que mon fils Ctésiphon

disperii ctesiphonem avdivi filivm hic ostenditur, quod seueri homines ac recti et honesti tenaces uel ridiculi sint uel odio habeantur, quoquo accesserint. magno autem affectu et quasi exclamans addidit filium, quasi causam redderet, cur dixerit disperii.
disperii ctesiphonem avdivi filivm la scène montre que les hommes austères, droits et honorables sont obstinés ou ridicules ou se font détester, à quelque décision qu'ils soient arrivés. Et c'est avec beaucoup de passion et presque en poussant une exclamation qu'il ajoute filium, comme s'il donnait la raison du fait qu'il ait dit disperii.

356
una fuisse898 in raptione cum Aeschino.
a participé au rapt avec Eschine.

vna fvisse in raptione cvm aeschino οἰκονομία, in qua ostenditur, quantum commouebitur Demea ipsa re comperta, cum ex parua rei suspicione tantum se afficiat. raptio autem ad personam refertur, rapina ad rem, raptus ad stuprum, si proprie uolumus loqui.
vna fvisse in raptione cvm aeschino préparation (οἰκονομία) par laquelle on montre quelle pourra être l'émotion de Déméa quand il aura une connaissance pleine et entière de l'affaire, dans la mesure où à partir d'un mince soupçon il en vient à être à ce point affecté. Raptio (rapt) se rapporte à une personne, rapina (larcin) à une chose, raptus (viol) à l'acte de déshonorer, si nous voulons nous exprimer proprement480.

357
id misero restat mihi mali, si illum potest,
il ne manque plus à mon malheur que, s'il le peut, celui

1 id misero restat bene restat, tamquam iam summum mali sit Aeschinum esse corruptum. 2 Et misero mihi quasi qui nihil nesciat nihil curante Micione. 3 si illvm potest non dubitat uelle et ideo potest dicit.
1 id misero restat restat est bon, comme si encore le malheur suprême était qu'Eschine est corrompu. 2 Et il dit misero mihi en homme qui n'ignore rien, alors que Micion ne s'occupe de rien. 3 si illvm potest il ne doute pas de sa volonté, c'est pourquoi il dit potest.

358
qui alicui rei est etiam, eum ad nequitiam899 adducere.
qui valait encore quelque chose, l'autre ne le pousse à être un vaurien.

1 qvi alicvi rei est recte, de hoc enim supra dixit «  non fratrem uidet rei dare operam, ruri esse parcum ac sobrium? 178 ». 2 etiam evm ad neqvitiam addvcere quasi inuitum dixit non uocare sed adducere. ducimus enim etiam orantes, adducimus inuitos. nequitia autem proprie libidinosa inertia dicta est, quod nihil queat nullique rei apta sit. unde et nugae quod nihil agant uel a non agendo.
1 qvi alicvi rei est c'est exact, car il a dit de Ctésiphon ci-dessus « non fratrem uidet rei dare operam, ruri esse parcum et sobrium ? ». 2 etiam evm ad neqvitiam addvcere comme si c'était malgré lui, il dit non pas uocare (il l'invite), mais adducere. De fait, nous amenons (ducimus) même des gens qui nous en prient, mais nous poussons (adducimus) les gens malgré eux. Quant au mot nequitia, au sens propre d'inertie libidineuse, il s'applique étymologiquement à un état qui nihil queat (ne peut rien faire) et n'est apte à rien. De la même façon aussi on dit nugae (balivernes), parce que l'on ne fait rien (nihil agant) ou par dérivation de non agere (ne rien faire) 481.

359
ubi ego illum quaeram? credo abductum in ganeum
Où dois-je le chercher ? je suppose qu'on l'aura emmené dans un bouge

1 vbi ego illvm qvaeram credo abdvctvm non isse eum dicit sed abductum esse, ut adhuc culpa non sit illius. 2 in ganevm ganeum ueteres tabernam meretricum dixerunt ἀπὸ τῆς γαίας, τουτέστι γῆς, eo quidem quod ipsa sit in terra, non in cenacula superius. unde et taberna quasi trabena a ualidioribus dicta trabibus, quibus superiora suspensa sunt.
1 vbi ego illvm qvaeram credo abdvctvm il ne dit pas qu'il y est "allé" (isse) mais qu'il y a été "emmené" (abductum), de sorte que ce n'est toujours pas de sa faute. 2 in ganevm ganeum, pour les Anciens, est le nom d'une taverne à filles qui vient de γαῖα, c'est-à-dire γῆ (terre) (ἀπὸ τῆς γαίας, τουτέστι γῆς), du fait que cette salle se trouve dans la terre et non pas dans l'étage du dessus. De là également le mot taberna, pour ainsi dire trabena, tire son nom des poutres (trabes) solides sur lesquelles les étages supérieurs sont suspendus482.

360
aliquo: persuasit ille impurus, sat scio.
quelque part : l'autre débauché l'aura persuadé, pour sûr.

1 persvasit ille impvrvs suademus facilia, persuademus difficilia. 2 Et suadere facientis est, persuadere perficientis. 3 impvrvs pro improbo ponitur apud Terentium. 4 Et hic quoque excusata uoluntas est Ctesiphonis, cui a maiore fratre et improbo ingesta sit persuasione nequitia.
1 persvasit ille impvrvs nous conseillons (suademus) de faire des choses faciles, mais nous persuadons (persuademus) d'en faire des difficiles. 2 Et suadere (conseiller) est le propre de quelqu'un qui fait quelque chose, persuadere le propre de quelqu'un qui achève quelque chose483. 3 impvrvs équivaut à improbus (malhonnête) chez Térence. 4 Et ici encore est mise hors de cause l'intention de Ctésiphon, chez qui la mauvaise conduite a été insufflée de façon persuasive par son malhonnête de frère aîné.

361
sed eccum Syrum ire uideo: iam hinc scibo ubi siet.
Mais voilà Syrus que je vois arriver ; j'en apprendrai bien où se trouve mon fils.

1 sed eccvm syrvm ire video ire et abire et uenire significat. 2 ire video ire pro uenire, ut «  nec uero Aeacidem me sum l. laetatus e. euntem a. accepisse 179 »105.
1 sed eccvm syrvm ire video ire signifie à la fois "s'en aller" (abire) et "venir" (uenire). 2 ire video ire est mis pour uenire (venir), comme dans « nec uero Aeacidem me sum laetatus euntem accepisse » (je ne me suis pas réjoui d'avoir accueilli le fils d'Eaque484).

362
atque hercle hic de grege illo est: si me senserit
Mais ma foi, il est de leur bande ; si jamais il sent que je

1 atqve hercle hic de grege illo est ἐπανάλημψις figura. 2 de grege illo est ordo uel bonorum uel malorum dicitur et grauium, ut equester ordo, senatorius ordo; grex uel bonorum uel malorum et leuium est, ut Cicero «  in his bonis gregibus omnes aleatores, omnes impuri impudicique uersantur 180 ».